Les Français d’origine turque remercient leurs Sénateurs
Madame la Sénatrice, Monsieur le Sénateur, merci !
Pour la première fois, après plus de dix ans de débat, le représentant d’une organisation turque en France a été officiellement invité à s’exprimer devant des membres du Sénat ! Enfin !
Monsieur le Dr. Demir Önger, Président du Centre Culturel d’Anatolie et l’un des initiateurs du Comité de Coordination des Associatons franco-turques, a présenté trois réflexions majeures :
1) la procédure en cours depuis plus de dix ans est délibérément conçue pour entretenir l’antagonisme plutôt que favoriser la réconciliation entre Turcs et Arméniens ;
2) cet affrontement programmé a de graves conséquences internationales, visant à séparer durablement la Turquie et l’Union Européenne ;
3) la Turquie et les Turcs de France souhaitent privilégier la réconciliation dans le respect mutuel, mais la position prise par la France l’empêche de jouer un rôle positif dans cette perspective.
Le travail intense de lobbying mené par les activistes arméniens les plus agressifs sur une petite cinquantaine de parlementaires montre à tous ses effets pervers. Maintenant, seule une large mobilisation des Sénateurs permettrait de dégager une autre majorité et une autre issue aux relations turco-arméniennes, plus confome à la dignité des Institutions françaises. Nous vous invitons donc à prendre, par les plus nombreux possible, au débat et à lui imprimer un autre cours que cet affrontement perpétuel dont nous ne voulons pas.
Pour que nul n’en ignore, vous trouverez ci-joint un résumé des explications donnée par Dr. Önger lors de son audition. Nous, Comité de Coordination des Associations franco-turques de la Région lyonnaise, partageons cette analyse et ces craintes.
Conscients des responsabilités qui sont les vôtres et dont dépend aussi notre avenir, nous vous prions d’agréer, Madame la Sénatrice, Monsieur le Sénateur, l’assurance de notre très haute considération.
Ramazan Aydin
Président Comité de Coordination des Associations Franco-Turques de Rhône-Alpes |
Erhan Gül
CRCM
Ce que nous savons, ce que nous craignons
Le débat en cours serait gravement amputé s’il était réduit à la seule question "Faut-il faire taire les menteurs ?" Si la question était aussi simple, les Turcs en France comme en Turquie répondraient sans hésiter "Oui ! Que les menteurs enfin se taisent !"
Les Turcs n’ont pas peur de la vérité mais ils la veulent complète. Or, faute d’une analyse plus complète, la procédure en cours au Sénat aura des conséquences catastrophiques. Voici lesquelles et pourquoi.
La zizanie remplace la réconciliation
L’objectif absolu de qui vit en ce 21ème siècle doit être la solidarité sans préjugé, le respect mutuel et la réconciliation entre les peuples comme entre les citoyens. C’est dans ce cadre et dans cette perspective d’abord que peut être abordée la question des relations entre Turcs et Arméniens.
Toute concession, tout écart retarde gravement la réalisation de cet objectif pourtant essentiel pour l’avenir non seulement des Arméniens et des Turcs, mais aussi des Français, de l’Europe et de tous ses voisins jusqu’au Caucase.
Or, que voyons-nous ? Au lieu de rechercher avec sincérité et bonne foi les chemins de la réconciliation par des rencontres sans mépris et sans agressivité, tout est fait pour placer l’interlocuteur en position d’adversaire et d’accusé.
Le vrai travail constructif qui devrait être "Que faire pour nous réconcilier ?" est systématiquement occulté par de multiples débats placés comme autant d’écrans. À regret, il faut constater que la France avalise cette stratégie funeste d’atermoiements et de pré-conditions qui élude totalement la question fondamentale : "Comment nous réconcilier ?"
La France n’a pas même choisi cette attitude. Elle l’a acceptée sans débat, sous la pression insistante des activistes issus de la communauté arménienne en France, sans même s’interroger sur les origines et les conséquences de cette stratégie.
La conséquence la plus dramatique est de mettre pour longtemps la France hors-jeu dans tout le processus de solidarité sans préjugé, de respect mutuel et de réconciliation.
Une histoire à jamais en morceaux
Voilà plus d’un siècle que la communauté arménienne est présente et active en France. On ne saurait lui reprocher de se faire entendre mais faut-il pour autant n’écouter qu’elle ?
Le résultat est que les Français n’ont connaissance que d’une partie de l’histoire et que d’une version. Ils croient détenir la vérité et ne mesurent pas même l’étendue de leur ignorance.
