29 mars 2024

34 visiteurs en ce moment

100e anniverssaire de la république de Turquie

Editos & Tribune libre

Lettre ouverte aux membres du Sénat et de l’Assemblée Nationale

Publié le | par Engin | Nombre de visite 289
Lettre ouverte aux membres du Sénat et de l'Assemblée Nationale

Association Dialogue France-Azerbaïdjan

LETTRE OUVERTE AUX MEMBRES DU SÉNAT ET DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

1. Nous, les membres de l’Association Dialogue France-Azerbaïdjan, citoyens Français pour beaucoup d’entre nous liés par notre histoire familiale à l’Azerbaïdjan (notre pays de naissance, ou celui de nos parents) mais aussi pour certains d’entre nous, sans liens particuliers avec Bakou, sinon par l’amitié portée au peuple azerbaïdjanais et aux peuples du Caucase en général.

Nous avons le regret de vous faire part de notre désarroi et tristesse face au nouveau déferlement des articles partiaux et anti-azerbaïdjanais dans vos colonnes.

Déferlement qui atteint de sinistres sommets, ou plutôt abysses, avec les articles ouvertement racistes et stigmatisants de M. Sylvain Tesson, prêcheur auto-proclamé de thématiques médiévales sur « l’identité chrétienne » - et donc, dans son esprit, automatiquement européenne – de l’Arménie ; et celle-ci, selon lui, « éclat fiché en terre asiatique », serait éternellement dressée contre, en somme, « l’Empire des steppes », incarné par« les Turcs » : ces « Turcs » que M. Tesson voit comme une race globale trans-étatique, suspendue hors du temps et de l’histoire moderne, de sorte qu’à l’entendre ils formeraient plutôt une grande horde tatare toujours en marche depuis les confins de Mongolie, que le nom commun et la désignation nationale des citoyens de la République fondée par Mustapha Kemal.

Il semble que M. Tesson et d’autres auteurs auxquels « le Figaro » ouvre si souvent ses prestigieuses colonnes, qui ont la réputation assez méritée d’accueillir des plumes brillantes, bien faites et bien informées, sont pourtant dispensées de savoir que nous vivons, M. Tesson comme nous-mêmes, au XXIème siècle et non au temps des croisades contre les « Sarrasins » ; que la rhétorique du refoulement des « Turcs » hors d’Europe a l’odeur et la texture des propagandes de guerre et de génocide ; et que la Turquie est un Etat bien défini, membre de l’ONU et de l’OTAN, frontalier et non partie du Caucase ; et certes, qu’il existe, à part la Turquie, d’autres Etats de langue turcique, dont l’Azerbaïdjan : mais ce sont des Nations différentes, des membres distincts des Nations-Unies, pleinement souverains : comme il existe plusieurs Etats de langue celtique, ou germanique, ou slave ou latine. Avec entre eux de fortes affinités mais aussi des différences, tout comme la Bulgarie n’est pas la Russie ni la Serbie, ou tout comme l’Allemagne a des affinités mais aussi des causes de divergences avec les pays de langue néerlandaise ou même avec l’Autriche.

2. Par ces excès radicaux, racialistes et parareligieux, M. Tesson a réussi à nous surprendre, à nous stupéfaire. Ce n’était pourtant pas facile de nous surprendre car nous ne sommes que trop habitués à l’hégémonie des ultra-nationalistes de la dite « diaspora arménienne » sur les médias en France et au- delà, et aux méthodes semi-totalitaires que ces ultras utilisent : la censure des opinions différentes, la mise au ban non seulement des personnes et journalistes enclins à exposer le point de vue azerbaïdjanais sur le conflit du Haut-Karabagh, mais tout aussi bien des personnes parfaitement neutres qui souhaitent prendre de la distance et rapporter les simples faits constatés sur place, au cours de leur propre déplacement sur le terrain.

