En mars 1957, six pays européens signaient le « Traité de Rome » qui permettait d’établir les bases de leur coopération, naissait alors la CEE (Communauté Economique Européenne). Les années suivantes seront consacrées à l’approfondissement des relations économiques et politiques des pays membres fondateurs et à l’élargissement de la CEE aux autres pays européens.
Ainsi, le 1er janvier 1973 le Danemark, l’Irlande et, bien que la France s’y était d’abord opposée, le Royaume-Uni intégreront la CEE. Faisant passer les membres de 6 à 9.
Au milieu des années 1970, le cas de l’intégration de la Grèce commençait à être débattu. Nombre de pays pointaient alors l’inopportunité d’intégrer ce pays, qui, ni sur le plan économique ni celui politique, n’était prêt à rejoindre la CEE.
C’est la France, sous le poids politique et l’impulsion décisive de l’ancien président grécophile Valéry Giscard d’Estaing pour qui « une Europe sans la Grèce aurait été comme un enfant sans certificat de naissance » ou encore qu’ « on ne fait pas jouer Platon en seconde division », que l’adhésion rapide de la Grèce à la CEE aura lieu, le 1er janvier 1981.
Cette conception de la CEE centrée sur les questions identitaires était, sinon la première, du moins la plus importante entorse à l’esprit rationnel et tourné vers l’avenir qui avait présidé à sa construction. Par ailleurs, le désir de trouver une « âme » à l’Europe ne pouvait se réaliser dans l’image mythifiée d’une civilisation disparue il y a plus de 2 millénaires.
Ainsi, comme les Grecs d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec les Platon et les Socrate, la Grèce moderne n’avait plus rien à voir avec la Grèce antique. Néanmoins, le caractère et le « goût de l’ordre » de Valéry Giscard d’Estaing faisait manquer ces réalités.
La Grèce adhérait donc à l’UE en 1981. Le pays, économiquement faible, reçoit alors une grande partie des fonds structurels européens pour le « mettre à niveau ». Les « paquets Santer » succèdent aux « paquets Delors », se seront ainsi plus de cent milliards d’euros en 20 ans qui seront attribués aux Grecs - 9 milliards d’écus (1 écu = 1 euro) pour la période 1989-1993, 21 milliards d’écus entre 1994-1999, 45 milliards d’euros entre 2000-2006 et 30 milliards d’euros entre 2007-2010.
Cette aide, faite sans réel contrôle, permettra des avancés sociale et économique mais approfondira également le système de corruption, le clientélisme, la fraude sociale en Grèce. Des projets d’infrastructures, financés à 85% par l’Europe, comme la gigantesque « voie Egnatia », autoroute qui traverse le Nord de la Grèce de part en part, mais peu utilisée, les « jeux Olympiques », ou des projets abandonnés avant leur achèvement, seront l’occasion de détournement de dizaine de milliards d’euros d’aides européennes – Pascal Canfin, Ministre délégué au Développement, estime à deux cent milliards d’euros l’évasion fiscale grecque rien que vers la Suisse.
Malgré un système économique et politique défaillant, une dette publique déjà très supérieure à ses voisins – 107 % du PIB au lieu de 60% autorisé par l’UE – la Grèce rejoint en 2001 la zone euro créée deux ans plus tôt.
Néanmoins, à mesure de l’adhésion de nouveaux pays à l’UE, la part des aides européennes à la Grèce diminuant, cette dernière commence alors à emprunter massivement sur les marchés, ici encore sans réel contrôle des institutions européennes, profitant de la garantie que constitue son statut de pays membre à l’UE et la confiance qu’inspire la zone euro aux créanciers.
Sa dette passait alors de 107% en 2001 à 130% du PIB en 2009, puis à 145% en 2010 et 165% en 2011. Facteur de problème supplémentaire, le maquillage des comptes publics avec l’aide de la banque d’affaire américaine Goldman Sachs, faisant apparaître une dette et des déficits publics moins importants que dans la réalité.
En 2004, le scandale des comptes trafiqués éclatera, mais sans beaucoup de réactions européennes ni volonté de contrôle – Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne, affirmera dans ce sens : « nous disions depuis longtemps que les chiffres étaient faux, mais les Etats membres nous ont empêché d’aller vérifier sur place » – mais c’est en 2009, avec la crise financière, que l’ampleur et la gravité des manipulations comptables grecques apparaîtra.
La suite nous la connaissons, la Grèce entrera dans une grave crise financière et économique, entraînant l’Europe entière dans sa chute. Les pays membres contributeurs qui jusqu’ici avaient fermé les yeux, refusent désormais de « payer pour la Grèce corrompue », mettent le pays sous pression et quasi-tutelle, des tensions apparaissent dans les pays dont les banques sont exposées à la dette grecque, qui, chacun le sait, ne sera pas remboursée, ces tensions vont jusqu’à envisager la fin de la zone euro.
Les États-Unis, quant à eux, ils se frottent les mains, une des grandes craintes américaines est l’apparition de monnaies rivales du dollar, principale devise de réserve et d’échanges internationale, et qui permet aux Etats-Unis, d’atténuer l’inflation, en maintenant la valeur de leur monnaie malgré les quantités astronomiques injectées chaque année. Certains analystes iront jusqu’à dire que les Etats-Unis ont attaqué l’Euro par la Grèce, ce qui n’est pas inenvisageable sachant que ce pays a longtemps vécu, et vit toujours en partie, dans l’orbite de Washington.
Ainsi, l’esprit identitaire de l’Europe chrétienne ou de la mythique Grèce antique depuis longtemps éteinte, qui a présidé à l’adhésion de la Grèce à l’UE puis à l’Euro, n’a pas tenu devant les réalités de ce pays. Celles-ci aujourd’hui menacent l’UE entière et a fait perdre beaucoup d’argent, d’énergie, de temps et plus important que le reste de la confiance des membres entre eux.
C’est cette même conception étriquée, frileuse, sans ambition de l’Europe, non pas des bonnes volontés mais des « coreligionnaires » qui l’a emporté dans les grands pays fondateurs et qui, sous des prétextes géographiques, sociaux ou historiques, rejette l’adhésion de la Turquie à l’UE, conception dont Valéry Giscard d’Estaing, encore lui, est un des principaux porte-drapeau. Les « Giscard d’Estaing » ont donc (jusqu’aujourd’hui) gagné, l’Europe peut-être moins.