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Maxime Gauin réplique à Conspiracywatch, site en pleine dérive

Publié le | par Maxime Gauin | Nombre de visite 1148
Maxime Gauin réplique à Conspiracywatch, site en pleine dérive

N’est pas anticonspirationniste qui veut. Le site prétentieusement appelé Conspiracywatch nous en a donné, en février dernier, un exemple frappant. Le texte est rédigé par un certain Lionel Chanel, qui ne compte aucune publication recensée par Google scholar, mais qui tente de me donner une leçon d’histoire ottomane, en citant quelques mauvais livres. M. Chanel devrait pourtant s’en tenir à l’histoire du droit criminel sous la Révolution française (son sujet de master : il n’a jamais soutenu de thèse), sauf à vouloir se ridiculiser. À chacun ses compétences.

Au prétexte de faire l’éloge du sociologue allemand Taner Akçam et plus précisément de son dernier (« Génocide des Arméniens : l’historien turc Taner Akçam pulvérise les derniers arguments négationnistes »), il s’en prend à moi — selon le procédé manipulatoire de la fausse promesse. Voyons en quels termes. Autant prévenir d’emblée le lecteur que cette réplique n’est pas brève ; mais le but poursuivi est de ne rien laisser d’un texte aussi malveillant que sot. Le texte de Lionel Chanel est cité point par point, avec LC avant chaque citation, pour plus de clarté.

Taner Akçam et moi
LC : « Comme pour parer préventivement à cette énième estocade portée au storytelling négationniste, le site Turquie-News.com a mis en ligne, trois jours seulement avant la publication d’Ordres de tuer, un article de Maxime Gauin qui, sous couvert d’une recension d’un précédent livre de Taner Akçam paru en 2012, déroule tout un argumentaire destiné à discréditer le travail de l’historien et à jeter le doute sur la réalité du traitement inhumain infligé aux Arméniens par le gouvernement Jeune-Turc. »

Plusieurs contrevérités et un mensonge par omission en quelques lignes :

  • L’article dont M. Chanel parle est paru pour la première fois en anglais dans le numéro de mars 2015 du Journal of Muslim Minority Affairs, revue à comité de lecture publiée par le grand éditeur londonien Routledge. La version française (écrite elle aussi par moi et légèrement plus longue que la version originale) est parue sur Turquie-news.com la même année, comme la simple lecture du texte le fait comprendre. Sa première mise en ligne n’est donc en rien liée à la parution d’un livre de M. Akçam qui remonte à 2016 pour sa version originale et à 2020 pour sa traduction dans la langue de Molière ;
  • Quand j’ai rédigé la version originale de ma recension, c’est-à-dire en 2014, j’ignorais complètement que M. Akçam projetait d’écrire un livre sur les « documents Andonian » ;
  • M. Akçam (naturalisé allemand et nationaliste kurde, donc nullement « turc ») n’a aucun diplôme en histoire : tout son cursus universitaire s’est fait dans un département de sociologie. Plus grave, sa thèse en sociologie a été obtenue dans des conditions illicites. En effet, selon les règles en vigueur en Allemagne, le directeur d’une thèse, ou, le cas échéant, les deux codirecteurs, doit (doivent) être professeur(s) des universités en exercice. Or, l’un des deux codirecteurs de la thèse soutenue en 1995 par M. Akçam, le sociologue arméno-américain Vahakn N. Dadrian (décédé l’an dernier), a été radié de l’université d’État de New York (Geneso) au printemps 1991, soit plus d’un an avant que M. Akçam ne s’inscrivît en thèse (septembre ou octobre 1992). Le motif de la radiation ? Harcèlement sexuel en situation de récidive (il avait déjà été suspendu un mois sans traitement, en 1981, pour le même motif).
    Plus grave encore, M. Akçam n’est même pas un historien du dimanche : la malhonnêteté qui caractérise ses publications interdit de le présenter comme tel. C’était le sens de mon article, et nous allons en reparler.