Nous ne sommes que trop habitués à cette situation d’ignorance dans laquelle l’opinion publique française a été plongée, par les moyens susdits, concernant le conflit du Haut-Karabagh. Habitués à ce qu’on ignore ainsi en France :

Que le Haut-Karabagh soit depuis la formation des Etats modernes dans le Caucase, un territoire azerbaïdjanais, qui disposait certes d’un statut particulier et d’autonomie sous le régime soviétique en raison d’une forte présence arménienne, mais n’était pas moins partie à la République soviétique d’Azerbaïdjan, laquelle a conservé ses frontières après l’indépendance en 1991, comme tous les autres Etats indépendants nés de la dissolution de l’Union Soviétique, et reconnus comme tels par l’ONU ;

Que le Haut-Karabagh ait été conquis et de fait annexé par l’Arménie, par la force et la violence dans les années 90, en profitant des troubles internes à l’Azerbaïdjan et de l’anarchie qui y prévalait avant la remise en ordre par le président Heydar Aliev ;

Que cette conquête s’est étendue à de vastes territoires tout autour du Haut-Karabagh, constituant au total 20% de l’Azerbaïdjan, sous prétexte de créer un « glacis de sécurité » autour dudit Karabagh. Par comparaison, l’Allemagne de Bismarck s’était contentée, après notre défaite en 1871, d’annexer, aussi pour de prétendues raisons de sécurité, 2,6% du territoire français ;

Que les conquérants et ultra-nationalistes arméniens ont ensuite procédé à une épuration ethnique impitoyable, comportant des exactions contre les civils, (dont le massacre général de Khodjali, plusieurs centaines de victimes) et la méthodique destruction des villes et villages peuplés d’Azerbaïdjanais, rasés jusqu’aux fondations : ceci afin d’empêcher tout retour des réfugiés dans leurs foyers, et d’assurer un monopole ethnique des Arméniens dans le Haut- Karabagh, où ceux-ci ne constituaient qu’une majorité au temps de l’URSS et du statut d’autonomie de cette province. Près de dix pour cent de la population azerbaïdjanaise s’est ainsi retrouvée sur les routes puis dans des logements de fortune, beaucoup y vivent encore ;
Que cette conquête et l’épuration ethnique ont été condamnés par plusieurs votes unanimes du Conseil de sécurité de l’ONU (CSNU), c’est-à-dire des résolutions impératives que la France, comme tous les autres membres permanents du CSNU, a voté ;

Et enfin, que la France a choisi, en devenant co-présidente du Groupe de Minsk en 1996, un statut de médiateur et non de soutien d’une partie : un statut qui lui donne un devoir de neutralité, d’impartialité, loin des actuelles déclarations de fidélité éternelle et aveugle à l’Arménie dans le cadre d’une histoire et d’un imaginaire qu’on veut faire remonter tantôt aux croisades, tantôt aux guerres et catastrophes de l’Empire ottoman, Empire dont l’Azerbaïdjan n’a jamais fait partie.

3. Cette impartialité, elle avait pourtant caractérisé l’époque Chirac de la diplomatie française ; et elle lui avait pourtant ouvert un âge d’or pour la France en Azerbaïdjan, de loin premier partenaire commercial de notre pays dans le Caucase ; mais aussi partenaire culturel majeur, avec lequel les convergences d’intérêt et les affinités intellectuelles ont abouti à la fondation de l’Université franco- azerbaïdjanaise en 2016. Jamais pour autant la France n’avait abandonné son ancienne et très respectable amitié pour le peuple arménien, ce qu’elle a montré, entre autres, par de multiples gestes humanitaires à l’égard de l’Arménie appauvrie et enlisée dans la guerre d’expansion que sa faction extrémiste – souvent issue de la « diaspora » - a lancée sans penser à l’avenir.

La France tenait ainsi la balance égale, et c’est ce qui lui permettait de tenir son rang de médiateur. Elle avait été l’initiatrice de plusieurs pistes de solution et de compromis ; c’est précisément pour cette raison que le président Heydar Aliev avait choisi la France comme sa première destination de voyage officiel en Europe, et qu’il y avait conclu, avec le président Chirac, ce qu’on appelait le « traité franco-azerbaïdjanais de l’Elysée » ; celui-ci, entre autres, ouvrait la Caspienne azerbaïdjanaise aux compagnies pétrolières et parapétrolières françaises ; mais aussi, et bien au-delà, ce Traité projetait aussi une vision européenne de la péninsule Caucasienne (« l’Europe de Brest à Bakou » avait judicieusement lancé le ministre des Affaires étrangères d’alors, Hervé de Charrette, lors de sa visite équitable dans les trois pays du Caucase).

