17 juin 2024
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Protestation


International

La question arménienne et Le Monde

Publié le | par Maxime Gauin | Nombre de visite 604
La question arménienne et Le Monde

« Nous soumettons à nos lecteurs ce courrier de protestation, et nous les invitons à écrire eux aussi au Monde, pour demander une présentation plus sérieuse et plus équilibrée de l’affaire arménienne »


Madame, monsieur,

Les lecteurs du Monde familiers de la Turquie sont de plus en plus fatigués de lire les articles médiocres et tendancieux du pigiste Guillaume Perrier, si mauvais connaisseur du pays qu’il n’a toujours pas réussi, en six ans de résidence, à maîtriser véritablement la langue turque.

L’article paru dans l’édition du 24 avril donne à M. Perrier l’occasion d’un nouveau cent-fautes. Le texte étant décousu, je choisis, faute de mieux, le commentaire linéaire :

— Même V. Dadrian, directeur du très nationaliste Zoryan Institute, l’un des auteurs arméniens les plus turcophobes, admet qu’Ahmet Cemal Paşa (Djémal Pacha), numéro 3 du régime jeune-turc, n’a aucunement cherché à exterminer les Arméniens, mais au contraire, a fait punir certains musulmans qui en avaient tué, et a aidé les déportés installés dans le territoire soumis à son autorité. L’un de ces Arméniens réinstallés de force parle de Djémal Pacha comme d’un « grand homme » qui « sauva 500 000 Arméniens » (James K. Sutherland, The Adventures of an Armenian Boy, Ann Arbor Press, 1964, p. 146).

— M. Perrier cite les propos d’Hasan Cemal : « À l’école et à l’université, on apprend que les Arméniens coopéraient avec les ennemis et qu’il fallait qu’ils soient déportés vers la Syrie. » Mais le lien entre les révoltes arméniennes et les recrutements de volontaires pour les armées russe et française d’une part, le déplacement forcé d’autre part, a été établi par les dirigeants nationalistes arméniens eux-mêmes.

Aram Turabian, responsable du recrutement des volontaires arméniens dans la Légion étrangère, écrivait ainsi, après avoir abondamment décrit les révoltes en Anatolie et les bureaux de recrutement de volontaires, à Paris et dans le Caucase :
« Les Arméniens sont les victimes volontaires de leur sympathie envers les Alliés ; en refusant le pacte des Jeunes-Turcs, et connaissant à fond le caractère sanguinaire des janissaires [sic] turcs, ils savaient très bien à quoi ils exposaient les habitants inoffensifs des régions de l’Arménie sous domination turque, mais dans l’histoire d’un peuple, il y a des moments où il est impossible de s’arrêter à mi-chemin, où il devient nécessaire de sacrifier, au besoin, une partie de la génération actuelle pour la sauvegarde de l’avenir de la race. » (Les Volontaires arméniens sous les drapeaux français, Marseille, Imprimerie nouvelle, 1917, pp. 41-42).

Garéguine Pasdermadjian, alors un des principaux chefs de la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA), député d’Erzurum (Turquie de l’est), parti dès 1914 organiser le mouvement de volontaires arméniens pour l’armée russe, confirma :
« Imaginons que les Arméniens aient adopté une attitude exactement opposée à celle fut alors la leur ; en d’autres termes, imaginons qu’ils aient pris, en 1914, fait et cause pour les Allemands et les Turcs, exactement comme firent les Bulgares en 1915. Quel cours auraient pris les évènements au Proche Orient ? [...]
D’abord, ces horribles massacres d’Arméniens n’auraient pas eu lieu. Tout au contraire, les Allemands et les Turcs auraient tenté de gagner les sympathies des Arméniens par tous les moyens, jusqu’à la fin de la guerre. » (Why Armenia Should Be Free, Boston, Hairenik Press, 1918, p. 43).

— Taner Akçam n’a pas le moindre diplôme en histoire, c’est un ancien agitateur d’extrême gauche (condamné pour incitation au terrorisme, dans les années 1970, amnistié en 1991) devenu sociologue. Son usage massif des traductions malhonnêtes, des citations déformées, des allégations sans preuve, en sus de quelques mensonges particulièrement maladroits (http://www.mepc.org/journal_vol17/1Sahin.asp http://www.tc-america.org/Erman%20Sahin-Review%20Article.pdf), l’a discrédité auprès de tous les historiens sérieux, ou à moitié sérieux, y compris les proarméniens modérés tels qu’Hilmar Kaiser et Donald Bloxham.

