« Yurtta sulh, cihanda sulh - Paix dans le pays, paix dans le monde »
Mustafa Kemal Atatürk
Depuis mars, vous pouvez trouver dans toutes les librairies de France et de Navarre la bd « Le père Turc, à la recherche de Mustafa Kemal », parue aux éditions Glénat, illustrée par Lelio Bonaccorso et scénarisée par Loulou Dedola.
Turquie-News ne peut que se réjouir des très bonnes critiques des médias. Singulière, intéressante, poignante, efficace, peut-on lire et j’ajouterai pédagogique, instructive et esthétique.
Après avoir rompu avec son amant de longue date, Afife, femme turque, libre, intellectuelle, chamane, d’un certain âge, se sachant condamnée, retrouve une partie de sa famille dont son petit neveu en France dans la région lyonnaise. Ce dernier de 15 ans, déscolarisé risque autant de basculer dans la délinquance que de tomber dans un fanatisme et un endoctrinement religieux. Afife, décide alors, pour tenter de sauver l’adolescent, de l’accompagner sur les traces de Mustafa Kemal, héros de la guerre d’indépendance, fondateur et premier président de la république de la Turquie.
Ainsi, à travers la vie romancée de la figure emblématique de la Turquie moderne, Mehmet découvre l’histoire de son pays d’origine et du peuple turc. La bd articule la grande histoire de la Turquie avec l’histoire d’un jeune garçon issu de l’immigration turque en France, risquant d’être pris dans le piège de l’islamisme radical. Mustafa Kemal, par son œuvre, sera un antidote à la radicalisation.
Le récit narratif illustré est une invitation au voyage à travers le temps, comme ces allers retours entre le passé et le présent. Il fait découvrir plusieurs lieux et univers et grâce à cela, avec la bienveillance d’Afifé, l’univers mental de Mehmet évolue également. Par ailleurs, en dressant le portait hagiographique d’Atatürk, d’un homme humaniste, démocrate, féministe, l’Afifé fait découvrir au lecteur l’enfance, la carrière militaire du héros de la guerre d’indépendance, la bataille des Dardanelles.
A côté de l’aspect divertissant de la bd, l’auteur a collaboré avec des historiens, des spécialistes afin d’apporter des précisons « quand j’avais des doutes pour savoir si on était dans la légende ou dans les faits historiques » souligne-t-il.
« Enfant de la banlieue lyonnaise », un artiste atypique, turcophile et passionnée de la révolution kémaliste
Leader du groupe RCP, auteur, compositeur, interprète, scénariste, Loulou Dédola s’appuie sur différentes formes artistiques pour créer « Je suis musicien j’écris des chansons ; j’ai beaucoup tourné en France, à l’étranger notamment en Afrique, en Europe. J’ai écrit le dernier film de Richard Bohringer, un film qui se déroule en Afrique. J’ai fait des documentaires pour Canal plus sur la grande criminalité au Nigéria. Une de mes premières bd était consacrée à une organisation nigérienne qu’on appelle le 419. »

Son influence artistique, créatrice, philosophique vient aussi bien de l’écriture esthétique de Voltaire, que des présocratiques ou encore de Sergio Léone.
« Je m’inspire du récit homérique, J’adore aussi Sergio Léone qui a cette faculté à raconter une histoire, et au travers de cette histoire, développer, faire découvrir une partie de l’histoire avec un grand H. C’est pour ça que la vie de Kemal s’y prêtait bien, parce que c’est un récit héroïque ».
Le 9ème Art, un choix pragmatique ?
« Parce qu’un film aurait couté 150 millions d’euros pour reconstituer la bataille des Dardanelles la bataille de Sakarya. J’ai cet honneur d’avoir fait la première bd dédiée à Mustafa Atatürk. J’ai choisi la bd parce que je voulais faire quelque chose d’unique, je voulais un objet matériel, qu’on puisse se passer et qui soit un outil à l’intention de tous ».
L’artiste, sortant des sentiers battus, exprime son intérêt pour les Turcs dans une précédente bande dessinée qui s’intitule « Jeu d’Ombres-Gazi », dont le personnage principal, Cengiz, kémaliste, fils d’immigré turc, charismatique est choisi pour calmer les tensions dans les banlieues de Lyon.
De la pensée de Kemal, il en parle avec une telle éloquence et détermination, qu’il arriverait à convertir les plus hostiles
Pour expliquer son engouement pour Atatürk, il paraphrase Bob Marley « c’est comme une plante, on ne le sait pas, elle grandit et elle grandit. L’intérêt pour le kémalisme va de pair avec l’intérêt pour les présocratiques, l’intérêt pour la rationalité, pour l’humanisme, pour le pacifisme, pour l’amour et l’émancipation des peuples, quand vous avez ces composantes là, dans votre conscience philosophique, politique, à un moment donné vous croisez forcément la route de Mustafa Kemal Atatürk. C’est une vision internationale, c’est l’incarnation de la philosophie des siècles des Lumières. Ça surprend beaucoup de gens, Kemal c’est le rendez-vous manqué du 21ème siècle qui est un atout pour l’humanité, je suis "Yurtta Sulh Cihanda sulh" [paix dans le pays, paix dans le monde] ». C’est pourquoi il déplore les préjugés vis-à-vis des Turcs.
