TBILISSI ENVOYÉE SPÉCIALE - La mise en scène fut soignée. Une foule compacte de plusieurs milliers de personnes se déployait devant Nicolas Sarkozy, debout à la tribune, sur la place de la Liberté, à Tbilissi, au pied d’une colonne ornée de drapeaux géorgiens et dominée par une statue de saint Georges terrassant le dragon. Toute la symbolique convergeait vers cette idée d’une double geste héroïque : celle de la "résistance" nationale géorgienne à l’invasion russe d’août 2008, et celle du "sauveur" européen incarné par le président français, "venu ici nous aider lors des heures les plus tragiques de notre histoire", selon l’expression du dirigeant géorgien, Mikheïl Saakachvili.
Vendredi 7 octobre, dernière étape de sa tournée dans le Caucase, Nicolas Sarkozy savourait ces applaudissements destinés à consacrer sa diplomatie, et surtout, à fixer sous le regard des télévisions, les aspirations de la Géorgie à êtreconsidérée comme une partie de la famille européenne. "Quand je suis à Tbilissi, je me sens en Europe !", a lancé le président français, au micro.
Dans la foule, comme une sorte de bémol, une grande pancarte était cependant brandie, où figurait, en français, l’inscription : "Monsieur Sarkozy, nous sommes convaincus que vous ferez en sorte que les Russes tiennent leur promesse". Le non-respect par Moscou des accords de cessez-le-feu négociés par la France en 2008, planait sur la cérémonie comme une ombre.
M. Sarkozy ne s’est pas dérobé, mais il y a mis des précautions, pour ne pasfroisser une Russie que la France considère comme une "amie" et un "partenaire stratégique", a-t-il rappelé. Pour la première fois, trois ans après ses efforts de médiation entre Russes et Géorgiens, le président français a reconnu que l’exercice avait rencontré des limites notables. Il importait au plus haut point, pour M. Saakachvili, que la persistance de l’"occupation" de 20 % du territoire géorgien par l’armée russe soit reconnue. M. Sarkozy a cherché un équilibre. Il n’a pas repris ce terme, et il s’est gardé de critiquer nommément la Russie.
Le président français a énuméré les problèmes qui perdurent, "à rebours des engagements pris" en 2008 : "d’importantes forces militaires" demeurent stationnées en Géorgie, les réfugiés d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud n’ont purejoindre leurs foyers, et les observateurs européens n’accèdent toujours pas à ces deux régions séparatistes. "La France ne se résigne pas au fait accompli", a-t-il insisté. C’était du baume au coeur des Géorgiens, en particulier de M. Saakachvili, qui fait face à des échéances électorales en 2012 et 2013, et compte ses soutiens extérieurs.
Le message de "réconciliation" entre la Géorgie et la Russie lancé par M. Sarkozy - qui brandit en modèle la façon dont l’Allemagne et la France ont surmonté les traumatismes de l’histoire - allait-il porter pour autant ? Les élans verbaux du président géorgien dénonçant le sort fait à son pays par le grand voisin du Nord, ont laissé perplexes certains membres de la délégation française : "Il provoque les Russes !"
Tout au long de ce voyage dans le Caucase, M. Sarkozy a cherché à se camper en artisan de la paix. En Arménie, il a joué sur la fibre des liens historiques. En Azerbaïdjan, sur le besoin de Bakou de diversifier ses appuis, entre les élans "néo-ottomans" de la Turquie et la pression de Moscou. En Géorgie, c’était le message de "l’aspiration" à l’Europe.
Le relatif désintérêt des Etats-Unis pour la région offre un espace à la France, pense M. Sarkozy. Mais il limite aussi les leviers face à la Russie, acteur dominant. Les ouvertures diplomatiques françaises peuvent aussi avoir un coût. En offrant, vendredi, un "partenariat stratégique " à l’Azerbaïdjan, M. Sarkozy n’a rien dit, en public, de l’écrasement des libertés dans ce pays.
Natalie Nougayrède, 09.10.11