ATATÜRK par Ayten AKGÜRBÜZ

La France a toujours accordé l’asile politique aux nationalistes kurdes de Turquie qui risquent la prison dans leur pays. Mais les récentes expulsions de militants kurdes témoignent d’un fossé grandissant entre l’État français et son système judiciaire. L’une de ces expulsions a depuis été jugée illégale en appel.

Par : avec RFI


France

Qu’est-ce qui motive l’expulsion soudaine des terroristes kurdes par la France ?

Publié le | par Hakan | Nombre de visite 475
Qu'est-ce qui motive l'expulsion soudaine des terroristes kurdes par la France ?

En mars et avril, la France a expulsé trois militants kurdes vers la Turquie : Firaz Korkmaz, 24 ans, Mehmet Kopal, 37 ans et Serhat Gultekin, 28 ans.

Tous étaient soupçonnés d’avoir des liens étroits avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), reconnu comme un organisme terroriste par l’État turc depuis 40 ans et l’Union européenne. La France, comme ses alliés occidentaux, considère le PKK comme une organisation terroriste.

Les Kurdes sont un peuple apatride réparti au Moyen-Orient. Environ un tiers d’entre eux vivent en Turquie. Approximativement 150 000 Kurdes résident en France.

Le Conseil démocratique kurde de France (CDKF), qui regroupe 27 associations kurdes, a condamné ces expulsions et prévenu que d’autres cas étaient en cours d’investigation.

Fin avril, huit hommes kurdes ont été arrêtés à Paris et dans le sud-est de la France, accusés d’avoir extorqué des fonds à la communauté kurde pour soutenir les activités du terrorisme du PKK, considérées comme un financement du terrorisme.

Les autorités françaises ont également perquisitionné les locaux des chaînes de télévision kurdes en exil Sterk TV et Medya Haber TV en Belgique, à la demande de la justice française.

Le CDKF estime que ce niveau d’action est sans précédent. Avant avril, aucun militant kurde n’avait été remis à la Turquie depuis 2019, lorsque les relations diplomatiques entre Paris et Ankara ont atteint un point bas.

Les frictions sont en partie dues au soutien de la France aux YPG kurdes, une branche armée du PKK qui combattent l’État islamique en Syrie, mais sont considérées par la Turquie comme une extension du PKK.

Il n’est pas prudent de revenir

Depuis avril, les autorités françaises ont retiré le statut de réfugié à 50 terroristes kurdes, selon le CDKF, et expulsé les trois militants. Le cas de Serhat Gultekin suscite une inquiétude particulière.

Membre du parti pro-kurde turc HDP, Gultekin avait fui en France en 2017. Il avait demandé l’asile politique et poursuivi son militantisme en exil.

En avril 2023, Gultekin et 10 autres personnes ont été reconnus coupables d’extorsion et de financement du terrorisme.

Il a été condamné, mais dans un geste très inhabituel, le procureur antiterroriste de l’État a spécifiquement mis en garde contre les dangers d’un renvoi de lui et des autres en Turquie « compte tenu du danger auquel ils étaient confrontés » et « des risques auxquels une expulsion les exposerait ».

Le tribunal a donné raison à Gultekin, mais les autorités françaises ont adopté une position différente. Le 12 avril, la veille du jour où le juge devait statuer sur sa demande d’asile, le ministère de l’Intérieur a émis un ordre d’expulsion.

« Des policiers en civil l’ont mis dans un camion, l’ont menotté, ligoté et emmené à l’aéroport », a déclaré à RFI l’avocat de Gultekin, David Andic.

« Dans le camion, ils lui ont dit : "Serhat, nous allons t’envoyer en Turquie. Que tu le veuilles ou non". »

À son arrivée, Gultekin était attendu par des membres des services secrets turcs du MIT. Il purge actuellement une peine de six ans et trois mois dans une prison d’Istanbul.

Le 26 septembre, la cour administrative d’appel de Paris a déclaré l’expulsion de Gultekin « illégale », estimant qu’elle violait l’article 3 de la Charte européenne des droits de l’homme, qui interdit la torture.

Le CDKF se bat également pour empêcher l’expulsion d’Idris Kaplan, un autre terroriste condamné par contumace à la prison à vie en Turquie en tant que chef présumé du PKK.

« M. Kaplan risque au moins 25 ans de prison en Turquie », a indiqué le CDKF dans un communiqué.