— Il est établi par à peu tous les historiens dignes de ce nom qui ont travaillé sur ces tragiques évènements, notamment William L. Langer (ancien professeur à l’université d’Harvard, ancien président de l’American Historical Association), Guenter Lewy (professeur honoraire à l’université du Massachusetts-Amherst), Jeremy Salt (ancien maître de conférences à l’université de Melbourne) et Stanford J. Shaw (ancien professeur d’histoire turque aux universités de Harvard et Californie-Los Angeles) que les massacres de 1894-1896 (improprement situés par M. Perrier en 1896-1898) n’ont pas été « ordonnés par le sultan Abdülhamid », mais sont la conséquence, aussi condamnable qu’inévitable, des provocations sanglantes orchestrées par les comités arméniens, hintchaks puis dachnaks (William L. Langer, The Diplomacy of Imperialism. 1890-1902, New York, Alfred A. Knopf, 1960, pp. 157-160 ; Guenter Lewy, The Armenian Massacres in Ottoman Turkey, Salt Lake City, University of Utah Press, 2005, pp. 19-21 ; Jeremy Salt, Imperialism, Evangelism and the Ottoman Armenians. 1878-1896, Londres, Frank Cass, 1993 ; Stanford J. Shaw et Ezel Kural Shaw, History of the Ottoman Empire and Modern Turkey, New York-Cambridge, Cambridge University Press, tome II, 1978, pp. 200-205 et « The Authors Respond », International Journal of Middle Eastern Studies, IX-3, août 1978 ; voir aussi Louise Nalbandian, The Armenian Revolutionary Movement, Berkeley-Los Angeles, University of California Press, 1963, pp. 110 et passim). De même, les évènements d’Adana sont des représailles — tout à fait condamnables, je le répète — contre l’insurrection des hintchakistes, qui avaient tué environ 1 850 Turcs. Le chiffre correct des victimes arméniennes lors de ces évènements se situe autour de 17 000 (Djémal Pacha, Memories of a Turkish Statesman, New York, George H. Doran, 1922).

— Le chiffre de 300 000 victimes arméniennes de la Première Guerre mondiale remonte au livre de Kâmuran Gürün, Le Dossier arménien, dont la version originale en turc est parue à Ankara en 1983, et la traduction française à Genève, en 1984. La Turquie n’est pas la seule « nier toute planification ». De très respectables historiens et politistes, comme Bernard Lewis, Guenter Lewy, Michael M. Gunter (professeur à l’université du Tennessee, spécialiste des questions arménienne et kurde), Justin McCarthy (professeur d’histoire ottomane à l’université du Kentucky) ou Andrew Mango (de l’université de Londres) rejettent aussi cette idée. La thèse de la planification ne repose que sur des faux grossiers (notamment les « documents Andonian », les « dix commandements », le livre de Mevlanzade Rifat), des manipulations de textes (en particuliers celles de MM. Akçam et Dadrian), des impressions personnelles de certains missionnaires et certains diplomates occidentaux, ainsi que sur les restes plus que douteux des cours martiales ottomanes de 1919-1920. L’historien arméno-britannique Ara Sarafian a récemment admis qu’on peut se poser la question de savoir s’il y avait réellement un plan visant à tuer tous les Arméniens ottomans.

— Le Monde étant supposé publier du bon français, je rappelle à la rédaction que le terme « négationnisme » ne désigne que la négation de l’existence des chambres à gaz, éventuellement celle de la Shoah en général (voir les définitions des dictionnaires Larousse et Robert).

— Comme à son habitude, M. Perrier nous parle de l’assassinat de Hrant Dink, mais ne dit pas un mot sur le terrorisme arménien des années 1973-1991, qui a fait plus de 70 morts et plus de 500 blessés. Vicken Hovsepian a été condamné en 1984 à six ans de prison ferme pour avoir dirigé une tentative d’attentat, attentat qui aurait fait entre 2 000 et 3 000 morts (vous avez bien lu), selon le FBI, s’il avait réussi. M. Hovsepian est aujourd’hui l’une des figures les plus importantes de la communauté arménienne des États-Unis ; il appartient au bureau mondial de la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA). Son camarade de parti Mourad Topalian, ancien président de l’Armenian national committee of America (ANCA) de 1991 à 1999, a été condamné, en 2001, par un tribunal de l’Ohio, à trente-sept mois de prison ferme pour détention illégale d’explosifs et d’armes de guerre, en relation avec une entreprise terroriste (http://www.fbi.gov/publications/terror/terror2000_2001.htm http://212.150.54.123/spotlight/det.cfm?id=557). M. Topalian a reçu le soutien enthousiaste et arrogant de son parti, avant comme après sa condamnation. Il ne me semble pas que Le Monde ait informé ses lecteurs de ces affaires. La France est pourtant le pays où les terroristes de l’ASALA et des CJGA/ARA ont fait le plus de victimes et commis le plus d’attentats.

Il m’arrive parfois de rêver que Le Monde réponde à ses devoirs d’objectivité et d’excellence sur la question arménienne, qu’il nous offre, sur deux pleines pages, un débat avec Houri Berberian et Hilmar Kaiser pour la partie arménienne, Kemal Çiçek et Justin McCarthy pour la partie turque, Gwynne Dyer et Guenter Lewy entre les deux : un débat d’historiens, plutôt que les prudhommeries d’intellectuels autoproclamés, qui ne connaissent rien aux exigences de la science historique. Mais ce n’est qu’un rêve.

Veuillez recevoir, madame, monsieur, l’expression de mes salutations attristées.

Maxime Gauin
Paris


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