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Interview : La France pourrait aider l’Azerbaïdjan dans la reconstruction du Karabakh

Publié le | par Engin | Nombre de visite 451
Interview : La France pourrait aider l'Azerbaïdjan dans la reconstruction du Karabakh

“La France se pose en garante de la mémoire, en défenseuse des minorités et parangon des droits de l’Humain… mais sommes-nous uniquement bien disposés à l’égard des peuples “chrétiens” ?”

Caucase de France a interviewé Antoine Liagre, spécialiste du marché des matières premières, analyste du marché agricole chez “Archer Daniels Midland Company”, sur le développement du secteur agraire au Karabakh, la politique de la France dans le Caucase du Sud et les mesures qui pourraient aider à rétablir la stabilité dans la région.

CDF – En tant qu’analyste du marché agricole, pensez-vous que la France et l’Azerbaïdjan peuvent avoir des projets communs dans ce domaine dans les territoires libérés de l’occupation arménienne ?

AL – Dans le domaine agricole, tout est à reconstruire dans la région du Karabakh autant dans la partie haute, revendiquée par l’Arménie en vue de son annexion et de l’accomplissement du Miatsum (terme signifiant réunification, c’est l’une des étapes sur le chemin de la Grande Arménie), que dans sa partie basse nettoyée ethniquement des populations turciques et autres par les Arméniens lors de la guerre des années 90.

Les forêts ont été rasées, les vignes coupées, les rivières polluées, les champs abandonnés et les biotopes ont souvent été singulièrement abîmés. Dans tous ces domaines, la France dispose d’une expertise mondialement reconnue et elle peut promouvoir son modèle agricole, reconnu comme l’un des, sinon le plus, durables du monde.

Elle peut soutenir le développement de coopératives locales, participer à la reconstruction de toute l’industrie de collecte agricole et des transformations agroalimentaires. Dans le vin, son expertise et son investissement dans les pays en voie de développement ne sont plus à démontrer.

Enfin dans l’environnement, notre engagement dans l’accord de Paris et nos entreprises puissantes dans les domaines de la dépollution, le traitement des déchets, la gestion des eaux… devraient faire de nous un partenaire de choix.

– Vous êtes l’un des cosignataires de la lettre ouverte à Emmanuel Macron intitulée “La France doit revoir sa politique dans le Caucase”. Selon vous, quelle politique la France devrait-elle adopter dans le Caucase du Sud ?

– Déjà lors du premier conflit des années 90, la France, par la voix de notre ambassadeur à l’ONU, monsieur Mérimée avait tenté de minimiser l’agression arménienne lors de l’écriture de la première résolution (N°822) en modifiant la dénomination de l’agression.

De même, si nous reconnaissons la souffrance du peuple arménien depuis la première guerre mondiale, nous fermons les yeux sur les atrocités que les Arméniens ont commises dans le Caucase et notamment à l’égard des peuples de l’Azerbaïdjan, en sus des Azerbaïdjanais, je penses notamment aux Juifs des montagnes, aux Vieux Croyants (Moloques), aux Oudines (descendants de l’Albanie du Caucase), aux Kurdes.

Ainsi, nous crions haut et fort, politiquement et diplomatiquement, pour protester contre un, tout hypothétique, nettoyage ethnique des Arméniens du Karabakh et nous refusons de reconnaître celui, pourtant effectif et récent, des Azerbaïdjanais du Karabakh et à fortiori celui de tous les peuples non-arméniens du Karabakh dans les années 90 et de l’Arménie moderne depuis les années 1900… Cette politique de nettoyage ethnique de longue haleine est-elle donc acceptable ?

Nous crions haut et fort, politiquement et diplomatiquement, contre la dictature azerbaïdjanaise sans nous soucier de l’idéologie fasciste du Tsekhakron pourtant très largement répandue en Arménie. Elle est le fondement politique des partis républicains (au pouvoir jusque 2016 et dont le chef de file actuel Kotcharian a publiquement affirmé l’incompatibilité génétique des Arméniens et Azerbaidjanais et le president Serge Sarkissian a affirmé que le Nazi, Garéguine Njdeh, est le père de l’ideologie nationale) et Sasna Tsrer par exemple.

Ainsi l’Arménie est des pays ayant le plus de monuments érigés à la gloire du nazisme et de ses ‘‘héros’’ nationaux tel que Dro et Garéguine Njdeh, lequel a même vu l’inauguration d’une statue à sa gloire dans le Haut-Karabakh en 2020/21. Il conviendrait que les Français sachent que ce dernier a créé la division nazie arménienne et qu’il est surnommé l’aigle du Zanguezour pour la “gloire” qu’il s’est acquise en massacrant les populations civiles azerbaïdjanaises de la région que les Arméniens appellent aujourd’hui Sunik.

