ATATÜRK A-T-IL FAIT PENDRE DES IMAMS ?
ATATÜRK A-T-IL FAIT PENDRE DES IMAMS ?
Ces dernières années, la haine d’Atatürk se déverse avec profusion dans l’espace public turc.
Chaque publication relative à Atatürk trouve son lot de parasites réactionnaires qui -entre bigoterie islamiste et vengeance idéologique anti-laïque-, vient accuser le fondateur de la République turque de tout et son contraire.
Même si aucun argument n’est jamais cité, leurs accusations se fondent principalement sur des assertions relayées de bouche à oreille dans les milieux réactionnaires religieux.
Ces fondamentalistes accusent Atatürk notamment d’avoir pendu des imams.
Ils ne disent pas quels imams, quand, ni comment mais ils sont persuadés qu’Atatürk les a pendus…. Parfois, certains citent le nom de l’imam İskilipli Atıf.
Je vais donc commencer à répondre à ces accusations, source d’historiens à l’appui, notamment en détaillant le cas de ce hodja qui voulait « confier les clés de l’Islam aux Britanniques » !
Les détracteurs d’Atatürk font souvent référence à cet imam emblématique car, selon eux, İskilipli Atıf aurait été « injustement » condamné à la pendaison par les Tribunaux d’Indépendance (İstiklal Mahkemeleri) qui ont été créés à l’issue de la Guerre d’Indépendance turque. L’imam Atıf aurait, en fait, été pendu pour s’être « opposé à la loi relative au port du chapeau ». Aussi, Il ne leur en faut pas plus pour accuser Atatürk de « ignoble mécréant tortionnaire et massacreur de hodjas » (sic).
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Voyons donc qui est ce İskilipli Atıf Hodja et pourquoi il a été pendu !
İskilipli Mehmed Âtıf Hoca est né en 1875, dans le village de Toyhane du district de Bayat dans la province de Çorum, d’un père turc et d’une mère originaire de la Mecque.
Ayant fait deux années d’études coraniques à İskilip, toujours dans la province de Çorum, on le surnomme donc Mehmed Âtıf de Iskilip : « İskilipli Mehmed Âtıf ».
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Selon le chercheur Osman Selim Kocahanoğlu, Mehmed Âtıf arrive à Istanbul en 1905 où il enseigne à la mosquée de Fatih. Mais, le Cheikh al-Islam de l’époque qui ne l’aime guère l’exile à Bodrum.
Là, il est surpris en train de collecter de l’argent et fuit en Crimée pour éviter l’emprisonnement.
Après la proclamation de la période dite « Seconde Monarchie Constitutionelle » (İkinci Meşrutiyet), İskilipli Âtıf revient à Istanbul en 1908. Il est arrêté puis libéré pour avoir participé à « la Révolte du 31 Mars » qui visait à protester contre les réformes du Comité Union et Progrès. Cette révolte qui « prendra une forme islamiste » selon Sıddık Yıldız se solde par la destitution du Sultan Abdülhamit II au profit du Sultan Mehmet V même si 420 insurgés sont pendus. En 1913, İskilipli Atıf est emprisonné à Sinop pour avoir participé à l’assassinat du Grand Vizir Mahmud Şevket Paşa. Cet ancien militaire avait contribué à mater la mutinerie du « 31 Mars ».
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En 1919, en pleine occupation de l’Empire ottoman par les troupes ennemies, İskilipli Atıf fonde avec d’autres un groupe islamiste nommée « Cemiyet-i Müderrisin » (la communauté des professeurs de l’Islam). Ce groupe prend position aux côtés du traître suprême et Grand Vizir, Damat Ferid Pacha et se fait l’avocat d’une Turquie sous mandat britannique ! (oui, vous avez bien lu).
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Férocement opposé au mouvement de libération nationale menée par Mustafa Kemal, ce groupe Cemiyet-i Müderrisin rédige et fait jeter du ciel d’Anatolie, par des avions grecs, des tracts de fatwas dénonçant la résistance turque et appelant au soutien à l’armée grecque !
Les tracts, en hideuse anthologie de la haine, qualifient Atatürk notamment de « juif de Salonique, fauteur de troubles, maudit, canaille, brigand, traitre, abject, sanguinaire, assassin, monstre, voleur ».
Le journal Yeniçağ du 30 septembre 2009 rapporte ces propos du groupe Cemiyet-i Müderrisin présidé par İskilipli Mehmed Atıf en 1920 : « On peut considérer que l’armée grecque est l’armée du Califat. En aucun cas, elle ne représente un danger. La véritable créature à décapiter se trouve à Ankara ».
