BULLETIN POLITIQUE FRANCE–TURQUIE, FEVRIER –MARS 2013
BULLETIN POLITIQUE FRANCE–TURQUIE
FEVRIER – MARS 2013
SOMMAIRE
- ASSEMBLEE NATIONALE
- Audition du ministre des Affaires Etrangères Laurent Fabius (Turquie / UE , Syrie) – 13 mars
- Rapport d’information fait en application de l’article 29 du Règlement au nom des délégués de l’Assemblée nationale à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur l’activité de cette Assemblée au cours de la première partie de sa session ordinaire de 2013 (Propos concernant la Turquie) – 28 février
- Proposition de loi tendant à la transposition en droit interne de la Décision-cadre 2008/913/JAI du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal – 6 février
- MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES
- Consultations du secrétaire général du ministère des affaires étrangères Pierre Sellal avec son homologue turc Feridun Sinirlioğlu - Paris, 14 mars
- Entretien de M. Bernard Cazeneuve* avec son homologue turc Egemen Bağış à Paris - 20 février
- Entretien de Laurent Fabius avec son homologue turc Ahmet Davutoglu - 12 février
- Extraits des points/conférences de presse concernant la Turquie :
- Turquie - PKK - 22 mars
- Attentats en Turquie - 21 mars
- Syrie/Turquie - Attentat à la frontière turco-syrienne - 12 février
- Incendie à l’université Galatasaray - 22 janvier
ASSEMBLEE NATIONALE
Audition du ministre des Affaires Etrangères Laurent Fabius (Turquie / UE , Syrie) – 13 mars
M. Jean-Pierre Dufau. [député socialiste des Landes] « Les associations kurdes sont particulièrement mobilisées depuis l’assassinat de trois militantes en janvier à Paris, comme le sont les associations arméniennes à propos de la reconnaissance du génocide. Alors que va se poser à nouveau la question de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, cette effervescence est-elle source de préoccupation pour vous ? »
M. Laurent Fabius : « (…) S’agissant de la Turquie, j’ai eu avec mon homologue, M. Ahmet Davutoglu, un entretien au cours duquel je lui ai fait savoir que la France est prête à lever son veto sur la négociation du chapitre 22 relatif à la politique régionale dans la discussion relative à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Sans préjuger de ce qu’il adviendra, nous considérons qu’il y a lieu de reprendre langue avec les Turcs. Pour ce qui est des Arméniens, il nous faut à la fois respecter la décision du Conseil constitutionnel et ce que pensent les parties en présence, tout en cherchant à avancer avec la Turquie, pays d’une grande importance, sans méconnaître les questions relatives au respect des droits de l’Homme. (...) »
Mme Marie-Louise Fort.[député UMP de l’Yonne] « J’observe que la Chancelière allemande a fait quelques annonces au sujet de la Turquie peu de temps après la France. Y a-t-il eu concertation ? Que pensez-vous du fait que la Turquie accueille un très grand nombre de réfugiés syriens ? Avez-vous eu des entretiens avec votre homologue turc sur la manière dont la Turquie envisage l’évolution de la situation en Syrie ? (…) »
M. Laurent Fabius. « Il est vrai, Madame Fort que Mme Merkel a pris position sur la Turquie quelques jours après la France ; je n’aurai pas l’outrecuidance d’imaginer que nous avons frayé le chemin, mais nous avons le sentiment d’une petite ouverture. La Turquie a accueilli un très grand nombre de réfugiés et c’est pour elle une charge considérable. Dans le même temps, elle est très attentive aux problèmes syrien et kurde, questions dont je m’entretiens régulièrement avec mon homologue turc. »
Rapport d’information fait en application de l’article 29 du Règlement au nom des délégués de l’Assemblée nationale à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur l’activité de cette Assemblée au cours de la première partie de sa session ordinaire de 2013 (Propos concernant la Turquie) – 28 février
I. ACTUALITÉS DE LA DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE
(…)
B. INITIATIVE DE SES MEMBRES ET NOMINATIONS
« M. Jean-Claude Mignon [UMP], président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe dresse le bilan de sa première année de mandat et donné ses priorités d’action pour la seconde partie de sa présidence : (….)
