L’ÉTAT DE LA TURQUIE AVANT LA RÉPUBLIQUE
A la veille de la fête de la République turque le 29 octobre, je vous soumets la traduction d’un article de l’éditorialiste Yılmaz ÖZDİL qui nous dresse un état des lieux de la situation dont les Turcs ont hérité avec la chute de l’Empire ottoman.
Yilmaz Özdil a fait une compilation des recherches de différents historiens qui ont écrit sur l’Empire ottoman et Atatürk comme Justin McCarthy, Sinan Meydan, Bernard Lewis ou Thierry Zarcone.
Voici donc l’état du pays avant qu’Atatürk ne le sauve de l’occupation ennemie.
Tant que certains Turcs ne seront pas en paix avec leur passé ottoman et tant que d’autres continueront dans la haine revancharde envers Atatürk, la société turque ne pourra pas évoluer et prospérer de façon équilibrée et saine.
TRADUCTION
La démographie turque comptait 13 millions d’âmes dont 11 millions vivaient à la campagne.
Il y avait 40 mille villages dont 37 mille sans école, sans poste et sans commerces.
30 mille de ces villages n’avaient même pas une mosquée, soit 3 villages sur 4.
Nous n’avions pas un seul tracteur, et encore moins de moissonneuse-batteuse. Nous avions en tout et pour tout des araires tractés par un animal.
Il n’y avait aucune production de tournesol, ni de sucre. Même la farine permettant de fabriquer notre pain était importée, de même que le riz.
Dans tout le pays, on ne pouvait irriguer que 5 mille hectares de terres.
5 mille villages souffraient de peste bovine. Les animaux mourraient en masse, les hommes mourraient en masse.
1 million d’individus étaient atteint de la vérole, 2 millions de la malaria et 3 millions souffraient du trachome. Je suis sûr que les plus jeunes sont en train de chercher sur internet ce qu’est le trachome car cette maladie a totalement disparu de notre vie. A l’époque, 3 millions de Turcs étaient touchés par cette infection oculaire contagieuse. Les épidémies de tuberculose, de typhus, de fièvre typhoïde étaient courantes. On ne parvenait même pas à combattre les poux. Le taux de mortalité infantile était supérieur à 40%, un enfant sur 2 mourrait. Le taux de mortalité des femmes dépassait les 18%, une mère sur 5 était condamnée à mourir. L’espérance de vie n’était que de 40 ans. Celui qui voyait ses 41 ans était chanceux.
Le pays ne comptait que 337 médecins. Sur tout le territoire, il n’y avait que 60 pharmacies dont uniquement 8 étaient turques.
Il n’y avait pas un seul dentiste.
Il n’y avait pas plus de 4 infirmières et 136 sages-femmes pour les 40 mille villages du pays.
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Il y avait 115 mille immeubles incendiés, 12 mille endommagés, et plus de 1000 villages réduits en cendre ; il fallait reconstruire le pays et pourtant, même pour les tuiles, nous étions dépendants des pays étrangers.
Les ports et les mines appartenaient aux étrangers, pas un seul mètre linéaire des voies ferrées n’était notre propriété.
Seuls 15% du patrimoine national étaient turcs.
De tout l’Empire ottoman ne subsistaient que 4 malheureuses fabriques : la soierie de Hereke, la lainerie de Feshane, le textile de Bakırköy et le cuir de Beykoz. Les exploitations nommées « industrie » n’étaient même pas équipées de moteurs. Il n’y avait que 280 établissements employant plus de 10 salariés dont 250 appartenaient aux étrangers. Le revenu national brut par habitant n’était que de 45 dollars.
Seules les villes d’Istanbul, Izmir et Tarsus disposaient de l’électricité mais pouvaient-elles vraiment en disposer vu que la production électrique totale du pays ne dépassait pas 50 kWh, oui, vous avez bien lu 50 kWh (Comparez avec la consommation turque d’électricité par habitant en 2013 qui était de 2 761 kWh) !
Dans tout le pays, il n’existait pas une seule route praticable toute l’année, en toutes saisons. D’ailleurs, il n’y avait que 490 bus et seules quatre villes voyaient une voiture privée.
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Dans cet état de grande misère du pays, nous avons accueilli 400 mille personnes suite à l’échange de populations. Ces individus n’avaient ni argent, ni travail, ni foyer, ni parents et beaucoup souffraient de diverses maladies. Un enfant sur 2 trépassait en route ou au dessus des charrettes.
Je le sais de ma propre famille dont certains membres, de désespoir, ont vécu dans une grotte, oui une grotte !
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La femme n’était pas considérée comme un être humain à part entière.