Voici un exemple tiré de l’actualité : à ce jour, aucun media français n’a reproduit la position officielle de la Grande-Bretagne. En 2001, quelques semaines à peine après le vote de la loi française reconnaissant le génocide arménien, Lady Scott (Foreign Office) a déclaré au nom du gouvernement britannique devant la Chambre des Lords : "L’évidence n’est pas suffisamment établie pour nous convaincre que les évènements doivent être qualifiés de génocide selon les termes de la Convention des Nations Unies de 1948 sur le génocide qui, de toute façon, n’est pas d’application rétroactive. L’interprétation des évènements en Anatolie de l’est en 1915-1916 est encore le sujet d’un véritable débat entre historiens."
Il est donc possible, très sereinement, à bon droit et sans vaines insultes, de ne pas adopter le terme "génocide" sans être pour autant « négationniste ». Or il faut savoir que les Britanniques ont une connaissance exceptionnelle des faits survenus pendant la Première guerre mondiale. Ils ont aussi, et cela se sait moins, une connaissance exceptionnelle du fonctionnement, des buts et de l’histoire des lobbys arméniens au cours du siècle passé et jusqu’à aujourd’hui.
Ainsi la France, ayant adopté sans réserve la stratégie des activistes arméniens, rompt avec les valeurs fondatrices de l’Union européenne : solidarité, respect mutuel, réconciliation. Sans préalable ni conditions nos peuples ont accepté ces règles de conduite qui sont aussi à la base de ce qu’il est convenu d’appeler "la méthode Monnet". En renonçant à ces principes sous la pression des activistes de la communauté arménienne, la France rend un mauvais service à cette communauté et fait un tort considérable à l’Europe. Il est troublant que des Turcs de France et de Turquie aient à le dire et à s’en alarmer.
Par la volonté de quelques élus français (moins de 50 sur 577), l’histoire risque d’être fragmentée. D’un côté l’histoire officielle française appliquée à l’Empire ottoman, avec un génocide qui serait désormais littéralement "indiscutable". De l’autre côté une histoire qui reste à découvrir et qui concerne non la seule responsabilité ottomane dans le sort des seuls Arméniens mais toute l’histoire d’un Empire en décomposition et de ses communautés tiraillées entre des espérances contradictoires, massacrées, écartelées entre des alliances de circonstance avec des Empires rivaux impitoyablement gourmands.
La France était un des ces Empires. Et elle aurait aujourd’hui le front d’être à la fois juge et partie ? Et elle déciderait seule ce qu’il convient d’écrire de l’histoire ?
Une pédagogie dévoyée
Aucun pédagogue, aucun travailleur social ne commence un entretien en traitant son interlocuteur de menteur et en lui intimant l’ordre de se taire. C’est pourtant l’attitude actuelle d’une partie du monde politique français envers les Turc. Les conséquences de ce comportement et de la loi qui l’avalise annihilent d’emblée le but recherché : faire entendre "raison" aux Turcs.
Hélas ! D’autres groupes, d’autres peuples en tireront les conséquences, en France et dans le reste de l’Europe, Turquie comprise. Hélas ! Ceux-là sauront qu’il faut faire de la surenchère, activer les communautarismes, faire un chantage aux votes, réveiller la xénophobie, exister par l’affrontement, entretenir les antagonismes.
Ignorer les Turcs du 21ème siècle
Perpétuer les haines, c’est précisément ce que refusent les Turcs en ce 21ème siècle. Instruits par l’Histoire, ils ont de toutes autres priorités. Ils entendent prendre leur part de responsabilités dans l’unification et la consolidation de l’Europe. Ils s’attachent, jour après jour, à fortifier la démocratie dans leur propre pays. Ils ont su abolir la peine de mort -y compris en temps de guerre-, sans débats douloureux et sans esprit de vengeance. Ils luttent tout à la fois contre les pesanteurs de l’Etat turc et contre des traditions archaïques. Ils travaillent avec acharnement pour élever leur niveau de vie et d’éducation en France comme en Turquie.
A tous, les Turcs de cette nouvelle génération offrent et demandent la solidarité sans préjugé, le respect mutuel et la réconciliation. Connaître l’histoire et l’admettre ne prend d’ailleurs son sens que dans un processus de réconciliation. Obliger les Turcs à reconnaître le mot "génocide" puis continuer à les combattre sur tous les fronts possibles relève de la guérilla politique. Une guérilla indigne de ce siècle.
Le Sénat et l’Assemblée Nationale trompés
À plusieurs reprises, tant à l’Assemblée Nationale qu’au Sénat, on a vu de grossiers éléments de propagande repris tels quels. Ainsi, les historiens noteront-ils avec un amusement amer que tel texte du Sénat commence par une erreur historique dès son exposé des motifs (texte n. 60, 26 octobre 2000, paragraphe 3, deuxième phrase) qui affirme " Les Nations Unies ont reconnu officiellement (le génocide) en 1985 (...)" Il n’en est évidemment rien. Le 3 février 2000 déjà (texte n°206), c’est dès la première phrase que le Sénat récitait un artifice de propagande des défenseurs trop zélés de la cause arménienne. "La qualification de "génocide" du peuple arménien en 1915 a été reconnue dans une résolution de la sous-commission des Droits de l’Homme de l’ONU en 1985 (...)" Telle n’est pas la vérité.