La France se pose en garante de la mémoire, en défenseuse des minorités et parangon des droits de l’Humain… mais sommes-nous uniquement bien disposés à l’égard des peuples “chrétiens” ? Ou sommes-nous véritablement laïcs, dans toute la grandeur et la beauté de cet idéal de dialogue et d’écoute mutuelle ? Saurons-nous être véritablement justes et, à tout le moins, équitables dans la mesure des attentes exprimées à notre égard sur la base même de notre posture historique ? En effet, ici, la France joue plus que sa place dans le Caucase. Elle joue son image dans le monde et notamment dans le monde musulman qui compte tant de pays amis.

Ainsi, notre pays doit reprendre sa hauteur de vue et s’atteler à la Défense des Humains et de leurs Œuvres, toutes leurs œuvres, sans distinction d’ethnies, de religions, de temps… l’histoire humaine peut-elle en effet être qualifiée en termes de grandeur ou de valeur selon son ancienneté ? Je ne le crois pas, toutes les histoires humaines sont belles et dignes de reconnaissance…

Hors, il semblerait, dans le cas de l’Arménie que certains faits doivent être rappelés et notamment l’absence d’unité de peuplement constant dans le temps, où que ce soit dans le monde ainsi que l’absence de hiérarchie ethnique, religieuse, historique. Enfin, que, même après avoir subi 1915, la vengeance n’est pas acceptable et le nettoyage ethnique des Azerbaïdjanais, en les associant de manière raciste aux Turcs depuis cette date n’est pas acceptable. Ainsi, si vous interrogez des Azerbaïdjanais de Khankendi, (aujourd’hui Stepanakert en mémoire d’un bolchevique arménien Stepan Chaoumian massacreur de civils azerbaïdjanais), ou les derniers Azerbaidjanais chassés de l’actuelle Arménie, ils vous diront que, quelques années avant le déclenchement de l’invasion, ils étaient pointés du doigt et insultés sous le sobriquet de “Turkès, Turkès”… une histoire toute récente pourtant jamais condamnée.

C’est là la place de la France. Sans cette hauteur de vue, nous perdrons encore de notre influence géopolitique. En effet, nous sommes devenus, par la force des choses, une puissance moyenne qui repose désormais essentiellement sur notre capacité à générer le consensus et l’adhésion à des idées universelles… idées et puissance que nous affaiblissons ici par notre position partisane.

– Selon vous, le fait que la France, en tant que coprésident du Groupe de Minsk, ait refusé de se rendre à Choucha à l’invitation de Bakou, pourrait-il affecter les relations économiques avec l’Azerbaïdjan ?

– Oui, car cela fait continuité à notre positionnement depuis les années 90. Notre pays est désormais perçu comme Pro-arménien et notamment du fait de l’influence très forte de la diaspora arménienne. C’est d’ailleurs une critique déjà exprimée par Monsieur Lambert, jusque dans l’expression de nos élections locales.

C’est aussi un constat que l’on peut faire en lisant les déclarations de Madame Hidalgo ou Madame Boyer, Monsieur Bellamy et tant d’autres… une course aux voix.

Nos assemblées ont également voté, toutes les deux, des résolutions injustes appelant à une ingérence politique dans un État souverain… un peu à l’image des résolutions qui justifièrent jadis certaines colonies en Asie…

Notre classe politique a le devoir de réagir. Elle doit viser le bien commun et non celui de communautés particulières aussi puissamment organisées fussent-elle.

Néanmoins, en la matière, cette décision ne devrait pas servir de prétexte pour écarter la France, car une interdiction similaire a été faite à l’ambassadeur de France en Arménie au sujet des visites dans la partie haute de la région du Karabakh.

Maintenant, l’inaction passée du groupe de Minsk, la faiblesse de ses réalisations, l’absence de décisions contraignantes et les positions partisanes de ses coprésidents ont très largement affaibli la structure. Si le groupe peut et espère retrouver un rôle diplomatique de premier ordre, il apparaît impératif que ses membres et notamment la France trouvent, enfin, un positionnement neutre et équitable.

– D’après vous, la paix est-elle possible entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et comment la France peut-elle y contribuer ?

– Je crois sincèrement que la paix est possible. Les deux communautés ne doivent toutefois pas achopper sur la même pierre qui fait constamment dérailler les relations arménienne et turque : le travail de mémoire ne peut pas être un élément premier…

Comme avec l’Allemagne et la France et d’une manière générale en Europe, ce travail de mémoire naît de l’accomplissement de milliers de petits pas, souvent économiques et éducatifs.

La France a toute sa place dans ce processus, tout comme l’Europe d’ailleurs. La France en particulier, peut œuvrer dans le sens de la communication conjointe autour de la culture et de l’enseignement. Comme pays laïc, elle peut aussi contribuer à construire un espace neutre propice au dialogue interreligieux, notamment aussi parce que nous partageons la laïcité et la faible représentativité des pratiquants avec l’Azerbaïdjan.


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