Comme l’on a vu, le 13 avril 2011, la proposition de loi au Sénat français tendant à réprimer la contestation de l’existence du génocide arménien a été rejetée. Mais, quels sont les principaux arguments des députés français ? En cherchant des informations sur le site officiel du Sénat français1, je suis tombé sur l’examen de cette question dans une commission appropriée :
Tout d’abord : un risque de contrariété au principe de la légalité des délits et des peines. Bien qu’elle s’en inspire, la proposition de loi diffère sensiblement de la « loi Gayssot » sur la pénalisation de la négation de la Shoah. En effet, le dispositif « Gayssot » est adossé à des faits précis, reconnus par une convention internationale ou par une juridiction nationale ou internationale au terme de débats contradictoires. La situation est très différente s’agissant du génocide arménien de 1915, perpétré antérieurement à l’adoption de la convention du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide et dont les auteurs n’ont jamais été jugés, ni par une juridiction internationale, ni par une juridiction française.
Sur un plan strictement juridique, il n’existe pas de définition précise, attestée par un texte de droit international ou par des décisions de justice revêtues de l’autorité de la chose jugée, des actes constituant ce génocide et des personnes responsables de son déclenchement, ce qui conduit à s’interroger sur le périmètre exact de la notion de « contestation de l’existence du génocide arménien de 1915 » retenue par la proposition de loi.
En outre, le terme « contestation », dont le champ est plus large que celui de « négation », soulève un problème : la « contestation » peut en effet porter sur l’ampleur, les méthodes, les lieux, le champ temporel du génocide, sans forcément nier son existence même.
Si la « loi Gayssot » paraît compatible avec le principe de liberté d’opinion et d’expression, c’est parce qu’elle tend à prévenir la résurgence d’un discours antisémite. C’est ce qu’a considéré la Cour européenne des droits de l’homme dans une décision Garaudy du 24 juin 2003 : « la négation ou la révision de faits historiques de ce type remettent en cause les valeurs qui fondent la lutte contre le racisme et l’antisémitisme et sont de nature à troubler gravement l’ordre public ». Ainsi, si la « loi Gayssot » paraît compatible avec le principe de liberté d’opinion et d’expression, c’est notamment parce qu’elle tend à prévenir - aujourd’hui - la résurgence d’un discours antisémite. Dans une décision Garaudy du 24 juin 2003, la Cour européenne des droits de l’homme a ainsi considéré que « la contestation des crimes contre l’humanité apparaît comme l’une des formes les plus aiguës de diffamation raciale envers les Juifs et d’incitation à la haine à leur égard. La négation ou la révision de faits historiques de ce type remettent en cause les valeurs qui fondent la lutte contre le racisme et l’antisémitisme et sont de nature à troubler gravement l’ordre public »2
Tel est également l’objectif qui a guidé le législateur communautaire lors de l’élaboration de la décision-cadre du 28 novembre 2008 relative à la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal. Son article 1er dispose que « chaque État-membre prend les mesures nécessaires pour faire en sorte que [...] soient punissables l’apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, tels que définis aux articles 6, 7 et 8 du Statut de la Cour pénale internationale, visant un groupe de personnes ou un membre d’un tel groupe défini par référence à la race, la couleur, la religion, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique lorsque le comportement est exercé d’une manière qui risque d’inciter à la violence ou à la haine à l’égard d’un groupe de personnes ou d’un membre d’un tel groupe » : sa finalité n’est donc pas de protéger la mémoire mais de lutter contre la discrimination. Le Parlement sera prochainement saisi d’un projet de transposition.
En l’espèce, une restriction à la liberté d’expression ne paraît pas justifiée car aucun discours haineux ou discriminatoire ne vise aujourd’hui nos compatriotes d’origine arménienne. Contrairement à ce qui s’est passé pour la Shoah, d’ailleurs, aucun pays n’a rendu la négation du génocide arménien passible de poursuites pénales.