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Le commerce du kebab, un enjeu politique

Publié le | par Engin | Nombre de visite 1326
Le commerce du kebab, un enjeu politique

Le commerce du kebab, un enjeu politique

Considéré comme un symbole de la présence des musulmans en France par l’extrême droite, le kebab reste néanmoins un plat très prisé. Au point que leNew York Times lui consacre un reportage.

Depuis les cuisines du luxueux hôtel Mandarin Oriental, Thierry Marx (deux étoiles au Michelin) fait la guerre au racisme culinaire : il prépare le kebab. Cela fait plusieurs mois que des responsables du Front national (FN) vitupèrent contre cet emprunt particulièrement populaire à la cuisine orientale. Pour eux, la prolifération de ces échoppes aux rôtissoires verticales n’est rien moins qu’une menace pour l’identité nationale.

"J’ai grandi dans un quartier difficile de Paris avec des immigrés d’une centaine de nationalités, explique Thierry Marx, qui dirige également une école de street food dans l’est de la capitale. Tout le monde n’apprécie pas que je fasse ce genre de cuisine, mais les symboles sont importants pour moi. La street food est un moteur d’intégration."

Il faut reconnaître que le kebab du chef, qu’il sert parfois pour le brunch dominical, relève plus de la création gastronomique que du fast-food : les tranches de selle d’agneau sont roulées dans des miettes de pain avec du cumin et sautées dans du beurre et de l’huile avec des herbes et des morceaux de fruits séchés. Le tout est servi accompagné d’un houmous crémeux, d’une sauce au yaourt et au concombre et d’un pain pita moelleux à la semoule.

Hommes barbus et femmes voilées

La "kebabophobie" est d’abord apparue en France dans des blogs de militants d’extrême droite en 2013 avant de s’inviter dans les campagnes électorales locales et européennes du printemps dernier. "Ces attaques n’ont rien à voir avec la gastronomie, affirme Philippe Faure, responsable au ministère des Affaires étrangères de la promotion du tourisme et de la gastronomie française. C’est une manipulation de la gastronomie à des fins politiques. C’est du racisme pur et simple."

Lors de sa campagne pour la mairie de Béziers, Robert Ménard, cofondateur du site d’informationBoulevard Voltaire, avait évoqué avec nostalgie la disparition d’une France "traditionnelle". En 2013, son site avait publié un article imaginant la France en 2047 : toutes les femmes étaient voilées et le kebab avait remplacé la célèbre baguette. L’installation de vendeurs de kebab "s’accompagne trop souvent d’hommes barbus et de femmes voilées", disait l’article.

Aujourd’hui maire de Béziers, Robert Ménard fait valoir un droit de préemption municipal sur tout commerce cessant son activité dans le centre historique de la ville, ceci afin d’éviter la prolifération des vendeurs de kebab. "Je veux pouvoir choisir les commerces qui pourront s’installer dans le centre-ville, déclare-t-il au cours d’une conversation téléphonique. Les Français sont attachés à leur histoire, à leur culture. Lorsque la présence des étrangers devient trop visible, les gens se sentent menacés. Trop de vendeurs de kebab menacent l’image et l’identité historique de la ville."

Il y a aussi la question de l’hygiène

De son côté, Marine Le Pen n’a pas repris la cause des antikebab. La dirigeante du FN préfère rester au-dessus de la mêlée en matière de guerre culturelle. Mais la victoire de douze candidats soutenus par le FN aux municipales du printemps 2014 en a enhardi certains qui n’hésitent plus à utiliser la gastronomie comme une arme politique.

Durant la campagne à Beaucaire, dans le sud de la France, le candidat FN Julien Sanchez s’était plaint de la présence de quatre vendeurs de kebab dans le centre historique de la ville. Il s’était alors engagé, s’il était élu, à user de son autorité de maire afin d’empêcher l’ouverture de nouveaux commerces "communautaires". Peu après sa victoire, l’agence Associated Press avait rapporté certains de ses propos selon lesquels il ordonnerait des patrouilles de police chez les vendeurs de kebab afin de vérifier que ces commerces ne dissimulent pas d’activités illégales.

