[QATAR 2022] Quel est l’État d’esprit des supporters Turcs de France ?
La plus grande fête du Football s’est bien mise en route, avec ses confirmations, avec ses surprises, avec ses certitudes, avec ses interrogations, sans la Turquie du Football.
Dans quel état d’esprit se retrouveraient alors les supporters turcs ?
’’ L’auteur de l’enquête en compagnie de Haci Kurkçu dirigeant universitaire et arbitre amateur de Football.
Quartier de la Porte de Montreuil, périmètre turc entre Strasbourg-Saint-Denis et métro Château Rouge, Melun, Dammarie-les-Lys, ces trois axes ont servi à mener une investigation un peu « underground » destinée à percer les orientations de l’opinion des Turcs vis-à-vis d’un événement se produisant au Qatar, c’est-à-dire sur le continent asiatique au sein d’un Orient bercé par le passé ottoman, ce qui accentue la nostalgie et la frustration de ne pas y participer.
L’INDIFFÉRENCE SUCCÈDE A LA DÉCEPTION
La Milli Takim ne s’est hélas pas qualifiée pour la Coupe du Monde. Au traumatisme de l’élimination semble faire suite une apathie. Cela se manifeste par une rumination de l’échec ou par une désinvolture en jouant aux cartes dans les salons de thé tout en jetant un coup d’œil discret_par principe_ à l’écran diffusant un match en cours.
LA PROBLÉMATIQUE POSÉE PAR L’ITALIE
Ordinairement beaucoup de Turcs,qu’ils soient au pays ou expatriés, se mettent à encourager l’Italie quand leur équipe favorite ne figure pas en compétition, souvenons-nous du Mondial 2006 organisé en Allemagne et où les supporters turcs ou germano-turcs avaient affrontés leurs homologues allemands à l’occasion de rixes importantes. « L’Italie j’adore son championnat et ses fringues, surtout ses mocassins » affirme Mustafa jeune marié à Dammarie-les-Lys (77) symbolisant là un capital sympathie de départ basé sur une image dépassant le cadre sportif. « Les Italiens ils ont la moustache comme nous alors je suis pour eux, dommage ils se sont pas qualifiés » dit en riant un invité de sa fête de mariage. Alors qui pour combler ce manque ?
L’ALLEMAGNE EN RENFORT
Parmi les options de rechange, l’Allemagne figure en bonne place. Juste devant l’Espagne et la Tunisie.
« L’Allemagne ça me rappelle d’excellents ouvenirs de vacances auprès de cousins installés là-bas. Alors je suis un peu pour elle, surtout qu’il y a la présence de Gundogan et puis c’est finalement une grande puissance en Foot avec un super club comme le Bayern » détaille Mükayil. »Moi aussi je suis cette équipe parce que mon frère est là-bas » complète son collègue de travail Nihat vêtu aux couleurs du Galatasaray. Les plus connaisseurs et objectifs se rabattant sur le Brésil si symbolique. Les autres cherchant des points communs ou disons pas trop éloignés avec l’Espagne et la Tunisie, comme cet étudiant de l’INACO : « J’aime bien le jeu de la Croatie et de l’Espagne mais je suis plus pour « la Roja » parce que je me sens plus solidaire de la Méditerranée que des Balkans ». Ce glissement vers la Méditerranée n’est pas anodin.
LES PAYS DU MOYEN-ORIENT : TERRAIN D’AFFRONTEMENT ENTRE LAÏCITÉ ET CONSERVATISME RELIGIEUX
L’Empire Ottoman avait couvert une bonne portion d’ « Ak Deniz » et de l’Asie partant de sa pointe occidentale jusqu’aux confins de la Chine.
Ce kaléidoscope offre un éventail de possibilités qui se révèle bien utilisé, alors que les plus conservateurs ont tendance à se montrer plutôt sympathisants vis-à-vis de l’Iran ou de l’Arabie Saoudite (« je fais mon devoir de Musulman très croyant m’explique Ali Mehmet, très pieux et fier de déclarer qu’il a effectué son pèlerinage à La Mecque) soit par devoir religieux soit par nationalisme (les nostalgiques des sultans ottomans voient là l’occasion de rallier des anciens territoires ;l es Pro-Erdogan scrutent les résultats de l’équipe du Qatar), les plus libéraux et laïcs s’intéressent davantage au Maroc et surtout à la Tunisie en raison du drapeau dont l’air de famille avec « Ayyildiz » les motive.
LA PLACE PARTICULIÈRE DE LA FRANCE
Reste la place de la France. Un des pays de résidence de référence après l’Allemagne. La maîtrise de la langue française se révélant aléatoire d’un interlocuteur à l’autre . Beaucoup plus anecdotique que la pratique de l’Allemand. Cela ne favorise pas l’exposition médiatique des Bleus auprès des expatriés. S’ajoute à cela l’hermétisme de la presse sportive française envers la Milli Takim .
Cependant les plus jeunes, nés ou arrivés très tôt en France comptent dans leurs rangs quelques sympathisants de la bande à Deschamps, bien qu’en général ils se contentent davantage d’être supporter d’une représentante du Championnat de France (PSG,Strasbourg et Lyon en particulier). et aussi en fonction de l’adversaire du jour. Une fluctuation qui synthétise cette étude au cours de laquelle es ttransparue une attitude plus spécifique encore : celle des Turcs d’origine Kurde qui eux ont un peu plus tendance à suivre les joueurs entraînés par Didier Deschamps. « Le Kurde est une langue plus Indo-Européenne que le Turc » me fait remarquer une étudiante en ajoutant sur le ton de la plaisanterie « Rassurez-moi vous n’êtes pas Turc ? »
Le Turc de base est très souvent nationaliste. reconnaissons-lui cet ethnocentrisme. D’où un attachement viscéral à la Milli Takim le conduisant vers une indépendance de jugement pour des questions générales visant le Football. C’est ce qui transparaît à travers cette enquête.
L’enracinement perdure à tel point que certains ne suivent pas les matchs parce que les footballeurs turcs n’y participent pas. Qu’ils soient nés au pays ou à l’extérieur. D’autres font preuve de pragmatisme objectif et regardent quand même à l’image des propriétaires du restaurant Antalya Kebab (rue de Charenton ,Paris) dont l’un d’eux prodigue un conseil des plus sages : « La Turquie n’y est pas au Qatar cette année. O.K. On le sait. Mais il y a aussi d’autres équipes qui méritent d’y être et qui sont absentes. alors vive le sport et regardons les autres. Nous quand on y était les autres nous regardaient alors… En plus je ne sens aucun stress à regarder les matchs parce que mon pays n’est pas qualifié et qu’il ne risque rien donc il n’y a que du plaisir finalement ».
Gianguglielmo /Jean-Guillaume LOZATO, professeur d’italien à L’ENSG et à International Paris School of Business,chargé de cours à l’Université Paris-Est. Auteur de recherches universitaires sur le football italien en tant que phénomène de société.