DU PARAPLUIE OUÏGHOUR AU PARATONNERRE
PHOTO CI-DESSUS : M. Ribes en compagnie de la rescapée des camps, G. Haitiwaji.
PHOTO CI-DESSOUS : La célèbre sociologue Dilnur Reyhan répondant aux questions des médias allemands.
En marge de la visite de Xi Jinping à Paris, une manifestation officielle ouïghoure s’est déroulée ce dimanche 5 mai 2024. C’est donc dans une ambiance mêlant déception et colère contenue que cet événement a eu lieu Place de la Madeleine, à proximité de l’Élysée.
Paris, Place de la Madeleine. Un temps frais et pluvieux par intermittence a accueilli avec froideur la visite du président chinois Xi Jinping, reçu avec tous les honneurs par son homologue français, Emmanuel Macron.
Les représentants de la minorité ouïghoure, persécutée en Chine sur des critères ethniques, religieux, régionaux, linguistiques et sécuritaires selon le bon vouloir des dirigeants, se sont rassemblés avec un certain nombre de sympathisants de tous horizons (ouïghours comme l’ancien journaliste désormais réfugié, Monsieur Irfan Anka, venu en famille, Turcs, Européens, militants ou non, résidents ou de passage).
Comment qualifier cette initiative collective planifiée sous l’impulsion de Madame Dilnur Reyhan et la position des Ouïghours exilés ou non ? Cette contestation organisée est motivée par le refus d’une situation profondément discriminatoire qui perdure depuis trop longtemps.
À l’heure actuelle, un bilan rapide s’impose pour agir efficacement et provoquer des réactions.
LOZATO interrogeant Aïnou, militante ouïghoure officielle.
TAVASSOLI, auteur d’un livre récent sur la question ouïghoure.
UNE SITUATION INIQUE
Le premier mot qui vient à l’esprit est "injustice", en pensant au sort des Ouïghours et à la manière dont ils sont perçus et décrits par les autorités chinoises, qui n’ont pas hésité dès 1988 à user à nouveau de cruauté, même en cas de manifestation pacifique ou de simple revendication étudiante.
La population de l’Ouïghourie (également appelée Turkestan ou Turkistan oriental) est majoritairement turcophone et de confession musulmane, avec également quelques croyants chrétiens.
Ces caractéristiques ont engendré des discriminations qui se sont aggravées jusqu’au génocide.
Les turcophones de Chine sont persécutés jusque dans les pays étrangers, une réalité dénoncée par Rebiya Kadeer et Talip Atajan depuis Washington, par Dilnur Reyhan depuis Paris, par Erkin Ablimit (U.I.O) depuis Paris et Reims, par la présidente du gouvernement en exil, Nurgut Sawut, depuis Canberra et Sydney.
Ces actions ignobles incluent la stérilisation forcée des femmes, le viol et la torture, les déplacements de population, les internements en camps de concentration, le placement arbitraire d’enfants dans des familles d’accueil de l’ethnie sinophone Han, dont certaines ont fait preuve d’une grande malveillance désormais institutionnalisée.
Gulbahar Haitiwaiji, rescapée des camps et présente pour l’occasion, en porte encore les stigmates moraux. Cette tache indélébile m’a poussé à rédiger un livre intitulé "Rescapée du goulag chinois", un appel à s’informer pour compatir, comprendre et agir au plus vite.
DES REVENDICATIONS
C’est pourquoi des congrès internationaux, des rencontres, des manifestations ont été organisés pour sensibiliser le grand public, qui n’est pas toujours conscient de l’ampleur et de la localisation des faits.
