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INTÉGRATION ET ASSIMILATION : LES TURCS S’AFFIRMENT ENCORE, MAIS AVEC DES NUANCES

Publié le | par Engin | Nombre de visite 391
INTÉGRATION ET ASSIMILATION : LES TURCS S'AFFIRMENT ENCORE, MAIS AVEC DES NUANCES

NOUVEAU LIVRE

INTÉGRATION ET ASSIMILATION : LES TURCS S’AFFIRMENT ENCORE, MAIS AVEC DES NUANCES

(Ci-dessus, l’auteur à l’université de Marne-la-Vallée)

Propos recueillis par Mounia Ourabi

INTERVIEW. Les lecteurs de Turquie News le connaissent déjà : le chroniqueur Lozato vient de publier un nouvel ouvrage dans lequel il aborde les complexes liés à la supposée domination du Nord à l’échelle planétaire, mais aussi dans une France multiculturelle.

Une boussole illustre la couverture de l’essai de Gianguglielmo (appelé aussi J-Guillaume) Lozato. L’auteur, lui, semble savoir où se diriger.

C’est dans son univers académique, qu’il affectionne particulièrement (notre interviewé enseigne à l’Université Paris-Est Gustave Eiffel ENSG, à SKEMA Business School et à l’European Business School), qu’il a choisi de répondre aux questions de Turquie News, média dans lequel il s’est illustré avec plusieurs productions écrites, majoritairement sur le football.

L’objet de notre échange porte sur la parution de son essai sociologique et anthropologique intitulé Le Syndrome du Nord magnétique (éditions du Panthéon). Pour tout achat de l’un de ses livres, une partie du prix est reversée à un label écologique d’imprimerie, ainsi qu’au dispositif de soutien scolaire francilien Coup de Pouce.

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Hey, salut Lozato  ! Est-ce que tu permets cette familiarité d’entrée de jeu  ?

L : Naturellement. C’est toujours un plaisir de collaborer avec Turquie News, que ce soit avec Engin ou avec toi aujourd’hui.

Cette notion de distance et de proximité en même temps, est-ce que cela correspond à l’esprit de ta dernière publication  ?

L : Effectivement, j’ai dû prendre du recul, tout en restant immergé en tant qu’observateur. Se positionner sociologiquement, c’est observer et écouter. Cette posture renvoie à l’élasticité croissante des mentalités.

Peux-tu définir le sujet de ton livre  ?

L : La matrice de mon inspiration est la remise en question. L’axe thématique  ? L’image dominante associée à la notion de Nord, les complexes liés au lieu de résidence, de naissance, et aux attaches familiales originelles.

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Dans Le Syndrome du Nord magnétique, tu parles de la France multiculturelle. Peut-on y repérer ces complexes  ?

L : Oui. Mais ce n’est pas tant à cause du racisme en soi. La France n’est pas pire que la moyenne. Cela découle davantage d’une non-acceptation de soi.

Un point intéressant pour nos lecteurs : tu évoques la communauté turque expatriée. Qu’en est-il  ?

L : Les Turcs n’échappent pas à ce phénomène, mais dans des proportions plus modérées que d’autres populations vivant en France.

Selon toi, les Turcs vivant en France sont moins touchés par ce phénomène  ?

L : Oui, pour l’instant, ils sont moins exposés et moins influençables, comparé à ceux d’Allemagne. Ilker Çatak, un réalisateur allemand d’origine turque, le disait bien : «  Moi-même, à Berlin, j’essayais de cacher mes origines turques en refusant de parler ma langue.  »

Pourquoi donc les gens d’Outre-Rhin,Turcs,Turco-Allemands,Germano-Turcs perdraient plus facilement leur "turkitude" ?

L : Ils sont plus nombreux que dans l’Hexagone. L’anonymat réduit le jugement des autres. Quand on est extrêmement minoritaires (la solitude en fait), soit lorsque l’on est trop nombreux (par dilution). Puis la polémique par rapport au Kurdistan est plus palpable en Allemagne qu’en France, où Turcophones et Kurdophones sont davantage obligés de se serrer les coudes et puis le paramètre linguistique : beaucoup de Turcs connaissent la langue allemande. Enfin, en Allemagne la diaspora y est ancrée depuis plus longtemps.