Mon parcours, mes actions en justice et les dirigeants nationalistes arméniens
LC : « L’auteur du texte, qui a récemment achevé un doctorat en histoire à l’Université technique du Moyen-Orient, à Ankara, et qui fut auparavant chercheur à l’Organisation internationale de recherche stratégique (USAK), un think tank turc, s’est illustré au cours des dernières années par les poursuites en diffamation qu’il a intentées contre deux militants de la cause arménienne et pour lesquelles il a été débouté – il avait été comparé au négationniste de la Shoah Robert Faurisson. »

Là encore, ces quelques lignes montrent le peu de sérieux de leur auteur, et c’est une litote :

  • Il est exact que j’ai soutenu ma thèse à l’université qu’il indique — en décembre dernier pour être précis. Mais pourquoi ne pas m’avoir écrit pour la lire avant de publier cet article vipérin ? Pourquoi taire mes publications universitaires, par exemple mon chapitre sur le déplacement forcé de 1915 paru dans un ouvrage collectif publié, en décembre dernier aussi, par le grand éditeur londonien Bloomsbury Academics [1] ? Venant de quelqu’un qui semble n’avoir rien publié de sa vie, ni dans des revues à comité de lecture, ni dans des ouvrages parus chez des éditeurs universitaires, voilà qui est bien léger ;
  • Jean-Marc « Ara » Toranian et Samuel Tilbian (pourquoi ne pas les nommer ?) ne sont pas les seuls « militants de la cause arménienne » que j’aie poursuivis en justice. J’ai fait condamner Movsès Nissanian par le tribunal de grande instance de Lyon, condamnation devenue définitive, le prévenu n’ayant pas fait appel. Je poursuis également Laurent Leylekian (déjà condamné dans une autre affaire de diffamation) : la procédure n’a pas encore été jugée.
    S’agissant maintenant des arrêts de relaxe auxquels M. Chanel fait allusion (sans reproduire ni citer les textes : pourquoi ?), non seulement j’ai déposé des pourvois en cassation (pourquoi M. Chanel ne le précise-t-il pas ? la Cour de cassation juge pourtant l’essentiel du fond en droit de la presse) mais encore la simple lecture de ces arrêts montre que la cour d’appel a justifié son extraordinaire magnanimité, non pas du tout pas une enquête particulièrement sérieuse qu’auraient menée les personnes poursuivies, ou par l’excuse de provocation s’agissant des propos injurieux, mais par la « loi » du 29 janvier 2001 (« La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915. »). Or, j’ai aussi déposé une question prioritaire de constitutionnalité contre ce texte, à l’évidence contraire à la Constitution. Pourquoi ne pas le préciser non plus ?
  • J’ai rappelé, lors du procès en appel, que la feuille alors dirigée par M. Toranian (Hay Baykar) avait mis, en 1987, en couverture une représentation du sultan Abdülhamit II à côté d’un banquier stéréotypé pourvu d’un nez crochu. Fermement invité à s’expliquer là-dessus par la présidente, M. Toranian n’a répondu que par une série de faux-fuyants. Tout ce qui était clair dans sa réponse, c’est qu’il ne regrettait absolument pas cette publication. Quant à M. Tilbian, j’ai fait constater par huissier quelques exemples de sa production antisémite, sur le forum dont M. Toranian est responsable. Nous n’avons pas eu droit à des regrets, là non plus.
    Jamais le site Conspiracywatch ne s’est intéressé à la théorie conspirationniste et antisémite des banquiers juifs derrière Abdülhamit » devenue ensuite celle du « complot judéo-maçonnico-dönme derrière le Comité Union et progrès et le mouvement kémaliste », « complot » dont l’ultime projection, selon ses promoteurs contemporains, serait la défense de la Constitution française, par Robert Badinter et Pierre Nora, contre le communautarisme arménien.
    Varoujan Sirapian, ancien vice-président du Conseil de coordination des associations arméniennes de France (CCAF), s’est particulièrement illustré dans ce domaine, et a aussi publié (comme propriétaire et patron des éditions Sigest) un ouvrage antisémite, traduit par Maria Poumier, laquelle est une admiratrice déclarée des défunts Roger Garaudy et Robert Faurisson (qui étaient négationnistes au vrai sens du mot, c’est-à- dire qu’ils niaient la Shoah). Personne au CCAF n’y a vu le commencement du moindre problème ; à peu près toutes les composantes reçoivent M. Sirapian sans difficulté (M. Toranian en particulier). Il faudra bien un jour que les responsables du site prétentieusement nommé Conspiracywatch s’expriment sur leur mutisme, mutisme d’autant moins explicable que les contributeurs de la revue de M. Sirapian sont bien souvent, voire majoritairement, marqués du côté d’Alain Soral (Bruno Guigue, Youssef Hindi, I. Adam Shamir, Jean-Michel Vernochet, ou encore Damien Viguier, avocat et admirateur de M. Soral). M. Sirapian lui-même ne dédaigne pas de s’afficher avec Alain Soral. Y aurait-il un bon soralisme et un mauvais soralisme ? À mon sens, non.