Il ne s’agissait donc pas d’une vision étroite de nos intérêts financiers, concrets et immédiats dans le Caucase, comme on le prétend maintenant chez les ultra-nationalistes pressés de faire oublier la « ligne Chirac ». Il s’agissait d’une conception à long terme où la France voyait l’Europe élargie comme dépassement des querelles de frontières, du côté oriental de la Mer Noire comme elle l’est de son côté occidental, dans les Balkans. En vérité, l’impartialité de Chirac, c’était une impartialité pour la Paix.

4. Au temps de ces grandes visites bilatérales franco-azerbaïdjanaises et franco-caucasiennes des années 90, que la France ne pratique malheureusement plus, on savait bien que, loin des malodorantes dérives de M. Tesson sur l’Azerbaïdjan « steppique et asiatique », Bakou est la plus diverse, tolérante et moderne capitale de cette partie du monde : tant elle est influencée dans son architecture et dans son mode de vie urbain par le Paris haussmannien et d’autres grands styles européens : rappelons que ceux-ci ont inspiré les grandes fortunes locales et leurs constructions citadines dans ce pays où est née l’exploitation industrielle du pétrole, où l’on s’inspirait des grandes scènes lyriques d’Europe pour créer des Opéras inédits dans cette partie du monde, et où les femmes votaient dès la première République azerbaïdjanaise au lendemain de la première guerre mondiale.

Contre toute son histoire véritable, on couvre la Nation azerbaïdjanaise de mensonges contradictoires entre eux, mais peu importe : ce qu’on cherche à faire, c’est de composer un filet attrape-tout de l’opinion publique en faveur de l’Arménie ou plutôt de la faction ultra-nationaliste des Arméniens. Faction plus forte dans l’émigration arménienne qu’en Arménie même, dont le peuple aspire dans sa grande majorité à la paix, à l’entente avec ses voisins, et à la prospérité par une intégration économique du Caucase dont la vocation naturelle (géographique) est d’être l’autre (à part la Russie) route de communication eurasiatique entre les pays d’Orient et ceux d’Occident.

C’est dans cette idée d’« attrape-tout » contre l’Azerbaïdjan que ce pays si moderne, si francophile, si avancé sur le plan sociétal, est tantôt dépeint :

Comme un avant-poste de l’Islam à la périphérie de l’Europe, alors que l’Azerbaïdjan est doté d’une Constitution laïque et effectivement appliquée, qui en fait de ce point de vue un pays exemplaire dans le monde de tradition musulmane (dispositions du chapitre 18 de la Constitution : « art. I / La religion est en République d’Azerbaïdjan séparée de l’Etat. Toutes les religions sont égales devant la Loi ». art. II / « Est interdite la propagande de toute religion à travers des mouvements religieux qui humilieraient la dignité humaine et contrediraient les principes de l’humanisme universel » (cet article vise évidemment et avant tout les mouvements islamistes actifs dans des pays proches du Caucase ; la propagande islamiste - djihadiste est combattue plus sévèrement en Azerbaïdjan qu’en France même). Art. III / « l’éducation publique est obligatoirement de caractère laïc ») ;

Comme une province non-officielle de la Turquie et une vassale de son Premier ministre Erdogan, alors que, on l’a vu, si la langue azerbaïdjanaise est en effet proche de la langue turque (mais non identique) ces deux pays ont une trajectoire historique bien différente, ceci sur plusieurs siècles, et donc des logiques politiques, sociales et culturelles totalement distinctes, comme tout visiteur de l’Azerbaïdjan s’en aperçoit immédiatement, dès ses premiers pas hors de l’aéroport ;

Et plus récemment comme un obscur agent de grandes manœuvres russes, alors que ce pays est notoirement le seul où il n’y a pas de présence militaire russe, si prégnante au contraire en Arménie qui a concédé volontairement à Moscou des bases militaires et qui est membre de son alliance militaire dite OSTC, et en Géorgie, où la Russie a imposé sa présence militaire dans les parties de ce pays qu’elle occupe de fait.

