"Christophe Bouillaud : Bien sûr, si on entend par "être crédible", être "riche et démocratique", il faut bien avouer que ce sont de médiocres candidats, bien moins crédibles que le seraient l’Islande, la Norvège ou la Suisse. Cependant, pour les raisons géopolitiques que je viens d’indiquer, il parait difficile, surtout pour les pays des Balkans de ne pas les intégrer à terme. De toute façon, pour adhérer à l’Union européenne, il faut accepter toute une série de conditions drastiques, comme la transposition de l’ensemble de l’acquis communautaire dans son droit interne. Ces pays seront d’autant plus surveillés dans leur processus d’adhésion que certains pays ayant adhéré en 2004 ou en 2007 ont tendu à n’en faire ensuite qu’à leur tête. Les dirigeants de ces pays devront céder aux demandes européennes qui ne manqueront donc pas d’être insistantes et péremptoires, car ils ne disposent pas de stratégie géopolitique et économique de rechange. On le voit bien dans le cas de la Serbie. On voit mal les pays des Balkans adhérer à la nouvelle union économique que V. Poutine propose aux anciens pays de l’URSS. On les voit mal essayer de se trouver un parrain extra-européen, comme l’Albanie socialiste avec la Chine maoïste dans les années 1970. Bref, ils passeront sous les fourches caudines de la Commission et des pays déjà membres.
Seule la Turquie dispose d’un vrai poids dans les négociations, et son poids s’accroît à mesure que sa puissance économique se renforce, ce qui explique pour partie les difficultés de la négociation en cours. Pour ce qui est de l’apport de ces pays à l’ensemble, il me semble qu’il correspond plus à des impératifs de sécurité et de puissance qu’à autre chose. Il faut préciser aussi qu’un État déjà membre a beaucoup à gagner à l’adhésion des Balkans : la Grèce. Ce pays se trouve relativement isolé à la pointe de l’Union, il le serait moins si tout son arrière-pays était devenue européen. Du point de vue économique et démographique, seule la Turquie compte vraiment : son adhésion serait vraiment un apport significatif au "grand marché" en l’ouvrant sur le Moyen-Orient et l’Asie centrale."
"Christophe Bouillaud : Bien sûr que l’opinion publique est sceptique, à la fois par crainte du "plombier polonais" et des délocalisations industrielles intra-européennes, et parce que certains des pays candidats sont majoritairement habités par des personnes de religion musulmane (Albanie, Kosovo et surtout Turquie). La Commission européenne raisonne elle en fonction de l’image qu’elle se fait de ce que devrait être une "puissance européenne" appuyée sur un grand marché intérieur de plusieurs centaines de millions d’habitants.C’est sans doute une vision trop rationaliste, trop "constructiviste" dirait un partisan de Hayek, cette vision ne veut pas tenir pas compte de la réalité sociologique, religieuse, économique, historique, de l’Europe. De fait, c’est toute l’Europe "orthodoxe" et "musulmane", qu’elle soit dans l’Union (Grèce, Bulgarie, Roumanie) ou en dehors (Serbie, Albanie, Kosovo, etc.), qui tranche avec le reste de l’Europe "catholique" et "protestante". Le futur élargissement souligne ce fait, et il n’est pas étonnant que les populations de l’actuelle Union soient réticentes."
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