Aurais-tu senti ou constaté certaines choses ?
L : En territoire français, les Turcs pratiquent une sorte d’isolationnisme familial, linguistique. Cependant, lors d’un bref séjour en Alsace j’ai été intrigué par des similitudes avec les Turcs germanophones comme consommer plus d’alcool qu’en Région Parisienne ou bien avec l’influence de la ville frontalière allemande Kehl, parler essentiellement du championnat allemand de Football. Certains prénomment leurs enfants sans faire appel au répertoire turcisant. Lors d’une fête de mariage était présent un dénommé Yohann, Français de père et mère turcs, âgé déjà d’une quarantaine d’années ! les Turcs d’Ile-de-France auraient une personnalité plus affirmée, moins consensuelle.

Tu nous as habitué à des concrétisations de tes prévisions sur le Football.Cette fois-ci qu’imagines-tu sur le plan sociétal ?
L:Une guerre des prénoms. Un déplacement du processus de stigmatisation du nom de famille vers le prénom. Les flux de peuplement d’immigrés espagnols, italiens, portugais et polonais avaient entraîné l’installation définitive de la plupart de leurs descendants, les patronymes persistent à exister. Toutefois, une évolution parallèle s’est opérée avec une réduction des prénoms étrangers. Petite subtilité à signaler : avant l’aspect sémantique prime l’aspect phonologique pour l’intégration. La traduction du prénom italien « Alberto » en prénom français « Albert » n’a rien d’étonnant. Un Espagnol ou un Portugais devenant citoyen français peut devenir autant « Ernesto » qu’« Ernest ». Il y a un air de famille évident entre « Maria » et « Marie » , entre « Giampiero » et « Jean-Pierre », entre « Juan Pablo » et « Jean-Paul ». Ainsi « Bernardo » devient « Bernard » ,« Paola » peut devenir « Paule » ou « Pauline ». Même chose, bien que moins évidente, pour l’Anglais avec « John » devenant « Jean », le polonais Tomasz correspondant à « Thomas », l’Allemand « Karl » signifiant « Charles ». Il s’agit de langues indo-européennes, mais moins les langues sont latines et moins les traductions sont harmonieuses. Ensuite, les prénoms à tonalité religieuse sont moins fréquents chez les Français dits de souche, chez qui les composés avec « Jean »,très bibliques, ont disparu chez les jeunes. Je ne suis pas contre la traduction du prénom puisqu’on peut aussi bien m’appeler « Gianguglielmo » que « Jean-Guillaume ». J’apprécie cet étendard de double culture. Mais cette grille de lecture n’est hélas que très difficilement adaptable aux autres groupes linguistiques qui frôlent le ridicule lors de certains assemblages (Jean-Mohamed, Marie-Anissa...). J’ai un mauvais pressentiment pour la non acceptation de soi. Pensons à un jeune Maghrébin de France ou de Belgique à qui les parents décident d’attribuer le prénom « Yahya ». Puis ils se ravisent car ce sera « handicapant » pour reprendre une expression entendue dans la communauté kabyle. Alors ils vont l’inscrire en tant que « Jean » à l’état civil puisqu’il s’agit de sa traduction. Or, »Jean » fait tout de suite penser à l’Évangile et demeurera aux yeux de beaucoup comme non « islamo-compatible ».
Actuellement, apparaissent fréquemment des prénoms compensateurs, arbitres, médiateurs. Je les qualifie de prénoms-tampons, prénoms pare-chocs, prénoms-alibis. Un moyen de négociation, non plus d’affirmation de soi. C’est triste parce que ça relève à l’origine du choix individuel, donc d’une forme de libre-arbitre familial. Cette pièce à conviction procède à partir d’une stratégie de contournement du jugement, si ce n’est dans certains cas l’entrée par effraction dans la société. Beaucoup plus proche de nous encore, comment ne pas penser à « Claire, le prénom de la honte » , le roman autobiographique de Claire (anciennement Cisdem) Koç ? Pour insister sur ce cas, puisque je sais qu’un nombre important de lecteur issus de la communauté turque vous suit, j’ajouterais que c’est un cas encore plus traumatique puisque les Turcs expatriés n’étaient pas encore familiarisés avec ce genre d’attitudes. Même la présentatrice météo de la deuxième chaîne française, en l’occurrence Anaïs Baydemir, a échangé « Ayse » pour « Anaïs ». »Anaïs » est la transition toute rêvée vers les groupes apparentés à la frange de population franco-maghrébine dont quelques Turcs ou Franco-Turcs seraient en train d’apprendre les codes pour les reprendre. Des motivations différentes ? L’opportunisme à caractère social pour la première et le pragmatisme d’ordre professionnel pour la seconde ? Bizarrement des descendants des Turcs adoptent une conduite similaire à celles des Arméniens ayant francisé leur prénom et même jusqu’à leur nom de famille.Une sorte de « dress code » destinant à habiller l’individu d’un prénom jugé présentable comme on l’habillerait d’un smocking uniformisateur pour faire bon effet lors d’un cocktail mondain.

