Histoire du cinéma turc 2 : des années 60 à nos jours
Par Clément Girardot
Yesilcam est le nom d’une rue à Istanbul où sont regroupés des producteurs de cinéma mais c’est aussi l’appellation d’une période de prospérité pour le cinéma turc. L’âge d’or du cinéma commercial Yesilcam se situe entre 1960 et 1972. Généralement, les films Yesilcam sont des mélodrames bon marché avec un fort star system. Le système est contrôlé par les distributeurs qui laissent un large pouvoir aux acteurs. Il n’y a d’ailleurs pas de direction d’acteur à proprement parler. Aussi, les voix sont souvent ajoutées en post-production, il n’y a pas de prise directe.
Mais les scénarios sont très formatés et leur caractère répétitif ainsi que la pauvreté de la production vont finir par lasser les spectateurs. A la même époque, on assiste aussi au développement des films arabesque qui utilisent les musiques arabes et exaltent les valeurs traditionnelles.
La constitution de 1961 marque un renouveau de la création artistique et une augmentation des libertés. Mais peu après, le régime se durcit et la censure fait son retour.Le cinéma est alors marqué par trois mouvements : le cinéma national (ulusal), nationaliste (milli) et révolutionnaire (devrimci).
Le mouvement Ulusal est mené par Halit Refig avec Metin Erksan, il prône un retour aux valeurs culturelles nationales en opposition à l’occidentalisation de la société. Les cinéastes filment de plus en plus les zones rurales.
Au début des années 70, le cinéma turc produit plus de 300 films par an, sa production s’est très largement diversifiée et s’est ouverte à de nouveaux genres parfois inattendus : cinéma érotique, islamique ou encore pornographique.
Dans le sillage de Yilmaz Güney qui a réalisé son grand chef-d’œuvre « Umut » en 1970, de jeunes réalisateurs se lancent dans le cinéma d’auteur, nous pouvons citer Zeki Ökten, Ömer Kavur, Serif Gören, Ali Özgentürk ou Erden Kiral.
Le coup d’état de 1980 ouvre une décennie de libéralisme économique et d’autoritarisme. Le cinéma entre en crise. Les pressions subies par les secteurs intellectuels et de la création, par exemple la censure de Yol, poussent les oeuvres vers la dépolitisation.
Cette décennie voit la libéralisation de la télévision ainsi que le fort développement des feuilletons. On constate une poursuite de la diversification des genres, notamment vers le surréalisme ainsi que le développement d’un cinéma naturaliste qui marque un dépassement du politique. De nouveaux thèmes apparaissent, notamment celui du film urbain.
Alors que la télévision est en plein essor, le cinéma ne trouve plus de financement ni de public. Même les films arabesque sont touchés. En salle, 90% des films distribués sont américains.
La production turque baisse à une dizaine de films par an. A la fin des années 80, les premières aides de l’Etat ainsi que le fond européen Eurimages viennent en aide à un secteur sinistré. Il est très dur pour les jeunes réalisateurs, même talentueux, de faire du cinéma de qualité. Tevkik Baser appartient à cette génération perdue. Malgré un premier long métrage sélectionné au festival de Cannes de 1986, il a du mal à continuer sa carrière.Seule éclaircie dans la tempête s’annonçant, la palme d’Or de « Yol » de Yilmaz Güney et Serif Gören au festival de Cannes.
La fin des années 80 voit aussi la percée des réalisatrices et le développement des rôles féminins. La pionnière à se placer derrière la caméra est Cahide Sonku, suivie par Bilge Olgaç qui remporte un prix au festival de films de femmes de Créteil.
Comme tout est une question de cycles, le cinéma turc revient en force à partir de la seconde moitié des années 90 avec une nouvelle vague de réalisateurs (Yesin Ustaoglu, Zeki Demirkubuz, Dervis Zaim, Nuri Bilge Ceylan, Serdan Akar, Reis Celik) que Lola traitera dans la prochaine partie.
La problématique identitaire refait aussi surface avec des réalisateurs turco-allemands comme Fatih Akin mais aussi Yilmaz Arslem qui raconte l’histoire d’une jeune turque d’Allemagne qui revient dans son village anatolien dans "La blessure".
Les thèmes politiques sont aussi de retour. A noter le film "Au revoir demain" de Reis Cilek sur le révolutionnaire Deniz Gezmis.
Parallèlement, le cinéma commercial reprend aussi du poil de la bête et son industrie devient à nouveau très puissante en synergie avec l’industrie télévisuelle. Le film « Kurtlar Vadisi Irak », inspiré d’une série télévisée, est le plus gros budget du cinéma turc mais aussi un des plus gros succès du box office.
Le cinéma turc, malgré un démarrage lent a subi une forte expansion dans les années 60 et 70 au profit surtout du cinéma commercial. C’est un cinéma très cyclique avec des phases fastueuses et de longues périodes de vaches maigres comme celle qui s’est étalée sur les décennies 80 et 90. En dehors du cinéma populaire qui rencontre un public de plus en plus large en Turquie (ci-dessus Recep Ivedik), une tradition auteuriste, qui remporte des succès dans les festivals, s’est aussi développée sous l’influence notamment de Yilmaz Güney mais elle rencontre deux obstacle majeurs : l’attitude de l’Etat qui a longtemps utilisé la censure et dont l’aide n’est que parcimonieuse (ce manque est pallié en partie par l’action de l’Union Européenne), et d’autre part l’absence d’un public averti assez nombreux qui permette de rentabiliser des œuvres un peu plus difficiles d’accès.
Source : Mediapart
http://www.mediapart.fr/club/edition/article/220809/histoire-du-cinema-turc-2-des-annees-60-nos-jours