" Par ailleurs, je souhaiterais également souligner l’importance de notre action dans nos pays membres, afin de les soutenir et les aider à surmonter des situations de tensions et de conflits internes. Dans ce contexte, je ne peux qu’encourager les efforts des autorités turques d’engager de nouveaux pourparlers avec Abdullah Öcalan. Je voudrais exprimer une fois de plus ma consternation devant l’assassinat de Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Söylemez. J’ai d’ailleurs immédiatement pris position après ces événements dans un communiqué. Ces exécutions ne devraient pas remettre en cause les pourparlers engagés en Turquie. " (…)
IV. LES NOUVEAUX ENJEUX DE LA PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME
(…)
C. MIGRATIONS ET ASILE : MONTÉE DES TENSIONS À L’EST DE LA MÉDITERRANNÉE
La Grèce est devenue, selon la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, le principal point d’entrée dans l’Union européenne pour les migrants en situation irrégulière, la Turquie constituant le premier pays de transit. 56 % des entrées irrégulières au sein de l’Union européenne ont ainsi lieu à la frontière entre la Grèce et la Turquie. La guerre civile en Syrie a contribué à tendre un peu plus la situation, avec l’arrivée de 150 000 réfugiés sur le territoire turc. (…)
M. René Rouquet (Val-de-Marne – SRC), président de la délégation française, a tenu à rappeler le contexte délicat dans lequel la Grèce devait faire face à cet afflux de migrants :
" Des milliers de migrants entrent irrégulièrement en Grèce chaque année ; la plupart d’entre eux passent par la Turquie. Pour gérer au mieux cet afflux massif de personnes fuyant la guerre ou la misère, des mesures doivent être prises de chaque côté de la frontière. Chaque protagoniste – la Grèce, mais aussi la Turquie – doit fournir une part de l’effort ; mais l’Union européenne, elle aussi, notamment avec Frontex et avec les garde-côtes européens, a un rôle important à jouer. (…)
La Turquie est, de son côté, invitée à garder ses frontières ouvertes aux réfugiés syriens tout en prenant des mesures pour améliorer les conditions de rétention des migrants. La réforme du droit d’asile actuellement en débat au Parlement doit également être accomplie. "
Mme Marie-Louise Fort (Yonne – UMP) a tenu à saluer, dans son intervention, les efforts accomplis par la Turquie pour accueillir les réfugiés syriens :
" Je voudrais, pour ma part, revenir sur la situation des migrants et des demandeurs d’asile en Turquie. Hier encore, le ministre des Affaires étrangères turc, M. Davutoglu, a déclaré que la Turquie " nefermera jamais ses frontières " aux réfugiés syriens.
Madame la rapporteure, je crois que, comme vous le rappelez dans votre projet de résolution, nous ne pouvons que saluer la politique généreuse de la Turquie vis-à-vis des Syriens fuyant la guerre civile et les massacres.
En effet, ce pays accueille déjà plus de 200 000 réfugiés et il est aujourd’hui légitime de se demander combien de réfugiés vont encore arriver et si la Turquie pourra, seule, supporter cet afflux massif. Cela d’autant plus que, comme vous le savez, tous les camps de réfugiés situés à proximité de la frontière syrienne sont régulièrement victimes de tirs d’obus des partisans du pouvoir syrien. Plus de 10 000 réfugiés syriens attendent encore à la frontière turque.
