ATATÜRK par Ayten AKGÜRBÜZ

Editos & Tribune libre

L’AMERICAIN & ATATÜRK

Publié le | par Özcan Türk (Facebook), Pakize | Nombre de visite 1297
L'AMERICAIN & ATATÜRK

Le , il y a 94 ans jour pour jour. Au moment où Mustafa Kemal s’apprête à déclarer à ses camarades, au Palais de Çankaya, « Messieurs, demain, nous allons proclamer la République ! »…
*
A 10 mille kilomètres de là, à Elmira, dans l’État de New York aux Etats-Unis, un jeune garçon de 10 ans est assis devant le dactylographe de son père et prépare une lettre.
*
« A l’attention de Mustafa Kemal Pasha,
Angora
Turquie
Cher Monsieur,

Je suis un enfant américain de 10 ans. Je suis très intéressé par la Turquie et son nouveau gouvernement. J’ai lu une interview de vous et de madame Kemal.

J’ai commencé à constituer un cahier qui contient déjà un grand nombre d’articles et de photos, notamment de vous et de madame Kemal.

Pourriez-vous svp envoyer au garçon américain que je suis un petit mot accompagné de votre photographie dédicacée ?

J’espère qu’un jour, je pourrai visiter la Turquie.

Respectueusement,
Curtis La France
 »
*
Ce courrier daté du parvient à Ankara le suivant. Mustafa Kemal le lit. Il se retire dans son bureau et commence à rédiger une réponse.
*
« A l’attention de Monsieur Curtis La France
Elmira, N.Y.
U.S.A.
Cher Monsieur,

C’est avec plaisir que j’ai pris connaissance de votre lettre.

Je voudrais vous exprimer mes remerciements pour votre intérêt et vos vœux à l’égard de la Turquie.
Conformément à votre demande, je vous joins une photographie.

Ma seule recommandation pour le garçon américain intelligent et avisé que vous êtes est qu’il ne se limite pas aux seuls propos qu’il peut entendre sur les Turcs, mais qu’il forge son opinion à travers la lecture et des études scientifiques.

Je vous prie d’accepter tous mes vœux de réussite et de prospérité dans votre vie.
Sincèrement vôtre.

Le Président de la République de Turquie »
*
Le jeune Curtis de 10 ans est un descendant de l’illustre Lafayette, issu de la noblesse française, qui a joué un rôle décisif aux côtés des Américains dans leur guerre d’indépendance contre le pouvoir colonial britannique. Nommé général par George Washington, Lafayette contribue à ses côtés à chasser les Anglais et sera surnommé le « héros des deux mondes ».
*
Issu de la filiation d’un tel héros, le jeune Curtis grandit avec les récits vantant la liberté et l’indépendance. Malgré son très jeune âge, il sait à quel point la notion d’indépendance est une valeur capitale. Il lit, dans les journaux américains, les informations relatives à la Guerre de Libération turque, il est touché par l’interview de Mustafa Kemal publiée par The Saturday Evening Post, il devient un admirateur d’Atatürk au fil de ses lectures, sa curiosité est attisée par la toute nouvelle ville, « Angora », et sans se poser la question de savoir si son courrier parviendra ou non à destination, Curtis rédige sa lettre le .
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75 ans se sont écoulés.
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Durant très exactement 75 ans, la Turquie n’en a rien su !
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En effet, Mustafa Kemal n’avait pas rédigé cette lettre afin de faire la propagande de la Turquie. Il n’en avait même pas informé l’Ambassade des États-Unis. La presse l’ignorait également. Il n’avait fait que répondre avec sincérité à un jeune enfant de 10 ans, vivant à 10 mille kilomètres de là, qui lui avait exprimé ses sentiments avec sincérité. C’était tout.
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Curtis grandit. Il devient ingénieur de l’Université de Yale et obtient un master en gestion de l’Université de Columbia. Il part à Prague pour des études sur les langues slaves, mais éclate la Seconde Guerre mondiale. Il rentre chez lui et prend la direction de l’affaire familiale. Entrepreneur, il crée une usine de fabrication de véhicules de pompiers. De l’Europe à l’Afrique, il exporte dans des dizaines de pays et fait fortune. Il sponsorise, à lui seul, le musée d’art de Newport, l’Institut d’Histoire, le festival de musique de Newport et la bibliothèque Redwood. Il reçoit le prix du philanthrope de l’année.
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Alors qu’il a 85 ans, Curtis rencontre fortuitement une citoyenne turque nommée Saliha Sulander et lors de leur discussion, il lui parle de la lettre que lui a écrite Mustafa Kemal. Madame Saliha Sulander n’en croit pas ses oreilles. Elle fait des recherches, mais personne n’a strictement aucune information sur une telle missive. En réalité, la revue américaine « Life » avait publié en cette épître, mais notre chère presse turque, déconnectée du monde, n’en avait rien su. Madame Sulander en informe aussitôt le Consulat de Turquie. Des émissaires de l’Ambassade joignent Curtis et authentifient le document. Ils en informent Ankara.
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On est en . Sur instruction de Bülent Ecevit, notre ministre de la Culture, İstemihan Talay invite officiellement Curtis La France en Turquie.
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Curtis, accompagné de sa fille, atterrit à Ankara.

« Je sais qu’il y a une commune nommée Polatlı, j’aimerais m’y rendre avant les visites officielles svp » demande-t-il au grand étonnement de tous. Nul ne comprend pourquoi, mais on l’y emmène poliment. En fait, quand Curtis dirigeait son usine, il avait vendu des camions de pompiers à la mairie de Polatlı. À son plus grand plaisir, les véhicules livrés, il y a 40 ans, étaient toujours en fonctionnement !

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En fait, depuis , Curtis La France avait visité de nombreuses fois la Turquie. Il connaissait bien Ankara, Istanbul et Izmir. Il avait navigué le long du littoral turc sur la mer Egée et la mer Méditerranée. Il avait visité Anıtkabir et avait rendu hommage à Atatürk en se recueillant devant l’homme qui l’avait inspiré tout au long de sa vie.

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Cette fois, il venait à Ankara, « l’Angora » de son enfance, en qualité d’invité officiel de la République de Turquie. Il a déclaré : « Je suis en train de vivre le moment le plus émouvant de ma vie ». Curtis a offert au musée d’Anıtkabir la lettre que lui avait adressée Atatürk.

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Il a fait un bref discours lors de la cérémonie à Anıtkabir.
Ému, il a révélé : « En , quand Atatürk est mort, j’avais 25 ans. Ce jour-là, personne aux États-Unis n’a compris pourquoi j’avais pleuré ».

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En 2012, Curtis La France s’est éteint à l’âge de 99 ans.
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Lors de mes recherches sur la vie de Curtis, quand je suis arrivé à cette étape, croyez-moi, je n’ai pu retenir quelques larmes tant l’émotion m’a submergé. Je pense que vous devez être dans le même état. Lorsque Curtis a fermé les yeux à la vie, hasard du calendrier, c’était un 10 novembre… le jour où Atatürk est mort !
*
Et demain, nous serons le 29 octobre. Il est temps de s’interroger pour savoir comment nous sommes passés d’une République qui a inspiré des enfants américains qui ont rêvé de la visiter à une République où l’on ne peut même plus postuler pour un visa américain.

Yılmaz Özdil
28 octobre 2017

©Traduit du turc par Özcan Türk

Source de l’article en turc : http://www.sozcu.com.tr/2017/yazarlar/yilmaz-ozdil/curtis-2066747/

Lettre adressée par Curtis LaFrance
Lettre adressée par Curtis LaFrance
Réponse rédigée par Atatürk
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