Les relations de l’Arménie avec la Russie sont parfaites, parce qu’elles sont pires avec la Turquie, telle est la première représentation qu’on fait en analysant les rapports de cette plus petite république de l’ancienne post-soviétique avec celle du plus « grand ». Situant entre l’Azerbaïdjan et la Turquie, l’Arménie a toujours considérée la Russie avant tout comme un « garant sécuritaire pour sa survie ». L’histoire de ce rôle de la Russie à l’égard des arméniens commence à partir du début du XIX siècle, la période où elle devient le protecteur des arméniens vivant à l’empire Ottoman, et s’empare du territoire actuel de la République d’Arménie suite à une guerre sanglante contre la Perse.
Il ne serait pas tout à fait exact d’analyser les relations arméno-russes seulement à la lumière des problèmes de l’Arménie avec la Turquie et l’Azerbaïdjan. Il est en même temps vrai que ce « duo » est à l’origine de la détermination de la place de l’Arménie dans la configuration géopolitique régionale.
La Russie a toujours tenté, et continue actuellement, de passer de sa présence purement militaire à une présence économique en Arménie. Aujourd’hui, qu’est-ce que représente la Russie pour l’Arménie au sens économique ? Selon les statistiques 2009, à peu près 25 % des produits importés en Arménie provient de la Russie, et 15% de l’exportation arménienne seulement est destiné vers Moscou[1]. Dans ce sens, la Russie est le premier client et le premier fournisseur de l’Arménie. Elle est également le premier investisseur étranger en Arménie. Pourtant, l’échange commercial entre les deux pays est beaucoup déséquilibré. Or, le volume de l’exportation de la Russie en Arménie dépasse 9 fois celle de l’Arménie en Russie. Mais, en effet, les statistiques sur le commerce officiel entre les deux pays ne reflètent pas complètement l’importance économique de la Russie pour l’Arménie. La Russie dispose sur son sol la plus grande diaspora arménienne au monde. Une grande partie de cette diaspora est l’origine de l’émigration arménienne ces 20 dernières années, quittant l’Arménie pour s’installer en Russie à cause de la pauvreté et du chômage qui touchent leur pays. Une partie importante (72%) de transferts de fond annuel, qui a atteint un milliard de dollars en 2005, provient des membres de la diaspora arménienne en Russie.[2] Si on tient compte que ces transferts dépassaient parfois l’export total de l’Arménie, alors on comprend le niveau de la dépendance de l’Arménie sur ce point de la Russie. La forte présence économique russe en Arménie n’est pas la réussite russe d’une compétition économique. Moscou profite beaucoup des conditions géopolitiques défavorables dans lesquelles se trouve l’Arménie. Il suffit juste rappeler le fait qu’en 2003, incapable de payer ses 93 millions de dollars de dette, l’Arménie a cédé quelques de ses entreprises stratégiques à Moscou, telle que la centrale hydroélectrique Hrazdan qui produit seule 20% d’électricité du pays. Au cours de la même année, Moscou a obtenu le contrôle financier sur la centrale atomique Metzamor, au nord de l’Arménie. Depuis 2004, la compagnie russe-United Energy Systems contrôle 80% de la production électrique en Arménie. Mais, certains analystes disent que des efforts de la Russie pour renforcer la sa position dans l’économie arménienne ne sont pas liés à des motivations économiques. Car, l’Arménie avec sa population en dessous de 3 millions d’habitants et avec l’étroitesse de son marché n’est même pas comparable avec la capacité d’une n’importe quelle province russe de la taille moyenne. Donc, elle ne représente pas des débouchés économiques stricts aux yeux de la Russie. Sur ce point, il faut se rappeler théorie de « l’empire libérale » d’Anatolie Tchubaïssa, selon laquelle la présence économique est un moyen pour la Russie d’atteindre une influence politique[3]. Dans cet esprit, les calculs économiques n’expliquent pas les raisons d’action de Moscou en Arménie[4].
