Une mosquée aux courbes féminines à Istanbul

La salle de prière de la mosquée Sakirin réalisée par l’architecte Zeyneb Fadillioglu à Istanbul. C’est la première mosquée en Turquie, et sans doute dans le monde, conçue par une femme. Les murs de la salle de prière sont en verres et imitent par leur design les pages d’un Coran enluminé. Au centre du mur, le mihrab, en bleu et or, en forme de coquillage et de croissant de lune, indique la direction vers laquelle il faut se tourner pour prier. Sur sa droite, le mihrab, la chaire, d’où l’imam de la mosquée fait son sermon.
La Turquie a connu au XVIe siècle un des plus grands génies de l’architecture en la personne de Sinan (1489-1588), le grand constructeur des chefs-d’oeuvre que sont les mosquées de la Selimiye (Edirne), de la Suleymaniye (Istanbul) ou encore de celle de la Sokullu Mehmet Pacha (Istanbul).
Une magnifique mosquée, la Sakirin, vient de voir le jour à Istanbul. Si les fondations pieuses financées par des femmes en Islam sont une tradition comme l’atteste la construction de la célèbre et magnifique mosquée al-Karaouine à Fez par Fatima el-Fehri au IXe siècle, la mosquée Sakarine est la première en Turquie, et probablement aussi dans le monde, à être conçue et réalisée par une femme architecte. Il s’agit de la designer et architecte d’intérieur, Zeynep Fadillioglu. Je reproduis ci-dessous un article paru dans le quotidien suisse, 24 heures.
"Zeynep Fadillioglu était surtout connue pour avoir réalisé la décoration intérieure de restaurants chics et branchés à Istanbul et à Londres. Cette designer turque de 53 ans exerce désormais ses talents artistiques dans la construction...d’une mosquée.
Situé sur la rive asiatique de la mégapole turque, l’édifice a été commandé par une riche famille turco-saoudienne. "J’ai pleuré quand le projet m’a été proposé, raconte-t-elle. A ma connaissance, jamais une telle tache n’avait été confiée à une femme auparavant."
A la tête d’une équipe d’architectes, "essentiellement féminine", Zeyneb Fadillioglu a conçu une mosquée lumineuse et douce, une synthèse d’avant-garde et d’art traditionnel. Le dôme en aluminium a été réalisé par le designer britannique William Pye. Dans la cour, les minarets se reflètent dans le miroir de la fontaine aux ablutions. Dans la salle, les murs en verre ouvrent sur le monde extérieur. Des écritures stylisées, reprenant le rythme des versets coraniques, ondulent le long des parois. Tel un écrin, ces volutes dorées envelopperont les fidèles.
"Je veux que les gens s’approprient le lieu, qu’ils s’y sentent en paix, explique-t-elle. Il fallait donc doser l’innovation afin de ne pas les effrayer." Un moment, elle a eu un doute sur la forme de coquillage du mihrab - la niche dans laquelle l’imam conduit la prière. "Mais le mufti (ndlr : dignitaire religieux) a adoré."
La Turquie, république laïque, a accordé très tôt des droits aux femmes : celui de voter par exemple, obtenu en 1934, de divorcer ou d’avorter. Mais un islam patriarcal pèse encore sur une grande partie des Turques.
Pur produit de la grande bourgeoisie laïque d’Istanbul, cette architecte d’intérieur revendique son identité musulmane, tout en étant très peu pratiquant. Elle reconnaît d’ailleurs "avoir eu quelques préjugés avant de faire travailler ensemble des calligraphes, spécialistes de l’art religieux, et des artistes contemporains. En fait, tout s’est très bien passé." Les critiques sont plutôt venues de certaines de ses amis, farouchement laïques. Car la société reste divisée sur la place que doit occuper la religion dans l’espace public.
Source : avec 24 heures (Suisse), Alamut