Première attaque contre ma recension de 2015
LC : « Dans son article, Maxime Gauin s’évertue à mettre en évidence la menace qu’auraient représentée les Arméniens par « leur stratégie de provocations durant les années 1890 puis en 1909 » et leur « rébellion à Van en 1915 ».

Cette phrase est fausse à double titre :

  • Je n’ai jamais prétendu que « les » Arméniens en général auraient représenté une menace sécuritaire pour l’Empire ottoman. Voici la phrase que M. Chanel cite de manière volontairement tronquée : « Encore plus déconcertant est le fait que, dans ce livre, Taner Akçam ne fait pas référence au développement des partis nationalistes-révolutionnaires arméniens, à leur stratégie de provocation durant les années 1890 [6] puis en 1909 [7], leurs assassinats d’Arméniens loyalistes, comme le maire de Van Bedros Kapamaciyan (Kapamadjian) en 1912 [8], ou leurs politiques dévastatrices après 1918 [9]. »
  • Je ne « m’évertue pas à [y] démontrer » ces aspects de la question arménienne, qui ne sont abordés qu’en passant dans cet article-là, et sur lesquels je renvoie à des publications que mon accusateur du dimanche ne conteste pas et n’a probablement pas lues. Si M. Chanel voulait savoir quels sont, plus précisément, mes arguments et mes sources primaires sur ces sujets, il aurait dû lire — si tant est qu’il comprenne l’anglais — le chapitre cité plus haut pour l’ouvrage collectif paru en décembre dernier chez Bloomsbury Academics. Cela lui aurait évité de gaspiller son temps à faire des phrases qui sont à l’opposé de la réalité historique.

Les évènements violents des années 1890
LC : « Le premier est la série de massacres de 1894-1897 commis sous le règne du sultan Abdülhamid II, souvent désignés sous le nom de « massacres hamidiens », au cours desquels entre 100 000 et 300 000 Arméniens, hommes, femmes et enfants, furent assassinés. »

La fourchette de « 100 000 à 300 000 » est donnée sans aucune source. Est-ce la conception que Lionel Chanel se fait de l’histoire ? En tout cas, ce n’est pas la mienne. On fait de l’histoire avec des documents, le cas échéant avec des témoignages aussi, mais pas avec des imprécations morales et des chiffres sortis de nulle part. Il serait loisible de se contenter de la célèbre formule : « Ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve. » Mais allons plus loin.

Un ouvrage résolument hostile aux Turcs, rédigé en 1896 par des missionnaires américains animés d’un esprit de lutte implacable contre l’islam en général et l’islam turc en particulier propose comme estimation une cinquantaine de milliers d’Arméniens tués (presque tous des hommes, explique l’ouvrage, et en l’occurrence, c’est une précision exacte et bienvenue), en extrapolant à partir des 35 032 morts rapportés par diverses organisations missionnaires d’Anatolie pour la période la plus violente, celle qui va du 30 septembre 1895 au 1er janvier 1896 [2]. Il faut savoir que ces mêmes missionnaires américains avaient affirmé que les évènements de Sasun (voir ci-dessous) avaient causé la mort de « six à dix mille Arméniens » (estimation envoyée de Bitlis), ou de « six mille » (estimation du siège d’İstanbul), ou, pour les moins maximalistes, de « quatre mille » (estimation partie d’Erzurum) [3]. Or, le rapport des consuls français, britannique et russe arrive au chiffre de 265, et encore, en y incluant des Arméniens qui s’étaient présentés en chair et en os devant ces mêmes consuls (vous avez bien lu), comme en atteste la comparaison entre les procès-verbaux d’enquêtes et le rapport. Une fois déduits les trucages statistiques, il est possible d’arriver à environ cent insurgés tués les armes à la main et une cinquantaine de victimes de bavures [4] (ce qui est déjà une cinquantaine de trop).

