LA VOIX DU BERGER
La vidéo de Pervin Seferov, un berger azéri reprenant A cappella une chanson classique, devient virale dans la sphère turcophone, en particulier en Turquie. Suite à cet immense succès dont il est le premier surpris, Pervin est contacté par toutes les chaines turques. C’est ainsi qu’il se voit inviter à participer à l’émission O Ses Türkiye, un télé crochet musical, version turque du concept néerlandais The Voice.
Un des avantages des réseaux sociaux est qu’ils permettent à des gens talentueux d’élargir plus amplement leur audience Pervin Seferov y est parvenu. En avril 2017, il partage sur Youtube sa vidéo ; il reprend une chanson d’amour azérie “Nazende Sevgilim” (mon amoureuse fragile) composée par Bekirof. Elle devient de suite un succès inattendu, le jeune berger ne se doutait pas à ce qu’elle dépasse les frontières de son pays. Elle fait le tour de la toile, on se la partage, d’Azerbaïdjan, à la Russie en passant par la Turquie et la diaspora turque à travers le monde. Pour information ce titre a été maintes fois interprété par de nombreux artistes turcs et azéris avec leur style.
Le rêve Alaturca
Les internautes sont conquis. Le berger qui s’est filmé dans son cadre de travail avec ses moutons, a rapidement gagné leur sympathie et affection. Les médias tombent également sous le charme. La majorité des chaines turques diffusent son interprétation « je ne m’attendais vraiment pas à un tel enthousiasme, c’est comme un rêve d’ailleurs je n’arrive toujours pas à y croire, tout s’est fait en un, deux jours » s’étonne-t-il
Il est contacté par plusieurs chaines turques, il accepte de participer à l’émission O Ses Türkiye, qui a été la première à l’approcher en demandant l’exclusivité. C’est pourquoi, étant une personne de parole, il a dû refuser d’autres propositions toutes plus alléchantes les unes que les autres. Bien qu’il aurait souhaité se joindre à d’autres programmes télés, il a malgré tout « réalisé un rêve, celui d’être sur la scène de O Ses Türkiye » souligne-t-il. Le jury est captivé par sa voix singulière, mais reconnait que son angoisse l’a quelque peu gêné dans sa première prestation scénique. Il admet lui-même son malaise et avoue qu’il n’a pas l’habitude de chanter avec un orchestre et devant un public aussi nombreux. D’ordinaire « je chante dans un environnement plus familier ; devant ma famille, mes amis et mes animaux » précise-t-il. Il passe toutes les épreuves mais il est recalé à la finale.
Néanmoins son passage à l’émission lui a ouvert des portes, il a joué dans des concerts. Ne connaissant pas Istanbul et ses travers, il préfère retourner dans son pays. Il décide alors de passer l’examen d’entrée au Conservatoire National de Bakou afin de gagner en légitimité, lui qui déclare avoir juste terminé le collège, « ici le villageois qui chante est considéré comme amateur, mais si on passe par le Conservatoire, on nous verra comme un professionnel », confesse-t-il. Avec le soutien et l’accompagnement de ses amis, il réussit et va pouvoir intégrer pour les quatre années ce lieu consacré à l’art. « Je vais pouvoir me perfectionner et me développer artistiquement, je vais pouvoir aussi apprendre à jouer des instruments, j’aimerais beaucoup jouer du piano. Plus tard je compte aussi écrire et composer la musique de mes propres chansons » s’impatience-t-il. Il se réjouit déjà à l’idée de donner des concerts, de participer à des festivals avec l’orchestre national azéri et turc.
Une voix de velours
Quand j’ai découvert « Nazende sevgilim » interprété par Pervin, sa voix de velours m’a envoutée. Elle m’a ému au plus haut point. Sa prouesse vocale a attisé ma curiosité. A-t-il suivi des cours de chant ? Est-il issu d’une famille d’artistes. Il répond avec une simplicité déconcertante mais, avec une assurance affirmée que « c’est un don de dieu tout simplement, je n’ai pas eu de formation musicale, j’ai appris en m’écoutant, et ma mère chantait mais pas professionnellement »
Aurait-il l’oreille absolue ? Vous savez cette faculté à reconnaitre la note dans un son qu’on entend. Seuls 0,05% de la population générale possèderait ce don « Je peux prendre des notes et chanter des chansons avec la guitare. Je remarque les erreurs des amateurs chanteurs » soutient-il.
Il trouve son inspiration parmi des grands chanteurs classiques de son pays « J’ai écouté différentes styles musicaux. Les artistes qui m’ont le plus influencé sont Reshid Behbudov, Sövket Elekberova. Ils m’ont fait aimer la musique. Je reprenais seul des morceaux de leurs chansons pour apprendre et me corriger en écoutant. »
Les musiques turques, les türkü (chansons populaires), les classiques, font aussi partis de son répertoire, il les interprète volontiers « On écoute beaucoup les chansons turques, tous les styles, j’écoute souvent Cengiz Kurtogli, Orhan Olmez, les plus anciens comme Yildirim Gurses. De plus on regarde les chaines turques, on les a presque toutes mais c’est arrivé après la chute de l’union soviétique. De toute façon quand je suis en Turquie, j’ai l’impression d’être dans mon pays, c’est comme ma patrie. Nous partageons la même histoire, la même culture »
Un artiste né ?
Si on se fie à la citation de Malraux que l’art est le plus court chemin de l’homme à l’homme, Pervin a atteint grâce à sa voix le cœur des hommes « Cela surprend de nombreuses personnes, même des artistes, surtout en Turquie. Ils disent que c’est inné et que je suis un artiste né ». Il est même comparé au célèbre chanteur azéri. Reshid Behbudov, son mentor « Les gens me disent vous avez su nous faire ressentir et nous transporter dans les mêmes profondeurs que Rashid Behbudov, longue vie à vous, comme vous savez Reshid Behbudov n’est plus de ce monde. Je ne m’y attendais pas et c’est un immense honneur pour moi » se réjouit-il.
Son interprétation du chant d’amour azéri, sa voix ont eu un pouvoir émotionnel considérable. Il a réussi à transmettre un état d’âme pur. Du moins cette pureté a été ressentie par la majorité des internautes. Sa voix exprime une authenticité, elle nous entraine à lire son âme. C’est ce qui a probablement touché l’affect du public « Les personnes qui m’ont écouté ont senti une proximité, une voix amicale, honnête, sympathique. Beaucoup me disent aussi que c’est même mieux sans instruments »
La particularité de Pervin Seferov ne serait-elle pas tout simplement sa sincérité et sa simplicité, s’inscrivant dans un monde épuré. A travers sa voix, le berger ne cherche-t-il pas à exprimer son attachement à une vie sans fioritures « je veux que le public me perçoit tel que je suis, comme un artiste sans masque, sans attribut superficel ». Sa voix ne traduirait-elle pas un univers plus connecté à la nature, à des valeurs plus humaines voire humanistes ? Ne serait-ce-pas non plus une des raisons de son succès
Dilek Karaagaç