La banlieue, bourbier français ?
Dans ce récit, l’artiste soulève la problématique des banlieues et quartiers défavorisés que la France malgré les multiples actions et dispositifs de la Politique de la ville, apparue au début des années 80 à la suite d’émeutes urbaines, n’a toujours pas réussi à résoudre.
Loulou Dedola regrette qu’on puisse donner la parole, le champ à des artistes, des acteurs politiques, institutionnels, associatifs qui mettent en avant la dimension identitaire des habitants des banlieues ou des quartiers défavorisés.
« La banlieue, c’est un problème sociétal. On est dans un pays où il y a des gens qui sont immensément riches et en face des gens en phase de paupérisation. On a des foyers qui s‘allument parce qu’on est dans un pays où 10 millions de gens sont au-dessous du seuil de pauvreté, 6 millions de sans-emplois, 2000 000 personnes qui ne savent pas où dormir donc on a une société qui est en train de devenir de plus en violente qui s’américanise. Il n’y a pas un problème d’identité mais un problème de développement économique, de stabilité sociale, de fonctionnement des services publics, d’éducation, de sécurité. On ne peut pas laisser les quartiers aux trafiquants de drogue. La banlieue, c’est un lieu mis au ban, il ne devrait pas avoir de banlieue, pour avoir la paix ».
« Le kémalisme c’est prendre de vraies décisions »
Lutte contre le radicalisme : le kémalisme peut être une réponse
La philosophie d’Atatürk serait donc un antidote.
« Il faut une nation une et indivisible, la philosophie kémaliste de développer les services publics de donner plus de pouvoirs au citoyen, de donner un part importante égalitaire même dans les milieux populaires est une réponse. La politique d’alphabétisation jamais dans le monde, personne n’a réussi en si peu de temps une politique d’alphabétisation. La question de la république et d’instruction est au cœur du livre Le kémalisme c’est prendre de vraies décisions ».
Je ne peux que souscrire aux propos de Loulou Dédola, bien qu’on lui reconnaisse une certaine fermeté et autorité dans sa politique, Atatürk a toujours eu le souci de combattre les extrémismes de tous bords, il affichait d’ailleurs son aversion pour le nazisme et le stalinisme, c’est pourquoi j’estime que le kémalisme est aussi un combat contre tous les extrémismes.
« En tant qu’héritage moral, je ne laisse aucun verset, aucun dogme et aucune règle gelés. Mon héritage moral est la science et la raison. Mes successeurs confirmeront que nous n’avons pas entièrement atteint nos objectifs face aux difficultés radicales que nous devons surmonter, mais que nous n’avons jamais donné de concessions et avons pris pour guide la raison et la science » Mustafa Kemal Atatürk.
Atatürk : Personnage universel
Nombres de personnalités, de grands dirigeants politiques ont été inspirés et influencés par l’œuvre d’Atatürk notamment pour les acteurs de la décolonisation, tous reconnaissent son génie militaire, politique.
« Les gens ne savent pas que Nehru célébrait les victoires de Mustafa Kemal dans sa cellule les gens ne savent pas la fascination d’Albert Einstein pour Kemal. Ils ne savent pas la fascination de Churchill pour Kemal, si vous prenez le recueil de citation de Churchill au sujet de Kemal vous tombez par terre c’est presque un complexe d’infériorité face au génie militaire face au génie politique face au courage. Le Général de gaulle était admiratif et a été influencé par le personnage, dans la manière d’avoir fondé la République. La force de conviction de Kemal est terrible, elle est déterminée énergique, communicative ».
Ce conte met en lumière ce qu’a été la Turquie, la philosophie kémaliste, ce qu’a apporté Mustafa Kemal Atatürk à cette nouvelle république, à savoir la volonté de se moderniser, la laïcité, les droits attribués aux femmes, un système égalitaire. La promotion de l’art et de la culture, la valorisation de l’enseignement et du savoir. C’est au aussi un message aux défenseurs des valeurs kémalistes d’allumer ou rallumer le flambeau.
Dilek Karaağaç
Vous pourrez retrouver le dessinateur Lelio Bonaccorso et le scénariste Loulou Dedola samedi 19 mai à partir de 16 heures à la librairie Decitre du centre commercial de carrefour Écully, commune de la métropole de Lyon, pour une séance de dédicaces autour d’une conférence et d’un concert dessiné.