Entre dix mille (ou même quatre mille) et cent cinquante, il y a un gouffre. Par conséquente, les cinquante mille morts allégués (au moyen d’une extrapolation) par le principal ouvrage publié par des missionnaires américains sur la période 1894-1896, s’ils ne constituent pas une affirmation fondée sur des exagérations toujours aussi grossières que sur le cas de Sasun, ne saurait être considérés comme le calcul le plus fiable. L’unique estimation combinant un travail aux archives ottomanes, britanniques et françaises, celle de Kâmuran Gürün, arrive à une vingtaine de milliers d’Arméniens morts (insurgés inclus) de 1894 à 1896, et plus de cinq mille Turcs et autres musulmans tués (par des nationalistes arméniens) pendant la même période [5].

La stratégie de provocation des nationalistes-révolutionnaires arméniens dans les années 1890
LC : « En réalité, nulle « provocation » n’explique ces tragiques événements. »
Voilà l’intégralité de la réplique de M. Chanel aux références que j’ai données ! Décidément, ces gens qui n’ont que « négationnisme » à la bouche ne se gênent pas pour nier des faits évidents, prouvés par les sources les plus diverses. Un ouvrage entier suffirait à peine pour présenter toutes celles relatives à la stratégie de provocation des années 1890 [6]. En voici quelques-unes.

Dans le Boston Congretionalist du 23 décembre 1893, Cyrus Hamlin (1811-1900), ancien directeur du Robert College, la principale école américaine d’İstanbul, rapporte qu’un des dirigeants du parti Hintchak lui a expliqué que les bandes de cette formation politique et terroriste « attendront l’occasion propice pour se jeter sur les Turcs et les Kurdes, les tuer, incendier leurs villages et s’enfuir ensuite dans les montagnes. Mis en rage, les musulmans fondront alors sur les Arméniens sans défense et les massacreront avec une telle barbarie que la Russie envahira le pays au nom de l’humanité et de la civilisation chrétienne et en prendra possession. » Hamlin poursuit :

« Après que j’eus dénoncé ce plan comme le plus atroce et le plus infernal qui se fût jamais vu, il me répondit calmement : “Assurément, cela peut vous paraître ainsi, mais nous, les Arméniens, nous sommes décidés à conquérir notre liberté. C’est parce qu’elle a entendu parler des atrocités bulgares que l’Europe a libéré la Bulgarie. Quand des millions de femmes et d’enfants auront fait entendre leurs plaintes et versé leur sang, elle finira par entendre aussi notre cri...
Nous sommes désespérés. Nous allons le faire.” »

Puis, Hamlin précise qu’il a tenté une dernière objection : la majorité des Arméniens ottomans ne veut pas de la conquête russe et préfère, malgré ses défauts, l’Empire ottoman. La réplique fut alors : « Oui, et ils doivent souffrir en raison de cette stupidité [7]. »

Un rapport commandé par l’ambassadeur britannique à İstanbul, Sir Philip Currie, à un sujet de Sa Majesté résidant dans l’Empire ottoman, et transmis au Foreign Office le 28 mars 1894 (donc, avant les évènements de Sasun), explique que « le but immédiat des révolutionnaires [arméniens] est d’inciter au désordre, de causer des représailles inhumaines et ainsi de provoquer l’intervention des Puissances au nom de l’humanité. » Le rapport précise que ces nationalistes-révolutionnaires n’ont, en 1894, guère de soutien que parmi des jeunes gens demi-savants, la masse demeurant surtout indifférente [8]. Ces conclusions, vers 1890-1894, font consensus parmi les citoyens et sujets des puissances européennes qui résident dans l’Empire ottoman [9].

Durant la prise d’otages de la Banque ottomane, en août 1896 (attentat qui n’est qu’un élément d’un plan plus vaste, visant à ravager İstanbul, mais le seul qui soit mis en œuvre avec succès), Gustave Wulfing, cadre de la banque, fait observer à Garéguine Pasdermadjian (1872-1923), chef du groupe ayant pris le contrôle de l’établissement, que s’il fait tout sauter, il y aura « des milliers de victimes » (à cause de l’explosion elle- même puis des représailles), le banquier entend le terroriste répondre « avec le plus grand calme : “Plus de victimes il y aura, mieux cela vaudra pour notre cause.” » Après la fin de la prise d’otages et des jets de bombes en divers endroits de la ville, Pasdermadjian et ses hommes sont heureux d’apprendre que nombreuses ont été les victimes [des représailles aveugles]. “Plus il y aura de sang versé, plus nous serons près du succès de notre cause, car les puissances seront obligées d’intervenir [10].” »

Toujours en 1896, le journaliste américain Sidney Withman demande au consul britannique à Erzurum, Robert Graves, si les évènements sanglants de l’automne dernier auraient pu se produire sans la présence et l’activité des nationalistes-révolutionnaires. Graves répond : « Certainement pas. Je ne crois pas qu’un seul Arménien aurait été tué [11]. » Graves maintient cette conclusion dans ses Mémoires, publiés en 1933, soit un an avant sa mort, et où le lecteur chercherait en vain une ligne turcophile [12].