Ainsi, le 5 mai 2005, des personnes de tous horizons socio-professionnels et de diverses origines ont participé à cet événement autour de Maxime Ribes et d’Aïnou (proche collaboratrice de D. Reyhan), des militants habitués, se sont regroupés des personnes comme Bijan Tavassoli (auteur de "Deceived, Exploited, Abandoned East Turkistan" aux éditions Opal, ce journaliste d’investigation affilié aux médias allemands a marqué cette journée par son dynamisme), comme Léo, traducteur franco-japonais qui s’est intéressé aux Ouïghours car certains d’entre eux sont exilés au Japon, ou comme Kévin et Umit.
Le premier, "parisien et breton" selon ses dires, est choqué qu’une telle tragédie se déroule en 2024. Il exprime son indignation en affirmant que "ce n’est ni digne ni logique après tous ces siècles de civilisation, ce qui prouve au final que des pratiques barbares, donc dépourvues de culture, subsistent". "Elles s’amplifient même", ajoute le second nommé, d’origine turque.
Ces propos sont suivis par ceux de Tesnim, étudiante : "Je suis choquée par cette volonté chinoise d’exterminer des gens, au nom de la religion.
Moi-même, par mon père, je suis Italienne, pays où j’ai vécu petite, et Tunisienne par ma mère.
Alors je me demande pourquoi en Chine cela pose problème de voir cohabiter différentes sensibilités religieuses.
Différent ne veut pas dire opposé ou ennemi". En prolongement de l’événement organisé dimanche dernier à Paris, D. Reyhan a expliqué avec justesse et pédagogie ce volet précis de l’information à traiter. En effet, la spécialiste en sociologie, qui enseigne à l’INALCO et à Sciences Po, a cette fois-ci parlé en tant que présidente du prestigieux Institut Ouïghour d’Europe, en émettant cette phrase chez nos confrères de LCI : "En Occident, les gens sont moins conscients des choses que les Américains". Une remarque très pertinente puisque Donald Trump lui-même avait réagi très fortement pendant son mandat.
Actuellement, le peuple ouïghour ne peut exprimer ses doléances qu’à travers sa diaspora, qui souffre de dispersion et surtout d’intimidations de la part des envoyés des services diplomatiques ou des services secrets de "l’Empire du Milieu".
Xi Jinping séjourne "paisiblement" en France, sous le regard aussi bienveillant qu’intimidé d’Emmanuel Macron, qui n’impressionne pas autant que Jacques Chirac, François Mitterrand ou Nicolas Sarközy sur la scène internationale.
Attention au piège. Quant à Jean-Luc Mélenchon, d’ordinaire si prolixe et si loquace, il semble être aux abonnés absents...
À noter que ce rassemblement pro-Ouïghours a été perturbé à deux reprises. D’abord par un groupe de jeunes majoritairement subsahariens et, selon plusieurs versions de militants, rémunérés pour semer la confusion en vociférant les invectives les plus abjectes. Puis par des émeutiers chinois brandissant des drapeaux d’un rouge vif agressif et proférant des menaces à l’encontre des participants.
Ces actions ont heureusement été repoussées avec grand professionnalisme par les forces de l’ordre de notre chère République Française, berceau des Droits de l’Homme.
Pour conclure sur cette journée pluvieuse, reprenons cette considération émise par D. Reyhan : "Nous sommes en présence d’un combat entre Théocratie et Démocratie". Le parapluie ouïghour ne sera peut-être plus suffisant là où il faudra un paratonnerre contre un possible orage chinois.
(Avec l’aimable participation de Dilnur Reyhan et la collaboration de Maxime Ribes pour les photos).
Gianguglielmo/Jean-Guillaume LOZATO, enseignant en langue et civilisation italiennes dans le cadre universitaire, chroniqueur (« Turquie News », revue culturelle franco-italienne « La Voce degli Italiani in Francia »), essayiste, auteur de l’essai géopolitique « Free Uyghur », de « Le Syndrome du Nord magnétique », de « Italie et Tunisie : entre miroir réfléchissant et miroir déformant », de « Sociologie expérimentale : enquête sur l’espace tunisien contemporain post-révolution », auteur de recherches universitaires sur le football italien.