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LES SÉNATEURS ET LES « PARACHUTISTES »

Publié le | par Engin | Nombre de visite 382
LES SÉNATEURS ET LES « PARACHUTISTES »

Turquie News mets en ligne un article de Anar Rasuloghlu Rzayev, un écrivain, dramaturge et réalisateur azerbaïdjanais.

LES SÉNATEURS ET LES « PARACHUTISTES »

Je suis sur les chaînes de télévision la résolution hâtive et honteuse du Sénat français appelant à reconnaître « un Etat » qui n’existe pas en réalité.
Sur Euronews, on cite avec délectation un extrait du discours du sénateur appelant l’Azerbaïdjan à « libérer sans délais les territoires occupés » et je me pose alors cette question : qui est ce sénateur, un provocateur vendu ou un idiot fini ?
Et en même temps, tout à fait involontairement, viennent à mon esprit des associations avec un texte que j’ai lu il y a 60 ans. Et, fait intéressant, je me souviens non seulement du contenu et de l’esprit de ce texte, mais aussi de l’épigraphe de Romain Rolland.

Pour le vérifier, je cherche dans ma bibliothèque le 6ème numéro de l’an 1958 de la revue "Littérature étrangère".

En effet, l’article d’Henri Alleg « Interrogation sous la torture » (La Question) est éclairé par une épigraphe de Romain Rolland tiré de « Jean-Christophe » : “En attaquant les Français corrompus, c’est la France que je défends”.

62 ans plus tard, je relis le témoignage glaçant du journaliste français défunt sur les atrocités commises par les colonialistes français lors de la répression du mouvement de libération du peuple algérien.

Henri Alleg, un honnête journaliste français, est tombé entre les mains de tortionnaires, car il a essayé d’écrire la vérité dans son journal et a subi des tortures inhumaines, parce qu’il n’a trahi aucun de ses partisans. Il a été torturé par des monstres déguisés en hommes.
Aux « entrants », tombés entre les pattes des assassins, les questions que l’on pose sont : « Arrêté depuis longtemps ? Torturé ? Paras ou policiers ? »

A cette époque lointaine, les tortionnaires les plus cruels étaient parmi les « parachutistes ».

« Dans cette immense prison surpeuplée, dont chaque cellule abrite une souffrance, parler de soi est comme une indécence. Au rez-de-chaussée, c’est la « division » des condamnés à mort. Ils sont là, quatre-vingts, les chevilles enchaînées, qui attendent leur grâce ou leur fin. Et c’est à leur rythme que nous vivons tous.
Pas un détenu qui ne se retourne le soir sur la paillasse à l’idée que l’aube peut être sinistre, qui ne s’endort sans souhaiter de toute sa force qu’il ne se passe rien.
Mais c’est pourtant de leur quartier que montent chaque jour les chants interdits, les chants magnifiques qui jaillissent toujours du cœur des peuples en lutte pour leur liberté.

Des nuits entières, durant un mois, j’ai entendu hurler des hommes que l’on torturait, et leurs cris résonnent pour toujours dans ma mémoire. … Hébétés par la torture et les coups, (ils) ne savaient plus que murmurer en arabe les premières paroles d’une ancienne prière. »

Henri Alleg, décrivant ses propres épreuves, révèle aux lecteurs tout un « bouquet » de tortures qu’il avait subies. Il y a eu des coups, des moqueries, des décharges électriques par des fils attachés à diverses parties du corps, la torture par la faim, la soif et bien plus encore, des tortures « inventées » par l’imagination perverse des bourreaux. Et ceci dans un pays où, il y a un siècle et demi, était proclamée la devise « Liberté, Égalité, Fraternité ».

Cependant, les « parachutistes » ne se leurrent pas d’illusion de grands mots. L’un d’eux déclare : « Ici, c’est la Gestapo ! Tu connais la Gestapo ? Ce qu’on fait ici, on le fera en France. …Et ta putain de République, on la foutra en l’air aussi ! ».

Il y a des années, j’avais écrit dans Pensées nocturnes : « L’introduction de la démocratie dans l’esprit des intellectuels, même les plus progressistes, les mieux pensants et les plus honnêtes, n’est pas si simple.
Dans certains esprits, les idéaux d’égalité, de liberté et de démocratie se conjuguent avec des ambitions purement impérialistes dans une combinaison incompréhensiblement bizarre.
Un grand nombre de meilleurs hommes de France, qui proclamaient les nobles idées de liberté et d’indépendance, ses glorieux citoyens qui, les armes à la main, se sont levés pour défendre leur terre pendant l’occupation nazie, ont combiné ces sentiments patriotiques louables avec le slogan d’« Algérie française ».
Que dire des « parachutistes » qui ont leur propre « morale », ou plutôt une anti-morale : ce qui est applicable à nous, n’est pas applicable aux peuples colonisés par nous-mêmes.
Le patriotisme national n’est que notre privilège, les « indigènes » opprimés par nous n’ont pas droit au sentiment de la dignité nationale.