La place des Arméniens dans l’État hamidien (années 1880 et 1890)
LC : « Ils s’insèrent dans un contexte de répression accrue contre les Arméniens, considérés depuis plusieurs années comme des ennemis de l’intérieur. »

Voilà une autre affirmation bouffonne. Si Lionel Chanel veut parler de la période antérieure à 1894, il faut le faire sur la base des faits et non des poncifs les plus erronés. En 1862, éclate à Zeytun la première révolte nationaliste arménienne, marquée par le massacre de sept villageois turcs, massacre qui n’est pas suivi de représailles, grâce à l’énergie du préfet de Maraş, félicité à ce titre par le vice- consul français de cette ville, lequel recommande à l’ambassadeur d’intervenir auprès du gouvernement ottoman pour que ce préfet reçoive une promotion [13]. En 1878, Zeytun se révolte à nouveau, dans le contexte de la guerre russo-ottomane de 1877-1878 [14]. En décembre 1882, la police ottomane découvre le complot d’Erzurum (un projet d’insurrection), démantelé sans aucune bavure Lettre du vice-consul de France à Erzéroum au ministre des Affaires étrangères, 22 décembre 1882 ; Lettre du vice-consul de France à Erzéroum au ministre des Affaires étrangères, 19 janvier 1883 ; Dépêche du vice-consul de France à Erzéroum à l’ambassadeur de France à Constantinople, 4 mai 1883, AMAE, P 801.]]. En 1885, est créé le premier parti nationaliste-révolutionnaire arménien, l’Armenakan, de tendance nationale-religieuse, qui se signale par un affrontement avec des soldats turcs en 1889, l’attaque d’une tribu kurde puis l’assassinat d’un policier en 1892 [15]. Ensuite, c’est le tour du Hintchak, nationaliste-marxiste, créé en 1887 (sa stratégie a été vue plus haut) et de la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA) en 1890 (la FRA est le parti qui organise la prise d’otages à la Banque ottomane en 1896, et qui a elle aussi été décrite ; elle se définit elle-même comme « nationale-socialiste [16] »).

Parler d’une « répression », qui plus est « accrue » (!) contre « les Arméniens » dans les « années » précédant 1894, c’est là encore prouver qu’on ne sait ni A ni B du sujet qu’on prétend aborder, la bouche pleine de son arrogance. Dans les années 1880, le poste de ministre de la Liste civile est occupé par deux Arméniens, successivement : Agop Kazazyan Paşa puis Ohannes Efendi. Toujours dans les années 1880, Mikael Portakalyan Paşa est ministre des Finances. De 1883 à sa mort, en 1901, Artin Dadian est secrétaire général du ministère des Affaires étrangères. En 1896, un cinquième des fonctionnaires les mieux payés d’İstanbul sont des Arméniens [17]. Cette intégration de la bourgeoisie arménienne dans le régime hamidien, à tous les niveaux (ajoutée au marxisme revendiqué par le parti Hintchak), explique d’ailleurs l’hostilité de la plupart des Arméniens aisés contre le nationalisme-révolutionnaire professé par certains de leurs coreligionnaires, petits-bourgeois déclassés, qu’une éducation superficielle a rendus arrogants. Un exemple frappant est l’assassinat de Garabet Kuyumciyan (Kouyoumdjian), riche et très loyaliste, à Sivas, le 1er juillet 1895, par le Hintchak : il est tué de dix-sept coups de couteau. Puis, le 13 juillet 1895, toujours à Sivas, le Hintchak fait égorger Sarkis Kiramciyan, là encore pour cause de loyalisme [18].