Un rapporteur ayant à traiter de la prévention des génocides a outrepassé son mandat et traité de la question arménienne. Résultat : son rapport a simplement été "reçu" et non "adopté", il n’a fait l’objet d’aucune résolution de la sous-commission et encore moins transmis à la Commission des Droits de l’Homme. Aucun Sénateur, aucun Député français n’a pris la peine de vérifier ce point d’histoire contemporaine. C’est dire leur sérieux et leur compétence s’agissant de l’histoire survenue en Anatolie au siècle passé. En Suède, la Commission des Affaires étrangères du Parlement, tombée dans le même piège de propagande en 2000, a rétabli la vérité dès son rapport de 2002.
Quant à l’Assemblée Nationale, lors du vote de la loi de janvier 2001, le débat fut tout sauf contradictoire. Pire encore : le rapporteur François Rochebloine a totalement adopté non le point de vue arménien mais le seul point de vue du Comité de Défense de la Cause Arménienne dont chacun feint d’ignorer qu’il est une émanation directe du parti FRA - Dachnack.
Se fiant à cette seule source, le rapporteur Rochebloine en est venu, pour justifier le vote d’une loi relative aux évènements de 1915, à soutenir totalement la politique étrangère menée aujourd’hui par le Président d’Arménie Robert Kotcharian. Ce mélange des genres entre "génocide de 1915" et "politique étrangère arménienne de 2001" indique assez à quelles manœuvres obliques la France prête la main.
Depuis que, au milieu des années ’60, le terme "génocide" a été revendiqué, il a servi de prétexte à toutes les dérives, à tous les excès, à toutes les manipulations. Il a justifié le meurtre de diplomates turcs, l’attentat d’Orly, les manifestations contre l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, le contrôle par le parti Dachnack des organisations de la diaspora, l’alignement des politiciens français sur une stratégie contraire aux intérêts de la France, le développement d’un communautarisme malsain,…
La stratégie de guerre civile du Dachnack
Écoutez bien ce qu’a dit Mourad Papazian, Président du Dachnack pour l’Europe occidentale, en présence d’officiels français, lors de l’inauguration à Marseille d’un monument dont on nous dit qu’il a été payé uniquement par des fonds publics :
"Chers compatriotes, contre la Turquie, nous allons continuer à nous organiser. Nous organiser pour mieux nous mobiliser. Nous mobiliser pour mieux atteindre nos objectifs. Mieux atteindre nos objectifs pour gagner. Non seulement pour la reconnaissance du génocide mais aussi pour l’édification d’une Arménie libre, indépendante et réunifiée pour que tous ensemble, nous puissions reprendre possession de Van, Mouch, Kars, Samsoun, Bitlis et Erzeroum."
La "feuille de route" préparée par le Dachnack de M. Papazian entraîne la France sur un chemin miné. Car une fois que le génocide sera devenu "indiscutable", ses conséquences ne seront pas discutables non plus. Quelle sera la position de la France quand le Dachnack poussera son avantage et, comme annoncé, réclamera des compensations financières et l’extension de l’Arménie bien au-delà de ses frontières actuelles ?
Sauf à se renier, la France devra soutenir ces revendications-là aussi. C’est à quoi le Dachnack, à petits pas, prépare l’opinion publique et le monde politique français. Et si ces revendications s’accompagnaient d’actions terroristes comme au temps de l’ASALA mais aux frontières de la Turquie cette fois ?
Le risque n’est pas illusoire. Plusieurs fois déjà dans son histoire la FRA - Dachnack a vu se développer sur ses flancs des organisations plus clandestines et plus radicales qui étaient à la fois officiellement désavouées et discrètement soutenues. Aujourd’hui, dans le Caucase, les mercenaires désoeuvrés ne manquent pas. Désormais, grâce à la FRA - Dachnack, les prétextes ne manquent pas non plus.
Gaïdz Minassian a bien analysé ce que fut l’état d’esprit d’une forte proportion de militants de la FRA -Dachnack : "Le terrorisme a débloqué la question arménienne et apporté bien plus que les résolutions adoptés ici ou là par quelques Etats et partis étrangers. Il a redonné confiance aux Arméniens et mobilisé une diaspora en mal d’aventure collective et vouée à la mort par inanition." (Guerre et terrorisme arméniens 1972-1998, PUF- 2002)
L’heure n’est plus -pour l’instant- à la lutte armée. Mais lors du même congrès où une pause dans le terrorisme fut décidée, la FRA-Dachnack a aussi "décidé l’envoi d’instructeurs dans les camps du PKK et d’experts en explosifs". Pour garder la main sans doute. La Turquie n’a pas apprécié – et c’est peu dire.