Est-il possible que certains sénateurs français (et, malheureusement, ils constituent la majorité) soient si analphabètes pour ignorer que : ce n’est pas l’Azerbaïdjan qui a occupé les terres de l’Arménie, mais que c’est bien l’Arménie qui a occupé pendant trente ans les 20% du territoire de l’Azerbaïdjan, dont l’intégrité territoriale est reconnue par la communauté internationale, y compris la France ?
Malgré les quatre résolutions de l’ONU exigeant le retrait immédiat des troupes arméniennes des territoires occupés, la France, en tant que coprésidente du Groupe de Minsk, a mené des négociations insensées et peu prometteuses pendant plus d’une décennie en prétendant résoudre le conflit.
Entretemps, les occupants arméniens ont construit leurs « lignes Maginot » soi-disant infranchissables, d’une part, et d’autre part, suivant le principe de la « terre brûlée », ils ont détruit des bâtiments résidentiels, des monuments architecturaux, des mosquées et des églises orthodoxes, abattu des arbres centenaires et brûlé des bois entiers.

Et les sénateurs français, ne sachant pas ce qu’ils font, nous demandent le retrait des troupes azerbaïdjanaises de nos propres territoires libérés.

Quant au principe d’autodétermination, le peuple arménien s’est déjà autodéterminé une fois sur le territoire de la République d’Arménie. Il n’est pas possible de « s’autodéterminer » dans chaque pays où vous déménagez et où vous vivez, et même de déclarer ces enclaves séparatistes comme étant « État indépendant ».

Est-ce si difficile pour les sénateurs français de le comprendre ? Les sénateurs qui ont voté "pour" savent-ils que la partie montagneuse du Karabakh était une partie intégrante du khanat azerbaïdjanais du Karabakh au 19e siècle et qu’elle constituait une province autonome de la République d’Azerbaïdjan à l’époque soviétique ?

A Paris, sur la place de la Concorde, se dressent des statues allégoriques des huit villes françaises.
Pendant la Première Guerre mondiale, lorsque l’Allemagne de Kaiser s’est emparée des territoires français, l’Alsace et la Lorraine, la statue de Strasbourg sur la place de la Concorde a été drapée de noir jusqu’à sa libération à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Aujourd’hui, la France et l’Allemagne sont des sœurs européennes. Avant le confinement, la chancelière Angela Merkel et le président Emmanuel Macron se faisaient la bise à chaque fois qu’ils se rencontraient. Pourquoi les sénateurs français ne recommanderaient-ils pas à leur gouvernement de céder la ville allemande de Strasbourg à leur sœur allemande ou de reconnaître l’indépendance de la Corse comme un État à part ? Et pourquoi ne pas déclarer Marseille comme ville traditionnellement arménienne, puisque des centaines de milliers de personnes de cette ethnie y vivent ?

C’est à ce moment que le principe de « deux poids, deux mesures » entre en vigueur. Ce qui est catégoriquement inacceptable pour un pays peut être appliqué à un autre.

Les sénateurs sont préoccupés par la préservation des monuments historiques et religieux sur les terres que nous avons libérées. Admettons qu’ils ne sont pas au courant de la préservation totale de l’église arménienne au centre de Bakou. Très probablement, ils ignorent également la contribution de l’Azerbaïdjan à la restauration des sites historiques, y compris des monuments chrétiens, en Europe.
Mais ne regardent-ils pas les reportages de leurs propres correspondants occidentaux sur les territoires libérés en Azerbaïdjan, ne voient-ils pas les villes rasées, les mosquées détruites et profanées ? Les représentants des services diplomatiques étrangers à Bakou ne voient-ils pas de leurs propres yeux et ne transmettent-ils pas à leur pays des informations sur les ruines que sont devenues des villes autrefois prospères, comme Agdam, Füzuli, Jebrail ?

N’ont-ils pas entendu parler des ruines de Tartar, causées par des bombes à sous-munitions interdites ? Et avec tout cela, pas un mot de compassion pour les victimes qui ont perdu leur famille et leurs proches. Et pas un mot de condamnation des criminels de guerre.
Les Occidentaux instruits (et ils constituent sans aucun doute la majorité) conçoivent-ils qu’une adhésion constante à la justice à géométrie variable peut engendrer une explosion d’indignation de la part des masses soumises à une fausse propagande ?

Pourquoi certains actes de terrorisme sont-ils justement condamnés, tandis que d’autres, comme les attentats commis par des terroristes arméniens à l’aéroport de Paris Orly, non seulement ne sont pas condamnés, mais sont présentés comme des actes de représailles (de « châtiment » pour les événements tragiques d’il y a un siècle) ?
Les intellectuels, les maîtres de la pensée européenne, entendent-ils que les conséquences des doubles standards, du principe de « deux poids, deux mesures », de l’évaluation à géométrie variable des mêmes événements sont destructeurs pour tous, aussi bien en Orient qu’en Occident ?

Enfin, j’aimerais citer un autre extrait du texte d’Henri Alleg : « Il faut qu’ils sachent que les Algériens ne confondent pas leurs tortionnaires avec le grand peuple de France, auprès duquel ils ont tant appris et dont l’amitié leur est si chère. Il faut qu’ils sachent pourtant ce qui se fait ici EN LEUR NOM. »

Des paroles remarquables. J’ai, moi aussi, un profond respect pour la grande culture française, pour ses penseurs et ses poètes, pour ses grands romanciers et ses peintres. Et je sais, je suis convaincu qu’à côté des héritiers spirituels des « para », il y a la France, fidèle aux traditions d’Henri Alleg, la France de tous les gens scrupuleux. Et ces Français honnêtes, contrairement à la majorité sénatoriale, sont très nombreux.

ANAR

Le 29 novembre 2020


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