Sasun 1894
LC : « Les massacres hamidiens démarrèrent par un « piège [2] » tendu par l’administration locale aux Arméniens du Sassoun, dans le sud-est de l’Anatolie, qui consista à exiger l’impôt de leur part alors qu’ils venaient tout juste de s’acquitter d’une taxe très élevée due aux Kurdes. Les Arméniens demandèrent un délai mais, pour toute réponse, l’armée ottomane rasa un village et massacra ses habitants, sachant que les Arméniens du Sassoun, qu’ils connaissaient pour leurs traditions guerrières, prendraient les armes en réaction à ce massacre, ce qu’ils firent effectivement. Le prétexte était alors tout trouvé pour mater la « rébellion ». »
Cette histoire de « piège », de double impôt et de « massacre » précédant l’insurrection n’a aucun lien avec la réalité, et Lionel Chanel le saurait s’il se documentait en lisant les historiens qui ont travaillé sur les archives pertinentes [19].

Adana 1909
LC : « Le deuxième événement mentionné par Maxime Gauin fait référence aux massacres d’Adana de 1909 où 20 000 Arméniens trouvèrent la mort. Là encore, de fausses rumeurs furent répandues sur un « soulèvement » imminent de la communauté arménienne. Djemal Pacha, l’un des principaux responsables du génocide, écrivit dans ses Mémoires à propos de ces massacres qu’ils avaient été causés par « les provocations des Arméniens [3] ». La thèse du prétendu soulèvement arménien est d’ailleurs contredite aussi bien par les récits des témoins européens que par les conclusions d’une commission d’enquête instaurée après les événements et qui conclut à la responsabilité écrasante des autorités locales [4]. »

Autant de mots, autant d’erreurs — mais vu les auteurs sur lesquels que M. Chanel s’appuie, ce n’est pas étonnant. S’agissant de Cemal Paşa (Djémal Pacha, 1872- 1922), je n’ai cité nulle part ses Mémoires dans l’article auquel cet incompétent répond, donc je ne sais pas par quelle hallucination il croit pertinent d’en parler. Quant à qualifier Cemal d’« un des principaux responsables du génocide », c’est sans doute une des affirmations les plus absurdes qui soient proférées par mon critique. Bien au contraire, Cemal est, de 1915 à 1917, comme numéro trois du régime jeune-turc et chargé des provinces proche-orientales, le « responsable » une politique protectrice, qui lui vaut la gratitude d’une bonne partie des Arméniens réinstallés dans cette région [20]. C’est notamment le cas d’Hagop Sarkissian, réinstallé à Alep en 1915 puis émigré aux États-Unis, naturalisé américain sous le nom de James K. Sutherland : « Cemal « disait : ‟Si les Arméniens savaient ce que j’ai fait pour eux, ils réaliseraient une statue en or à mon effigie, et ils la placeraient au sommet du mont Ararat.” Je crois maintenant qu’il avait raison [21]. » Bien que partisan de la qualification de « génocide arménien », Hilmar Kaiser (qui a au moins l’avantage d’être docteur en histoire ottomane et de travailler sur archives) a publié un article universitaire de plus quarante pages, où il démontre l’ampleur de l’aide apportée par Cemal et critique, par la même occasion, le mépris des sources pertinentes, sur ce point en tout cas, par Raymond Kévorkian [22]. J’ai diverses critiques à faire à M. Kaiser, mais comme elles ne concernent pas l’action de Cemal en tant que telle, je ne les exposerai pas ici (je l’ai fait ailleurs [23]).

Ensuite, quand on ne sait rien des « récits des témoins européens », il est préférable de se taire. M. Chanel, lui parle quand même. Dès la fin du mois d’octobre 1908, le vice-consul de France à Mersin et Adana tire la sonnette d’alarme :

« Quelques exaltés arméniens ayant, par la violence de leur rancune contre les Turcs, qui triomphent aux élections [législatives], provoqué ces derniers, des bagarres sont en effet à craindre pour la fin du Ramadan. Les pessimistes parlaient même d’un massacre des Arméniens pour cette date, mais une pareille éventualité semble peu probable, à moins que ceux-ci ne persistent dans leur attitude outrecuidante et impolitique au possible [24]. »

Quant au révérend Thomas Christie (1843-1921), directeur de l’institution scolaire américaine Saint-Paul, à Tarsus, ville voisine d’Adana, qui se trouve dans cette dernière cité quand les affrontements interethniques y éclatent, voici sa conclusion après coup :