Le 16 janvier dernier, la directrice exécutive du programme alimentaire mondial, Mme Ertharin Cousin, s’est rendue dans les camps de réfugiés syriens. Elle a déclaré : " La crise continue, mais nous ne devons pas laisser un seul bébé avoir faim. Nous demandons aux donateurs du monde entier de se joindre aux efforts de la Turquie et de ceux qui aident déjà pour subvenir aux besoins alimentaires de tous ceux qui souffrent de la crise syrienne. "
La Turquie a déjà dépensé 360 millions de dollars, dont 30 millions sont issus de la solidarité internationale.
Un rapport récent du Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU indique que le manque d’espace dans les camps reste un défi majeur pour les autorités locales, alors que l’hiver fait son apparition. Il est prévu l’ouverture d’un nouveau camp à Nizip, pouvant accueillir jusqu’à 5 000 personnes. Cependant, la multiplication de camps de réfugiés ne peut être une solution.
Madame la rapporteure, je pense qu’il faut également réfléchir aux actions à mener pour qu’après la fin de la guerre, les réfugiés syriens puissent retourner dans de bonnes conditions dans leur pays. (…)La situation en Grèce est symptomatique des limites de cette politique d’accueil. (….) Il faut que la Turquie contrôle mieux sa frontière avec l’Europe, et le déploiement de Frontex sur le territoire turc pourrait être une ébauche de solution. " (…)
D. L’ÉTAT DE LA LIBERTÉ DES MÉDIAS EN EUROPE
La liberté d’expression et d’information constitue une obligation fondamentale pour tout État membre, en vertu de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le rapport présenté par la commission de la culture, de la science et de l’éducation devant l’Assemblée fait état de violations graves de la liberté de la presse constatées entre 2010 et 2012 en Arménie, en - 6 –Azerbaïdjan, en Bulgarie, en Croatie, en Grèce, en Hongrie, en Italie, au sein de l’ancienne République yougoslave de Macédoine, en Roumanie, au Royaume-Uni, en Russie, en Serbie, en Turquie et en Ukraine. Il s’attarde également sur le cas biélorusse. (…)
Ces atteintes prennent différentes formes. La résolution adoptée par l’Assemblée cible ainsi lesdispositions législatives adoptées en Hongrie et en Turquie qui peuvent empêcher l’exercice du métier de journaliste. Le texte souligne dans le même temps les pressions politiques exercées sur les radiodiffuseurs publics dans d’autres États membres. L’Assemblée insiste sur l’importance d’une information libre et transparente à l’occasion des élections, après avoir constaté en Arménie, en Azerbaïdjan, en Russie, en Turquie et en Ukraine une relative partialité des médias. L’Assemblée invite également le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe à élaborer un rapport sur les efforts déployés par les autorités russes pour lutter contre l’impunité concernant l’assassinat de journalistes et de militants de droits de l’Homme. Une commission d’enquête a ainsi été mise en place. Elle souligne par ailleurs le nombre extrêmement élevé de journalistes emprisonnés, arrêtés ou poursuivis en Turquie, qui semble paralyser les médias turcs. (…)
V. L’AVENIR DU CONSEIL DE L’EUROPE EN DÉBAT
A. RAPPORT D’ACTIVITÉ DU BUREAU ET DE LA COMMISSION PERMANENTE
(…)
Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées – SOC) est, quant à elle, revenue sur la mission de la commission des migrations, des réfugiés et de la population sur la frontière greco-turque :
" (…) je m’associe évidemment aux propos qui ont été tenus sur le massacre à Paris de trois jeunes femmes kurdes : j’espère moi aussi que toute la lumière sera faite et je souhaite que le problème kurde trouve une solution politique en Turquie. Si des négociations s’engagent, on ne peut que souhaiter qu’elles aboutissent enfin, dans l’intérêt du pays.