La Fédération Révolutionnaire Arménienne-Dachnack a rejoint l’Internationale Socialiste en 1996 et c’est ce qui lui vaut une mansuétude aveugle du Parti Socialiste. Mais elle n’a jamais exprimé de regret pour son terrorisme passé, pas plus qu’elle ne s’est engagée dans une lutte sans faille contre tous les terrorismes.
Le Dachnack manipulateur et manipulé
En France, ni le gouvernement ni l’opposition ne se sont indignés d’être ainsi entraînés malgré eux vers un affrontement international programmé. Le monument inauguré le 24 avril à Marseille n’a pas pour respectable objectif de rendre hommage à la mémoire des victimes. Il s’agit d’une réplique à plus petite échelle du monument d’Erevan et présente " douze pierres disposées en cercle qui symbolisent les douze provinces spoliées par la Turquie". Financé par des fonds publics de l’Etat français et des collectivités, inauguré en présence d’Arthur Baghdassarian, Président de l’Assemblée Nationale de la République d’Arménie, voilà, en pierre et pour longtemps, une revendication territoriale explicite proclamée en terre de France. Le discours tenu sur place par M. Papazian n’a laissé aucun doute aux officiels français présents.
Et si la FRA - Dachnack, si habile à manipuler les hommes politiques français, était elle aussi manipulée depuis plus d’un demi siècle ? Quelques faits offrent matière à réflexion et une toute autre analyse s’esquisse. C’est au milieu des années 60 que le terme "génocide" a été utilisé non seulement pour qualifier les massacres mais aussi pour justifier toutes les actions engagées contre la Turquie. Or cette stratégie a été lancée depuis Erevan, capitale de la République soviétique d’Arménie. Dans l’URSS d’alors, ce n’est pas le genre d’initiative qui se prend sans que le Kremlin soit intervenu. En 1965 toute l’administration centrale de la FRA-Dachnack, le Fond financier, les secrétariats des organisations sont transférés à Beyrouth, c’est-à-dire sous influence soviétique par Syriens interposés.
Le prétexte du génocide sera dès lors utilisé à fond pour mobiliser la diaspora dans le monde entier. Pour l’URSS, c’est un coup de maître en pleine Guerre Froide. La Turquie se réveille "ennemi héréditaire" harcelée par des Arméniens de la diaspora qui sont pourtant, comme elle, dans le camp occidental.
L’URSS n’a jamais vu d’un bon oeil le début d’unification de l’Europe. Que la Turquie à son tour se rapproche de Bruxelles ne peut qu’irriter Moscou. L’effort depuis lors porte donc non seulement sur la Turquie membre de l’OTAN mais aussi sur la Turquie alliée de la Communauté européenne.
Depuis plus de 40 ans sans discontinuer le Dachnack traite la Turquie en ennemi privilégié. Depuis plus de 40 ans, la stratégie du Dachnack sert parfaitement les intérêts soviétiques d’abord et russes aujourd’hui. Dans le Caucase comme à Bruxelles, à Marseille comme à Paris, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. La seule question qui vaille est : jusqu’à quand ?
Pour tout compliquer, le Président Nicolas Sarkozy a fait du rapprochement avec la Russie un axe majeur de sa politique étrangère. Il a fait aussi de son opposition à la candidature turque son cheval de bataille, contrairement aux engagements pris, au point d’irriter ses autres partenaires au sein de l’Union Européenne. Il devient logique de se demander si N. Sarkozy ne cherche pas la rupture avec la Turquie en toute connaissance de cause, pour mieux plaire à la Russie plus encore qu’à la frange la plus conservatrice et xénophobe de son électorat. Nicolas Sarkozy, Apprenti Sorcier, joue avec le feu et avec notre avenir.
Nous sommes bien loin du débat sur la pénalisation du déni qui vient en discussion au Sénat ? Non. La stratégie d’affrontement initiée et poursuivie par le Dachnack via une poignée d’élus français, a son prolongement naturel au plan géopolitique si, à l’initiative de la France, le fossé devait s’agrandir entre la Turquie et l’Union Européenne au seul bénéfice de la Russie.
Nous, Turcs de France et de Turquie, nous savons bien que le modèle de société qui nous inspire et nous guide est celui de l’Europe démocratique. Ce serait un triste gaspillage de tous nos efforts d’y renoncer aujourd’hui pour quelque motif que ce soit.