5. Une fois de plus l’Association « Dialogue France-Azerbaïdjan » demande aux médias français, comme aux parlementaires français :

De se rendre sur place, en Arménie, en Azerbaïdjan, dans le Karabagh, pour se rendre compte par eux-mêmes des réalités, de ce que sont les sociétés sur place, les opinions sur place (encore une fois, elles sont bien distinctes de celles de la « diaspora » laquelle est à l’abri des conséquences de la guerre) ; pour se rendre compte de la réalité de ce qu’a été l’occupation de vastes territoires azerbaïdjanais en matière de destruction et d’épuration ethnique ;

D’écouter les voix de la paix, et non celles de la guerre et de la revanche à partir de revendications ethniques, pseudo-historiques ou fabriquées (légende d’un Staline arbitre anti-arménien des frontières, assimilation faussaire de l’Azerbaïdjan avec les Ottomans de 1915, assimilations grossières entre islam azerbaïdjanais et islam militant…) ;

De favoriser la réconciliation et l’intégration économique des pays du Caucase, comme le préconise le président Ilham Aliev, ce qui passe par l’ouverture des voies de communication transfrontalières, dont les routes transnationales, les chemins de fer et les pipe-lines de la Caspienne à la Mer Noire ;

De reprendre pour la France le chemin de la neutralité et de la médiation, ce qui veut dire le retour à une diplomatie discrète et professionnelle comme celle du Groupe de Minsk, et non de grandes déclarations publiques qui offensent successivement les parties au conflit et les grands acteurs de la région, ou encore des résolutions parlementaires retentissantes mais sans autres lendemains que de rajouter de l’huile sur le feu. En revanche, le prestigieux Parlement français aurait tout bénéfice, non seulement, comme déjà dit plus haut, à envoyer lui aussi des missions sur place afin de saisir sur le terrain les faits et les opinions ; comme aussi à entendre en France la diversité des voix dans l’émigration issue du Caucase, et aussi la diversité des opinions des experts qui connaissent vraiment la région et y cherchent les moyens d’avancer vers la paix et non de s’enfoncer dans les fausses et meurtrières mythologies des conflits de civilisation ;

De penser aux intérêts bien compris du peuple arménien, qui est de vivre dans ses frontières internationalement reconnues, et non au-delà ; de renoncer à l’expansionnisme ethnique et à un conflit qui épuise ses rares ressources, le poussant à émigrer en masse (la population est déjà diminuée de moitié par cette émigration, la plus grande partie en Russie). Le vrai intérêt de l’Arménie est de vivre en bon voisin de l’Azerbaïdjan locomotive économique de la région. Le vrai intérêt de l’Arménie, c’est de s’affranchir de la tutelle d’une diaspora qui, souvent issue d’évènements tragiques et d’autre part confrontée, comme toutes les diasporas, à des questions identitaires qui ravivent les plaies et les fantômes du passé, vit dans des sphères parallèles, dépassées et détachées de la réalité et des vraies préoccupations de ceux qui vivent sur place ;

De participer à la reconstruction du Haut-Karabagh et de son riche patrimoine culturel et religieux (chrétien comme musulman), après les destructions systématiques entreprises par l’occupation militaire et la politique des ultra-nationalistes. La France, pays siège de l’Unesco, a l’expertise et la vocation pour être leader dans la contribution internationale à cette reconstruction culturelle et patrimoniale.

En conclusion, l’Association Dialogue France – Azerbaïdjan exprime son vœu de participer à renouer le dialogue unilatéralement endommagé entre Paris et Bakou, et à contribuer au retour de la France comme acteur des médiations dans le Caucase ; Caucase qui doit, plus que jamais, à proximité de la catastrophe ukrainienne, sortir des logiques de guerre pour entrer dans celles de la paix et de l’intégration économique.


Lire également