Mais je voudrais plus particulièrement insister aujourd’hui devant vous sur les efforts déployés par la Turquie à l’égard des réfugiés syriens, qui sont près de 157 000 dans des camps, sans compter tous ceux qui sont hors des camps. J’ai eu la possibilité d’entrer dans plusieurs camps de la province de Hatay, notamment celui de Yayladagi, avec Mme Memecan, présidente de la délégation turque, et j’ai été extrêmement surprise par la dignité de l’accueil réservé aux réfugiés syriens. C’est tout à fait exceptionnel et ce doit être dit ! Nous sommes suffisamment sévères à certains moments pour nous montrer sincères et objectifs à d’autres, en particulier lorsqu’il s’agit de remercier la Turquie pour son action en faveur des réfugiés syriens, qu’elle appelle les "invités sous protection provisoire". Quelles que puissent être ses intentions ou ses arrière-pensées, la Turquie montre aujourd’hui qu’elle est un grand pays, qui doit satisfaire rapidement ses obligations vis-à-vis du Conseil de l’Europe" »
Pour le rapport d’information intégral : Cliquer ici
Proposition de loi tendant à la transposition en droit interne de la Décision-cadre 2008/913/JAI du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal – 6 février
EXPOSÉ DES MOTIFS
« Le 29 mai 1998, l’Assemblée nationale adoptait, à l’unanimité, une proposition de loi dont l’article unique disposait : "La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915." Ce jour fut doublement historique. D’une part, la Représentation nationale réintégrait le peuple arménien dans sa dignité de victime du premier génocide du vingtième siècle. D’autre part, le Parlement français, en écho à la résolution du Parlement européen du 18 juin 1987 faisant de la non-reconnaissance de ce génocide par la Turquie actuelle un obstacle incontournable à l’examen de sa candidature à l’Union européenne, jetait un pont sur des faits dont la réalité historique n’est pas sérieusement contestable et rappelait la France à son engagement solennel. La République, réaffirmant derechef son profond attachement au principe absolu de la dignité humaine, n’a pas, à cet égard, oublié la déclaration commune des gouvernements de l’Entente, savoir France, Angleterre et Russie, qui se sont mis en devoir, dès le 24 mai 1915, soit un mois, jour pour jour, après le premier acte d’exécution de l’entreprise génocidaire de l’État turc ayant débuté avec l’arrestation de six cents notables et intellectuels arméniens de Constantinople, le 24 avril 1915 et s’étant prolongée dans les semaines qui ont suivi par des massacres systématiques de masse, de mettre en garde la Turquie contre ces forfaits, dans les termes suivants : " En présence de ces nouveaux crimes de la Turquie contre l’humanité et la civilisation, les gouvernements alliés font savoir publiquement à la Sublime Porte qu’ils tiendront personnellement responsables desdits crimes tous les membres du gouvernement ottoman ainsi que ceux de ses agents qui se trouveraient impliqués dans de pareils massacres".
La notion de crime contre l’humanité venait de naître, s’ajoutant, ainsi, aux deux infractions de caractère international déjà retenues par la Convention de La Haye de 1907, savoir le crime contre la paix et le crime de guerre. Après bien des avatars, la proposition de loi de 1998 devint une loi de la République – loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 – devant, comme toute loi, être exécutée « comme loi de l’État ». Cependant, le travail législatif restait inachevé dès lors que la protection juridictionnelle qui fut, de façon hautement légitime, accordée aux victimes des crimes nazis par la loi dite Gayssot du 13 juillet 1990, était refusée à la mémoire des victimes du Génocide arménien, ainsi qu’à celle des victimes de la traite et de l’esclavage (loi n° 2001-434 du 21 mai 2001), créant et entretenant, par cette abstention fautive, une discrimination que notre Constitution condamne puisqu’elle consacre, à l’inverse, le droit à « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion » (article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 – ci-après « DDH » – et l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958).
Ainsi, plusieurs propositions de loi tendant à l’incrimination et la répression des contestations du Génocide arménien furent déposées ; le Sénat se trouve, à l’heure actuelle, toujours saisi d’une de ces propositions de loi votée le 12 octobre 2006 par l’Assemblée nationale.