A Blois, dans la vallée de la Loire, plusieurs vendeurs de kebab se sont récemment installés dans le centre historique, non loin du château pluricentenaire où ont résidé sept rois et dix reines. Michel Chassier, secrétaire départemental du Loir-et-Cher du FN, espère bien obtenir leur fermeture. "Ces commerces sont incompatibles avec l’image de Blois, joyau de l’histoire de France qui attire des visiteurs du monde entier, explique Michel Chassier au téléphone. Blois devient petit à petit un lieu banal et mondialisé." Il dresse un tableau encore plus sombre des vendeurs de kebab. "Certains servent-ils à blanchir de l’argent sale ?, demande-t-il. Je ne fréquente pas ces établissements bien sûr, mais il y a aussi la question de l’hygiène."

En dépit de toutes ces attaques, aucun indice ne laisse deviner un déclin de cette activité. D’après le cabinet Gira Conseil, près de 300 millions de kebabs sont consommés chaque année dans près de 10 000 points de vente en France. Les kebabs arrivent en troisième position, après les hamburgers et les pizzas, au hit-parade des fast-foods préférés des Français.

Rapide à faire et bon marché

Le kebab qui dérange tant l’extrême droite française n’est pas tout à fait pareil que celui servi par Thierry Marx au Mandarin Oriental. Il s’agit du classiquedoner kebab turc, appelé gyro aux Etats-Unis. Il se compose de multiples couches de viande (veau, poulet, dinde, agneau), tranchées à même la broche. Il est servi avec des rubans de salade et une sauce dans un pain plat, avec ou sans frites.

Le doner kebab est arrivé en France à la fin des années 1980 avec l’immigration turque. Il s’est diffusé et a été modifié par l’importante communauté de migrants d’Afrique du Nord, habitués à consommer de la viande grillée avec du pain plat. Le kebab a néanmoins conservé son image de nourriture sur le pouce : un sandwich rapide à faire et bon marché, préparé dans une petite échoppe et nécessitant peu d’investissement, d’équipement et de qualification. Il est rarement considéré comme français.

En Allemagne en revanche, où vit une importante communauté turque, le doner kebab est tellement entré dans les mœurs que Berlin compte désormais plus de vendeurs de kebab qu’Istanbul. La chancelière Angela Merkel a été photographiée à plusieurs reprises à côté de ces énormes pièces de viande à la broche.

Au Royaume-Uni, l’industrie du kebab célèbre chaque année la remise des British Kebab Awards, à laquelle participent plusieurs parlementaires. Parmi les récompenses, on peut citer "le meilleur kebab de Londres à emporter" et le "meilleur nouveau vendeur de kebab".

Vous êtes ce que vous mangez

Dans les cuisines du restaurantAnatolie situé à Montreuil, Philippe Celik et ses cinq salariés proposent une dizaine de kebabs différents : doner, shish ou kefte.Philippe Celik travaille dans la restauration depuis qu’il a quitté le Kurdistan turc pour s’installer à Paris en 1989. "Il y aura toujours des stéréotypes sur les étrangers. ’Les Kurdes viennent des montagnes, et les Siciliens sont des mafieux’, soupire-t-il. Mais qui a construit ce pays ? Qui sont les ouvriers du bâtiment ? Les étrangers."

En 2013, l’excellent artisan boucher Hugo Desnoyer s’est associé avec un chef français et un autre partenaire pour ouvrir Le Grillé, sur la rive droite, à Paris. Il y sert des "kebabs de luxe", dont un à partir de veau de lait. Depuis 2012, la Kebab Academy de Saint-Lo en Normandie forme ses étudiants à l’art du kebab. Parmi eux, l’année dernière, se trouvait un boucher de 33 ans originaire de Chengdu, en Chine.

"Le kebab séduit les Français par son exotisme, son prix peu élevé et sa facilité à le consommer même en marchant dans la rue, explique Pierre Raffard, spécialiste français de la cuisine turque. C’est un produit nomade qui n’est pas près de disparaître. Pour la droite, le kebab est devenu le symbole de l’invasion des musulmans en France. C’est un moyen d’attaque très efficace. Vous êtes ce que vous mangez. Vous touchez un point particulièrement sensible de l’identité


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