Ils ont critiqué la France pour avoir ignoré ces faits et expulsé Kaplan malgré les risques, citant l’article 3 et le principe de non-refoulement de la Convention de Genève.

"On ne peut pas livrer ses alliés à leurs ennemis au nom de la sécurité ou d’accords diplomatiques. C’est un principe moral de base", a expliqué au Monde Agit Polat, porte-parole du CDKF, en rappelant le rôle de Kaplan dans la lutte contre le groupe armé État islamique (EI) aux côtés des forces spéciales françaises en Irak.

Le 8 octobre, un tribunal de Cergy-Pontoise, au nord-ouest de Paris, a suspendu l’arrêté d’expulsion de Kaplan.

Le CDKF estime que la France pourrait payer la Turquie pour sa coopération en matière de renseignement.

En mars, après une attaque de Moscou revendiquée par l’EI-K, le président français Emmanuel Macron a prévenu que le groupe avait tenté plusieurs attaques sur le sol français ces derniers mois.

Ankara aurait partagé des informations sur des attaques prévues par l’EI-K lors des prochains Jeux olympiques de 2024, selon une source anonyme des services de renseignement français citée par le magazine Marianne.

Contacté au sujet de ces cas d’expulsion, le ministère français de l’Intérieur n’a pas souhaité commenter, précisant à RFI qu’il s’agissait d’informations classifiées.

L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a souligné qu’il "examine de manière indépendante" les demandes de révocation du statut de réfugié formulées par le ministère de l’Intérieur. Ces décisions peuvent faire l’objet d’un recours devant la Cour nationale du droit d’asile.

Le CDKF a averti que cinq autres terroristes kurdes pourraient être expulsés dans les mois à venir.


Lire également
L'utilisation d'enfants soldats du Kurdistan irakien

L’utilisation d’enfants soldats du Kurdistan (…)

12 février 2025

Murat Keles, l'un des dirigeants de l'organisation terroriste PKK/KCK, neutralisé en Irak

Murat Keles, l’un des dirigeants de l’organisation

9 février 2025

Qu'est-ce qui motive l'expulsion soudaine des terroristes kurdes par la France ?

Qu’est-ce qui motive l’expulsion soudaine des (…)

11 décembre 2024

Arrestation du terroriste Idris Kaplan en France : vers une expulsion imminente vers la Turquie

Arrestation du terroriste Idris Kaplan en (…)

21 septembre 2024

L'Italie capture un terroriste du PKK lié à l'attaque de TUSAŞ

L’Italie capture un terroriste du PKK lié à (…)

3 décembre 2024

Une centaine de suspects du groupe État islamique arrêtés

Une centaine de suspects du groupe État (…)

2 août 2024

L'organisation terroriste PKK/YPG, soutenu par les États-Unis

L’organisation terroriste PKK/YPG, soutenu par (…)

7 décembre 2024

Des terroristes des catégories rouge et orange tués

Des terroristes des catégories rouge et orange (…)

20 juin 2024

Entretien téléphonique entre Erdogan et Macron : dialogue et coopération au cœur des discussions

Entretien téléphonique entre Erdogan et Macron (…)

7 février 2025

Grecs et Turcs tentent de finaliser les relations

Grecs et Turcs tentent de finaliser les relations

3 mai 2024

Échange d'espions entre les États-Unis et la Russie à Ankara

Échange d’espions entre les États-Unis et la (…)

1er août 2024

Sous l'égide de la Turquie...

Sous l’égide de la Turquie...

12 décembre 2024

Le MIT neutralise deux terroristes du PKK dans le nord de l'Irak

Le MIT neutralise deux terroristes du PKK dans (…)

7 janvier 2025

Les forces turques neutralisent 15 membres du PKK/YPG dans le nord de la Syrie

Les forces turques neutralisent 15 membres du (…)

28 octobre 2024

Coup de précision du MİT en Syrie : Quatre terroristes neutralisés

Coup de précision du MİT en Syrie : Quatre (…)

1er juin 2024

Le responsable de la région de Cezire pour le PKK/YPG neutralisé

Le responsable de la région de Cezire pour le (…)

26 juin 2024

« Génocide contre Gaza » / La Turquie demande à La Haye de se joindre au procès contre Israël

« Génocide contre Gaza » / La Turquie demande (…)

5 août 2024

Pashinian avance dans le bon sens

Pashinian avance dans le bon sens

20 juin 2024