Aux esprits sceptiques contestant au Parlement le droit de « faire l’histoire », il fut aisé de répondre qu’en reconnaissant un crime contre l’humanité, comme le Génocide arménien ou la traite et - 8 –l’esclavage, le législateur français ne fait pas l’histoire, mais prend acte de faits historiques incontestables, les qualifient juridiquement et les rend opposables à toutes les personnes placées sous la juridiction de la France, au nom du principe absolu de respect de la dignité humaine (Article de Maître Philippe KRIKORIAN « Le droit à la dignité et la liberté d’expression face aux crimes contre l’humanité », Dalloz n° 29 du 3 août 2006, p. 1980).
Ce faisant, le Parlement français exerce parfaitement la compétence qui lui est dévolue par le bloc de constitutionnalité, spécialement l’article 11 de la DDH, confiant au législateur le pouvoir de limiter la liberté d’expression qui n’est pas absolue, mais seulement relative et dont l’exercice peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions nécessaires prévues par la loi, comme le rappelle l’article 10 alinéa 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après « CEDH »).
Il convient d’ajouter que le volet sanctionnateur dont les lois des 29 janvier et 21 mai 2001 sont, à ce jour, dépourvues, a vocation non pas à conditionner, mais à faciliter le respect du commandement normatif qu’elles contiennent, savoir respecter la mémoire des victimes de ces crimes contre l’humanité. Il est, d’ailleurs, à relever que le législateur peut instituer une « journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc » (loi n° 2012-1361 du 6 décembre 2012), loi à très forte connotation mémorielle revendiquée par le législateur et totalement validée par le Conseil constitutionnel (décision n° 2012-657 DC du 29 novembre 2012).
Dans cet ordre d’idées, la Cour de cassation juge que « les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1382 du code civil ; » (Cass. Ass. Plén. 12 juillet 2000, Consorts ERULIN c/ Sté L’Événement du Jeudi, n° T 98-10.160 ; Cass. 1ère Civ., 12 décembre 2006, Mme Dominique M. épouse B. et Mme Hélène B. épouse H. c/ M. Jean-Marie A. et Sté Calmann Lévy, n° D 04-20.719) et que « les abus de la liberté d’expression envers les personnes ne peuvent être poursuivis sur le fondement de (l’article 1382 du code civil) » (Cass. Civ. 1°, 27 septembre 2005 : Dalloz 2006, jur. p. 485, note Théo HASSLER), contrairement à d’autres systèmes juridiques, comme le droit luxembourgeois (CEDH, 29 mars 2001, Thoma, § 53).
Ubi societas, ibi jus nous rappelle pourtant l’adage : la vie en Société ne saurait être hors le Droit, tant il est vrai, selon le mot de LACORDAIRE, qu’ « entre le fort et le faible (...) c’est la liberté qui opprime, c’est la loi qui affranchit. ». Le recours au droit pénal était, partant, inévitable, s’agissant d’apporter aux abus de la liberté d’expression de nécessaires sanctions, spécialement quand leurs auteurs visent à atteindre de façon injuste la mémoire des victimes d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité lesquels relèvent du JUS COGENS (droit contraignant) et donc de l’ordre public de protection individuelle.
Aujourd’hui, le débat sur la nécessité d’une législation pénale en la matière est caduc et ce, en raison du droit communautaire, inspirateur de la majorité de nos textes. En effet, c’est en application de l’article 34, paragraphe 2, point b), du Traité sur l’Union européenne du 7 février 1992 (Traité de Maastricht – ci-après « Traité UE ») – que le Conseil de l’Union européenne a arrêté la Décisioncadre 2008/913/JAI du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal.