La conséquence serait de portée autant socio-politique qu‘économique. Avec une crypto-mode d’hybridation mal-maîtrisée des prénoms dans la communauté franco-musulmane, les grandes perdantes risqueraient d’être la laïcité et la tolérance religieuse. Autre conséquence : l’apparition d’une nouvelle forme de tension sur le marché du travail.

C’est-à-dire ?
L:Pour la première problématique posée, il y aurait confrontation entre le psychisme de l’individu et l’image qu’il devra rendre. Avec possible altération du jugement pour celles et ceux qui porteront tel un fardeau un prénom trop transparent ou inadapté car inattendu du fait de leur origine, faciès, religion supposée d’après la consonance ethnique du nom de famille. De plus en plus de personnes exposées aux interrogations ou moqueries de leur « ethno-entourage » voudront prouver l’allégeance à l’origine étrangère, l’appartenance confessionnelle afin de justifier l’affiliation à un groupe d’amis. Le jeune aura à coeur de passer à l’action. Retenons que beaucoup de personnes incriminées dans des actes terroristes sont affublées d’un assemblage prénominal éclectique : Peter Cherif, Inès Madani (un prénom aux accents plus ibériques que maghrébins), Armand Rajabpour-Miyandoab, Hervé-Djamel Loiseau, Sarah Hervouet (de père marocain et de mère française)…
Pour ce qui est du marché du travail, les services de recrutement se montreront plus méfiants. Les prénoms inattendus ou trop transparents susciteront moins de bienveillance, plus de méfiance car supposés moins francs sous l’influence de DRH de même origine. ça anéantira les efforts des parents ayant pensé bien faire pour une meilleure intégration. L’inversement de tendance fera que les gens d’une même origine se retrouveront dichotomisés entre la sous-confrérie des « transparents » opportunistes et celle des « bledards »plus conservateurs. Je terminerai sur cet exemple : un jour, j’étais de jury de recrutement. Un candidat maghrébin de la deuxième ou troisième génération répondait au prénom « Ryan » ; tout ça parce qu’il « était orthographié à l’Anglaise et non pas en « Rayane » un collaborateur d’origine identique avait soulevé cet aspect comme rédhibitoire en parlant de « caméléon voulant endormir la méfiance » et rattraper une éventuelle incompétence en compensant par un prénom présentable car international et non connoté arabo-musulman. C’était il y a cinq ans.

Interview le syndrome du nord magnétique
Interview le syndrome du nord magnétique
Turquie News

Sur l’image, l’essai de Gianguglielmo LOZATO en vente sur FNAC,AMAZON ou sur le site des éditions du Panthéon(Paris).


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