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Après la fondation de la République, İskilipli Atıf s’oppose avec virulence à l’entreprise de modernisation menée par Atatürk en assimilant ses réformes à des « perversités occidentales » vitupérant contre « l’alcool, la prostitution, le théâtre, la danse » et le « chapeau occidental ».
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Les laudateurs de Mehmed Atıf tentent constamment de légitimer l’imam d’Iskilip en niant sa trahison pour les Britanniques. Leur but est de mieux combattre Atatürk et la République laïque qu’il a fondée par la victimisation d’un « pauvre imam innocent ». Cette légende du « saint imam İskilipli Mehmed Atıf injustement pendu par le mécréant Atatürk » vise à briser le prestige d’Atatürk au sein de la population pieuse de Turquie.
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Selon l’historien Sinan Meydan, İskilipli Atıf n’a jamais été inquiété en raison de ses critiques contre le « chapeau occidental ».
Sinan Meydan explique :
« Dès 1924, donc bien avant la loi relative au port du chapeau en remplacement du fez, l’imam İskilipli Atıf publie un ouvrage nommé « Le chapeau et le mimétisme sur les occidentaux » (Frenk Mukallitliği ve Şapka). L’imam y écrit : « Un musulman est musulman par la houppe de son fez » même si le fez provient des Grecs !... Mais, ne s’en suit aucun procès, la justice turque s’en fiche totalement. Au passage, je précise juste que c’est le Sultan Mahmud II qui a initié les premières réformes vestimentaires chez les Turcs, environ 100 ans avant Atatürk.
Revenons à notre sujet. En novembre 1925, donc un an après le livre de İskilipli Atıf, est adoptée la loi relative au port du chapeau. Des groupes obscurantistes sèment la provocation et le désordre avec des propos délirants et fantasmatiques comme : « Le gouvernement va tous nous transformer en mécréants, le chapeau est arrivé la religion est perdue, bientôt, ils banniront le Coran, etc. ». Suite aux arrestations de ces fauteurs de troubles, l’enquête détermine que ces imams de quartier agissaient sous l’instigation de manipulateurs. Les juges des Tribunaux d’Indépendance découvrent que les écrits de İskilipli Atıf ont largement contribué à fomenter les insurrections à Rize, Giresun, Antep, Maraş ou Konya. Lorsque les juges de Giresun convoquent Atıf, celui-ci se défend en expliquant qu’il n’y est pour rien si d’autres ont utilisé son ouvrage qu’il a écrit bien avant la loi du chapeau. Ainsi, il est relaxé. Même l’écrivain Necip Fazıl le reconnait. D’ailleurs, İskilipli Atıf retourne à Istanbul sur le même bateau que des inspecteurs membres du comité d’investigation pour le Tribunal. Par contre, son ouvrage « Le chapeau et le mimétisme sur les occidentaux » (Frenk Mukallitliği ve Şapka) est frappé d’interdiction à la reproduction et à la distribution.
Mais, 1925 se trouve aussi être l’année où les tribus obscurantistes et nationalistes kurdes ralliées au cheikh Saïd déclenchent une révolte armée contre le gouvernement de Mustafa Kemal Atatürk. On s’aperçoit vite que le livre de İskilipli Atıf est parvenu, sous le manteau, dans tous les lieux qui ont vu naître des rébellions armées contre le pouvoir. C’est alors que le Tribunal d’Indépendance d’Ankara appelle Atıf à s’expliquer. Cette fois, le Tribunal dispose d’un dossier très à charge, solidement étayé montrant que İskilipli Atıf a continué de faire distribuer son livre contrevenant ainsi à la décision rendue par le Tribunal d’Indépendance de Giresun. Les preuves abondent : reçus, factures, témoignages des imprimeurs, des distributeurs,…
La révolte du cheikh Saïd a déclenché des alarmes dans la jeune République qui a été ouvertement menacée par un groupe qui en instrumentalisant l’Islam a tenté de renverser l’Etat. Et derrière ces insurgés se profile l’ombre de la grande puissance impérialiste de l’époque, en l’occurrence les Britanniques.
La Grande Assemblée Nationale de Turquie vote alors le 25 février 1925 une loi stipulant que ceux qui « instrumentalisent la religion ou les notions sacrées de la religion à des fins politiques seront considérés comme traîtres à la nation ». Les crimes commis avant la proclamation de la République avaient été graciés mais après la révolte islamiste du cheikh Saïd, on rouvre les dossiers et on découvre le véritable profil de İskilipli Atıf et ses nombreux méfaits d’armes aux côtés de traîtres bien plus notoires comme l’ancien Grand Vizir, Damat Ferid.