Par cette décision-cadre qui « lie les États membres quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens », le législateur communautaire, après avoir rappelé que « Le racisme et la xénophobie sont des violations directes des principes de liberté, de démocratie, de respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’État de droit, principes sur lesquels l’Union européenne est fondée et qui sont communs aux États membres », a décidé qu’au plus tard le 28 novembre 2010 chaque État membre de l’Union européenne – dont la France – devait prendre « les mesures nécessaires pour faire en sorte que les actes intentionnels ci-après soient punissables : (...) c) l’apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, tels que définis aux articles 6, 7 et 8 du Statut de la Cour pénale internationale, visant un groupe de personnes ou un membre d’un tel groupe défini par référence à la race, la couleur, la religion, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique lorsque le comportement est exercé d’une manière qui risque d’inciter à la violence ou à la haine à l’égard d’un groupe de personnes ou d’un membre d’un tel groupe ; (...) ».
Ce texte appelle plusieurs observations :
1°) Il est désormais acquis, ainsi que l’ont établi de nombreuses procédures portées, depuis 1999, devant les plus hautes juridictions nationales et européennes, que le négationnisme, que l’on comprendra, ici, comme « l’apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre » et qui, en tant que tel, procède du racisme et de la xénophobie, doit, en vertu de la norme communautaire qui s’impose aux États membres, être traité par le droit pénal.
2°) La France est, ainsi, très fortement invitée à faire cesser la discrimination opérée par la loi Gayssot du 13 juillet 1990 ayant créé l’article 24 bis de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 incriminant et réprimant d’un emprisonnement d’un an et de 45 000 € d’amende la contestation de l’existence des seuls crimes nazis, à l’exclusion des autres crimes contre l’humanité, notamment ceux reconnus par les lois n° 2001-70 du 29 janvier 2001 et n° 2001-434 du 21 mai 2001.
3°) La France qui, depuis la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001, « reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 », se voit, par la décision-cadre communautaire, offrir une raison juridique supplémentaire d’apporter en particulier à la mémoire des victimes du Génocide arménien, ainsi qu’à celle des victimes de la traite et de l’esclavage (loi n° 2001-434 du 21 mai 2001), la même protection juridictionnelle qu’elle accorde de façon hautement légitime aux victimes des crimes hitlériens : au critère tiré de la décision d’une juridiction internationale devra nécessairement s’ajouter celui de la reconnaissance du crime contre l’humanité par la loi nationale. L’article 7, paragraphe 1 de la décisioncadre précitée précise, à cet égard, que celle-ci « ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux (...) » au rang desquels figure spécialement le droit à « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion » consacré par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 (ci-après « DDH ») et l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958.
4°) En Europe, mais en dehors des frontières communautaires, on doit aussi relever, avec intérêt, l’arrêt du 12 décembre 2007 du Tribunal fédéral suisse rejetant le recours de Dogu PERINCEK reconnu - 10 –coupable de discrimination raciale au sens de l’article 261 bis alinéa 4 du Code pénal suisse (PERINCEK c/ Association Suisse-Arménie) et rappelant, au vu notamment de la loi française du 29 janvier 2001, qu’il existe « un consensus général, scientifique notamment, sur la qualification des faits de 1915 comme génocide » (§ 4.6) justifiant l’application de la loi pénale, en l’absence même d’une loi de reconnaissance et sans qu’il soit besoin d’ « ouvrir un débat historico-juridique sur ce point ».
5°) Il échet d’ajouter qu’à l’instar des directives, dont en vertu de l’article 88-1 alinéa 1er de la Constitution, « la transposition en droit interne (...) résulte d’une exigence constitutionnelle » (CC, décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 – Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, consid. 17 ; CC, décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008 – Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, consid. 42), les décisions-cadres visées par l’article 34, paragraphe 2, point b) du Traité UE lient juridiquement les États membres quant au résultat à atteindre, en particulier dans le domaine de la lutte contre le racisme et la xénophobie, ce qui est bien l’objet de la décision-cadre du 28 novembre 2008 qu’il est ici proposé de transposer, l’initiative des lois appartenant, selon l’article 39, al. 1er de la Constitution, « concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement ».