Elle n’avait quasiment aucun droit, ni de bénéficier d’une éducation égale, ni d’apprendre un métier, ni de divorcer, ni de jouir de l’autorité parentale, ni de disposer librement de son héritage, ni d’aller voter, ni de se faire élire, ni de bénéficier de congés maternité, ni d’avoir des traitements salariaux égaux au travail, ni de droit à l’avortement, ni à la contraception, ni d’utiliser son nom de jeune fille.
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Il n’y avait ni théâtre, ni musique, ni statut, ni sport. Les trésors archéologiques avaient été légalement sortis du pays par train, en guise de cadeaux du Sultan aux étrangers.
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Certains utilisaient des horloges à la turque considérant qu’il était 12h au crépuscule. D’autres employaient un système d’heures estimant qu’il était 12h lorsque le soleil était au zénith. Pour d’autres, il était 12h à la tombée totale du soleil. Et d’autres encore se basaient sur l’heure de la prière. Bref, un son de cloche différent selon son interlocuteur si l’on demandait : « Quelle heure est-il ? ».
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Certains utilisaient le calendrier hégirien et d’autres le calendrier grégorien. Le mois de février de certains correspondait au mois de décembre d’autres. Ils étaient tous dans le même espace temps mais vivaient dans des mois différents…
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Nos unités étaient le dirhem (drachme), okka, çeki.
Arşın (archine), kulaç, fersah (farsakh).
Nous n’étions en phase avec le reste du monde ni avec nos poids, ni avec nos longueurs,…
Nos unités étaient anachroniques.
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Durant 600 ans, la langue turque avait été victime d’un viol. L’amalgame de l’arabe et du persan avait été nommé l’ottoman. Les mots français, italiens et autres termes occidentaux avaient envahi notre langue. Ils écrivaient la langue turque ouralo-altaique avec l’alphabet arabe sémitique malgré des non-correspondances phonétiques.
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Certains osent prétendre : « Ils ont changé l’alphabet et on est tous devenus analphabètes en une nuit » alors que 150 ans après İbrahim Müteferrika, le premier imprimeur ottoman, le nombre de livres imprimés n’excédait pas 417. Et la majorité d’entre eux était sortie des imprimeries gérées par des non-musulmans. D’ailleurs, Müteferrika lui-même était un converti d’origine hongroise.
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Jusqu’à ce que notre pays ne fasse connaissance avec les livres, 2,5 millions de livres divers et variés avaient été imprimés en Europe et plus de 5 milliards avaient été vendus. Voltaire décrivait une bien cruelle réalité dans l’un de ses ouvrages : « Ce qui est publié en une année à Istanbul est bien moins que ce que l’on publie à Paris en un seul jour ! ».
Le journal n’existait qu’à Istanbul et Izmir.
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Seuls 7% des hommes et 0,4% des femmes savaient lire et écrire. L’écrasante majorité de ces hommes étaient soit des officiers militaires, soit des non-musulmans.
3 enfants sur 4 arrivant à l’âge de scolarité n’allaient pas à l’école.
Au total, il n’y avait en Turquie que 4894 écoles primaires, uniquement 72 collèges et seuls 23 lycées. Dans la capitale Ankara par exemple, il n’existait que 2 lycées. Dans tous les lycées de Turquie, le nombre de filles scolarisées ne dépassait pas 230. Un tiers des enseignants n’avait même pas reçu une formation pour enseigner. Dans tout le pays, il n’y avait qu’une seule université, le Darülfünun. Le pays était bien éloigné de la science. Le turc était interdit dans les madrasah qui n’étaient rien d’autres que des foyers de fanatisme où l’on enseignait des superstitions, sous couvert de religion.
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Le matin du 30 octobre 1923, Mustafa Kemal écrit de sa main une lettre à İsmet İnönü. Le premier jour de la République, le premier Président de la République dit au premier Premier ministre de la République :
« Nous avons hérité d’un pays endetté, malade et en retard. Nous allons devenir un exemple pour tous les pays pauvres et soumis. C’est là une mission que nous attribue le destin. Nous sommes obligés de la mener à bien, de créer une communauté nationale libre et contemporaine. Nous devons réussir cet idéal. J’ai voulu partager avec toi le poids et l’honneur de cette noble mission. Qu’Allah nous aide. »
L’avènement de la République est tout bonnement un miracle pour les Turcs !
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Et, nous voici le 29 octobre…
Je le dis clairement, celui qui salit la mémoire d’Atatürk est soit un traître, soit un traître.
Yılmaz Özdil
29 octobre 2016
©Traduit du turc par Özcan Türk
Source de l’article original en turc : http://www.sozcu.com.tr/…/yil…/cumhuriyet-mucizedir-1475895/