Le Tribunal d’Ankara retient 2 graves crimes à l’encontre de l’imam İskilipli Atıf :
1)La distribution d’écrits appelant à la révolte.
2)La rédaction et la diffusion, durant la Guerre de Libération, de tracts de trahison au bénéfice de l’ennemi et appelant au meurtre de Mustafa Kemal.
Se fondant sur l’article 55 du Code pénal turc, le Tribunal d’Indépendance d’Ankara prononce la peine capitale à l’encontre de İskilipli Mehmed Atıf qui sera pendu pour trahison et espionnage.
Précisons aussi que ce jour-là, le même Tribunal prononce également une peine de pendaison à l’encontre de Ali Rıza, mufti de Babaeski, car ce dernier avait collaboré avec les Grecs et appelé à « ne pas résister à l’occupation grecque » .
Hormis ces deux individus, les autres imams écopent de peines légères quand ils ne sont pas tout simplement relaxés. Les imams comme Ömer Rıza, Tahirül Mevlevi, Elmalılı Hamdi et Ahmet Hamdi sont reconnus innocents.
Pensez-vous, comme le prétendent certains haineux anti-laïcs que, si l’intention des Tribunaux d’Indépendance avait été véritablement de « pendre les imams » alors ces imams auraient-ils été libérés ou innocentés ?
Ceux qui veulent saboter les fondements de la République turque et salir Atatürk déforment lâchement la réalité et tentent de faire passer İskilipli Atıf pour un « saint homme innocent qui a été pendu pour s’être opposé au chapeau des occidentaux » alors que cet individu a collaboré avec les Britanniques, a milité pour un mandat anglais, pour l’occupation de l’armée grecque, s’est opposé aux résistants turcs menés par Atatürk qui guerroyaient pour sauver la patrie. İskilipli Atıf Hodja n’est rien d’autre qu’un traître à la nation qui a lâchement instrumentalisé l’Islam pour pousser le peuple turc à la soumission à l’ennemi.
Les dossiers des procès de İskilipli Atıf sont disponibles, ils regorgent de preuves accablantes pour lui. Au lieu de salir les héros turcs comme Atatürk qui ont sauvé notre pays, allez donc vérifier les preuves sur lesquelles le Tribunal a fondé sa sentence. Les juges ont rendu une décision juste et conforme aux lois.
Le véritable reproche envers İskilipli Atıf n’a jamais été sa critique d’Atatürk ou de la réforme du chapeau mais bel et bien sa trahison infâme au profit de l’ennemi ! » termine l’historien Sinan Meydan.
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En 2011, l’un des fervents soutiens de Fethullah Gülen, l’ancien Vice-Premier ministre, Bülent Arınç avait pris la défense de İskilipli Mehmet Atıf Hodja estimant que les Tribunaux d’Indépendance avaient « commis une erreur en condamnant cet imam pour son opposition à la réforme du chapeau ». L’écrivain Rahmi Turan avait alors rappelé à Bülent Arınç que İskilipli Atıf s’était rendu coupable de haute trahison au profit de l’ennemi et c’est pour cette raison que les juges l’avaient condamné à la peine capitale. Rappelons que le même Bülent Arınç a déclaré après la tentative de putsch du 15 juillet 2016 : « Vous pouvez me qualifier d’idiot pour avoir soutenu Fethullah Gülen »…
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En conclusion, Atatürk n’a fait pendre aucun imam !
Des Tribunaux d’Indépendance ont jugé certains individus accusés de collusion avec l’ennemi. Parmi ceux-là, des imams dont la trahison a été prouvée comme İskilipli Atıf Hodja ont été pendus. A l’inverse des imams innocents comme Ömer Rıza, Tahirül Mevlevi, Elmalılı Hamdi ou Ahmet Hamdi ont été relaxés.
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Je terminerai par une seule question à ceux qui accusent bêtement Atatürk, votre attitude est-elle différente de ceux qui accusent le président Erdoğan de « pourchasser injustement un saint imam, installé en Pennsylvanie, et qui a hautement servi l’islam, les musulmans et le peuple turc grâce à ses milliers d’écoles à travers le monde » ?
Aujourd’hui Fethullah Gülen, hier İskilipli Atıf hodja… ils sont les 2 faces d’une même pièce, les 2 visages de Janus. Ne vous trompez pas d’ennemi, cessez d’instrumentaliser constamment la religion et soyez en paix avec votre histoire. Pour cela, il n’y a qu’un remède : la lecture.
Özcan Türk
19 mars 2018