6°) Il y a lieu, cependant, en vue d’une efficacité maximale du prochain vote, de tenir compte sans, pour autant, l’approuver ni renoncer à la pure normativité des lois de reconnaissance des crimes contre l’humanité, ni même à l’incrimination par référence (v. la requête en récusation du 4 février 2012 publiée sur le site www.philippekrikorian-avocat.fr, le mémoire en réplique n° 2 de Maître Philippe KRIKORIAN devant le Conseil d’État du 16 mars 2012, la proposition de résolution, ainsi que la pétition publiés sur le même site et la proposition de résolution déposée le 11 décembre 2012 sur le bureau de l’Assemblée nationale par Madame Valérie BOYER, Députée des Bouches-du-Rhône) - de la Décision n° 2012-647 DC du 28 février 2012, loi tendant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, par laquelle le Conseil constitutionnel a pris la responsabilité de déclarer inconstitutionnelle la loi BOYER-KRIKORIAN définitivement adoptée par le Parlement le 23 janvier 2012 dont l’objet était, déjà, la transposition de la décision-cadre du 28 novembre 2008. Pour autant, la double obligation au regard du droit de l’Union européenne et de notre droit constitutionnel, de transposer la décision-cadre du 28 novembre 2008 n’a pas été abolie par la décision précitée du 28 février 2012 ni par celle rendue le 26 novembre 2012 par le Conseil d’État (Monsieur et Madame Grégoire KRIKORIAN et a. c/ Monsieur le Premier ministre, n° 350492).
Il appartient, en conséquence, au Parlement de voter une loi de transposition de la Décisioncadre 2008/913/JAI du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal. La définition en compréhension (énoncé des caractéristiques) de la décision-cadre devra être complétée, dans la loi, par une définition en extension (établissement de la liste) des crimes notoires dont l’existence et la qualification juridique ne pourront plus être impunément contestées.
Tel est l’objet de la présente proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Le premier alinéa de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est remplacé par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Seront punis de deux ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement ceux qui auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence dans les conditions visées par le sixième alinéa de l’article 24 en contestant, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence ou la qualification juridique d’un ou plusieurs génocides, crimes contre l’humanité et crimes de guerre notoires dont la liste chronologique suit :
« – Esclavage et traite ;
« – Génocide arménien ;
« – Crimes visés par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945.
« Vaudra contestation, au sens du présent article, la négation, la banalisation grossière ou la minimisation desdits crimes, de même que l’usage de tout terme ou signe dépréciatif ou dubitatif pour les désigner, tel que “soi-disant”, “prétendu”, “hypothétique” ou “supposé”. »
Article 2
À l’article 48-2 de la même loi, après le mot : « déportés », sont insérés les mots : « ou de toutes autres victimes ».
MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES
Consultations du secrétaire général du ministère des affaires étrangères Pierre Sellal avec son homologue turc Feridun Sinirlioğlu - Paris, 14 mars
« Le secrétaire général du ministère des affaires étrangères, Pierre Sellal, a reçu le 14 mars son homologue turc, Feridun Sinirlioğlu, dans le cadre de consultations régulières.
Cette rencontre témoigne d’une volonté partagée de relance du partenariat franco-turc. Elle a permis aux deux secrétaires généraux d’aborder les relations bilatérales, les questions européennes et les grands dossiers régionaux.
Sur les relations UE-Turquie, MM. Sellal et Sinirlioğlu ont évoqué la poursuite des négociations d’adhésion et les progrès attendus, notamment sur les questions migratoires. Ils sont convenus de continuer à dynamiser les échanges politiques, économiques et culturels bilatéraux.
Enfin, la discussion sur les dossiers régionaux a mis en relief nos convergences sur les enjeux de l’action engagée au Mali et le renfort de la coalition nationale syrienne face au régime de Bachar ElAssad. »
Entretien de M. Bernard Cazeneuve* avec son homologue turc Egemen Bağış à Paris - 20 février
« M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des Affaires européennes, a rencontré M. Egemen Bağış, ministre des Affaires européennes et Négociateur en chef de la République de Turquie, à Paris, le 20 février 2013.