En raison de ses moyens de pressions politiques sur l’Arménie, la Russie peut influencer même sa politique économique intérieur et extérieure au profit des intérêts nationaux russes. L’affaire de pipeline Téhéran-Erevan est une parfaite exemple à ce propos : l’Arménie signe avec l’Iran en 2004 un contrat de gaz, visant à approvisionner le pays avec le gaz iranien. La Russie a fait une pression sur l’Arménie, contre la volonté de l’Iran, pour qu’elle réduise le diamètre de ce gazoduc de 1,420 millimètre - la taille normale de la plupart des gazoducs, à 700 millimètre, ou sois à deux fois moins de sa taille originelle[5]. N’étant pas satisfait par ce succès, Moscou a également forcé l’Arménie de donner le contrôle la partie arménienne du pipeline à la société ArmRosGaz – dont Gazprom détient près de deux/tiers des intérêts. Cette attitude de la Russie visait à empêcher à un éventuel transit du gaz iranien à un pays tiers à travers ce pipeline. Autrement dit, La taille minimale de ce pipeline, pourrait « emprisonner » l’Iran au marché arménien (la Russie veut que l’Iran exporte ses richesses gazières vers les marchés asiatiques, de cette manière, elle préservera « le monopole russe » dans le marché européen) et continuer à garder l’Arménie sous sa tutelle énergétique[6]. Les efforts de diversification de l’Arménie de ses sources d’énergies ont poussé la Russie à être moins dur pour le tarif du prix du m3 gaz vendu en Arménie en 2006, tandis que les pays voisins voient doubler ou tripler le même prix[7]. Tandis que pour l’Arménie « passera de 56 dollars pour 1 000 m3 en 2005 à 110 dollars au 1er janvier 2006 »[8], Moscou « oblige l’Azerbaïdjan et la Géorgie à se fournir en gaz russe au tarif de 235 dollars pour 1 000 m3 imposé par Gazprom » (alors que celui-ci était de 110 dollars en 2005)[9].
Donc, on a vu que la dépendance de l’Arménie vis-à-vis Moscou ne se limite pas seulement aux domaines militaires et politiques, mais aussi économique. La situation dans laquelle se trouvait l’Arménie depuis son indépendance l’a toujours poussé à penser à diversifier ses voies de communications avec le marché mondial. L’économie arménienne avait connu un sévère déclin dans les années 1990 (en1992-1993, le PIB avait chuté de 60% par rapport à 1989)[10]. Le pays avait perdu toutes les activités commerciales, en général tout contact dans ses frontières Est et ouest, respectivement avec l’Azerbaïdjan et la Turquie. Le seul lien ferroviaire liant l’Arménie et l’Iran passant par le territoire azéri était fermé, et les voies terrestres avec Téhéran étaient en état terrible. Souffrant le double embargo, les liens de l’Arménie avec la Russie n’étaient pas non sûr non plus à cause de ses passages par des zones de conflit en Abkhazie et Ossétie du Sud. Cette situation a rendu la Géorgie un poumon vital pour l’économie arménienne. Aujourd’hui, 80% du commerce extérieur de l’Arménie se réalise en traversant le territoire géorgien. Sous cet angle, la Guerre russo-géorgienne en août 2008, a montré encore une fois que l’Arménie doit trouver de nouvelles voies d’accès au marché mondial.
[1] Statistiques de la Commission Européenne concernant le commerce extérieur de l’Arménie, op.cit.
[2] Minassian G., op.cit., 91
[3] International Crisis Groupe, « Armeniya : v predverii vnutripoliticeskoy nestabilnosti » Rapport N°158. Le 18 octobre 2004. p. 27
[4] L’achat du gaz azéri à un prix élevé au nom du futur contrôle sur le marché d’hydrocarbures de la région peut aussi être expliqué par cette vision de la Russie.
[5] International Crisis Groupe, Arm. Art.cit., p. 28
[6] L’Arménie consomme approximativement 1,5 mlrd m3 gaz par an. Le nouveau gazoduc approvisionne 400 mlns m3 gaz iranien par an depuis 2007, et à partir du 2011 ce chiffre s’élèvera à 2,3 mlrd m3 par an.Donc, la place du Gazprom dans le marché arménien sera réduit, et il cherche à contrebalancer cet effet indésirable.
[7] Mathey R., art.cit., p.98
[8] Kahn M., Arménie 2005. Entre deux caps, Le Courrier des Pays de l’Est 2006/1, 1053, p. 94-106. p.104
[9] Mathey R., Azerbaïdjan 2006. Croissance hors norme et consolidation du pouvoir, Le Courrier des Pays de l’Est 2007/1, n° 1059, p. 94-108. P. 105
[10] Doru Cojacaru, op.cit.., p.87