Après l’annonce - faite le 12 février par le ministre des affaires étrangères à son homologue turc - de la décision de la France de débloquer, pour commencer, le chapitre 22 des négociations UE-Turquie, MM. Cazeneuve et Bağış ont décidé d’intensifier leur concertation.
Ils ont également évoqué le processus en cours de relance des relations bilatérales, dont la France souhaite qu’elles soient conformes à l’importance stratégique que nos deux pays représentent l’un pour l’autre. »
* Suite à un remaniement ministériel le 20 mars dernier, Bernard Cazeneuve est nommé ministre délégué auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget. Thierry Repentin, jusqu’alors ministre délégué à la formation professionnelle et à l’apprentissage, a succédé à Bernard Cazeneuve en tant que ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes.
Entretien de Laurent Fabius avec son homologue turc Ahmet Davutoglu - 12 février
« Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, a reçu son homologue turc, Ahmet Davutoglu le 12 février, avant le début de la réunion ministérielle internationale de soutien à la Libye. Cela a été l’occasion pour les deux ministres de revenir sur les sujets de l’actualité internationale.
Au cours de cet entretien, MM. Fabius et Davutoglu ont également fait le point sur le développement des relations bilatérales dans tous les domaines ainsi que sur l’état des négociations entre l’Union européenne et la Turquie. »
Extraits des points/conférences de presse concernant la Turquie :
Turquie - PKK - 22 mars
« La France salue l’annonce par le PKK de sa décision de déposer les armes, ce qui constitue un développement positif pour l’avenir de la Turquie après plusieurs décennies de conflit.
Nous soutenons les efforts engagés par le gouvernement turc, avec l’ensemble des acteurs concernés, pour mettre en œuvre une solution pacifique qui permette à la Turquie de vivre dans la paix, la démocratie et la prospérité. »
Attentats en Turquie - 21 mars
« La France condamne avec la plus grande fermeté les attaques perpétrées ces deux derniers jours contre les bâtiments du ministère turc de la justice et le siège du parti AKP à Ankara, ainsi que l’explosion survenue à proximité de la sous-préfecture de Maltepe, qui ont fait un blessé.
Nous exprimons notre solidarité et notre soutien aux autorités turques et au peuple turc dans leur lutte contre le terrorisme. »
Syrie/Turquie - Attentat à la frontière turco-syrienne - 12 février
« La France condamne fermement l’explosion ayant causé la mort d’au moins treize personnes à la frontière entre la Turquie et la Syrie. Nous exprimons nos condoléances aux familles des victimes et notre solidarité avec les autorités et le peuple turcs, ainsi qu’avec le peuple syrien.
Nous disons une nouvelle fois notre inquiétude face au risque de débordement de la crise syrienne dans les pays voisins. Il est plus que jamais urgent de trouver une issue à la crise, permettant d’ouvrir la voie à une transition politique conforme aux aspirations démocratiques des Syriens. »
Incendie à l’université Galatasaray - 22 janvier
« Les autorités françaises ont appris avec une vive émotion l’incendie qui a ravagé, le 22 janvier, les bâtiments historiques de l’université francophone de Galatasaray, à Istanbul.
Fondée en 1992, sur décision des présidents François Mitterrand et Turgut Özal, cette université, qui est aujourd’hui en plein essor, constitue un symbole majeur de l’excellente coopération entre la France et la Turquie dans le domaine universitaire.
Nous sommes heureux qu’en dépit des dégâts importants, ce bâtiment emblématique puisse être restauré. La France travaille d’ores et déjà avec la Turquie pour qu’il puisse retrouver toute sa place sur le campus de l’université turco-française. »
Institut du Bosphore
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