« Les jeunes hommes arméniens d’Adana sont presque tous révolutionnaires, ce n’est pas comme ici [à Tarsus]. Des armes ont été vendues librement pendant des mois ; les deux parties ont entreposé des armes et des munitions. Les Arméniens ont été encouragés à procéder ainsi par un homme très mauvais, leur évêque [Mouchegh Séropian], qui est maintenant à l’abri, en Égypte. Si lui et quelques autres avaient été mis en prison à l’automne dernier, rien de tout cela ne se serait produit [souligné par moi]. Les Turcs étaient exaspérés par les menaces et les fanfaronnades arméniennes. Dans une atmosphère ainsi chauffée à blanc, ‟le coup de feu part tout seul”. La mort d’un Turc a mis le feu aux poudres [25]. »

Stephen van Trowbridge, autre missionnaire américain, installé lui à Antep (aujourd’hui Gaziantep) mais présent à Adana en avril 1909, pendant l’affrontement, conclut lui aussi à une lourde responsabilité de Mouchegh Séropian [26]. De même, ce sont des notables arméniens qui demandent (avec succès) au vice-consul britannique, officier de carrière qui vient d’obtenir, devant la panique débilitante du préfet (qui se cache littéralement sous la table), l’autorisation de commander cinquante gendarmes turcs pour rétablir l’ordre, d’empêcher Séropian, qui faisait un séjour en Égypte au début de l’affrontement, de débarquer à Mersin et ainsi de revenir dans la région [27].

Séropian est condamné à mort par contumace et se défend par une brochure écrite avec la plus parfaite mauvaise foi [28]. Or, onze ans plus tard, le même Séropian est condamné, par la justice militaire française,dix ans de travaux forcés et vingt ans d’interdiction de séjour, pour « association de malfaiteurs, fabrication et détention d’engins meurtriers agissant par explosion, détention d’armes et de munitions de guerre, complicité d’homicide par imprudence [29] » (excusez du peu). Il s’agit des activités terroristes déployées par Séropian et son frère Vramchabouh (lui-même condamné à quinze ans de prison par la justice ottomane avant 1914) en 1919-1920, lors du retour de l’ex-archevêque d’Adana, à la faveur de l’occupation française de la ville. Ces activités prennent fin le 13 mars 1920, lorsque, Mouchegh Séropian absent (il est une fois de plus en Égypte), son frère se tue accidentellement en manipulant une bombe. L’explosion tue aussi le boulanger arménien qui lui amène du pain [30] (d’où la condamnation de Séropian pour complicité d’homicide par imprudence). Là encore, l’ex-archevêque se défend par une brochure rédigée avec la plus parfaite mauvaise foi [31].

Si Lionel Chanel avait lu ma thèse, il saurait tout cela ; mais à l’instar de Michel Onfray, autre portevoix du nationalisme arménien en France, M. Chanel ne se documente pas sérieusement avant d’écrire (du moins sur la question arménienne). Voilà pourquoi il ajoute à toutes les énormités déjà exposées ici une confusion entre l’opinion strictement personnelle (et plus que discutable) du député Babikian et les conclusions de la commission parlementaire d’enquête (qui n’est d’ailleurs pas la seule commission envoyée sur place, mais passons) [32].

La révolte de Van en 1915
LC : « Enfin, le troisième événement est la soi-disant « rébellion de Van », en réalité un mouvement d’autodéfense de la ville né en avril 1915 suite aux massacres perpétrés contre les Arméniens par les soldats turcs. Le comité central du Comité Union et Progrès (le nom officiel du mouvement Jeune-Turc) assimila cette résistance à un acte de rébellion. Pourtant, comme l’écrivent les chercheurs Raymond Kévorkian et Yves Ternon dans leur Mémorial du génocide des Arméniens :

Les officiers allemands présents sur le terrain expliquent à leur ambassade qu’il n’y a pas eu de révolte arménienne, mais que le gouvernement a prémédité les massacres, ce que confirme le médecin américain, Clarence Ussher, qui soigne les blessés arméniens retranchés à Van [5]. » »

Remarquons, pour commencer, que Lionel Chancel ne parle pas un français correct : il confond « soi-disant » avec « prétendue ». Passons maintenant au fond. Les « chercheurs » Raymond Kévorkian (ancien directeur de bibliothèque) et Yves Ternon (chirurgien urologue à la retraite) n’ont jamais mis les pieds de leur vie aux archives militaires allemandes, ni d’ailleurs aux archives diplomatiques d’outre-Rhin (du moins sur la question arménienne). Le passage que M. Chanel cite n’est justifié par aucune note. Quelques pages plus loin, MM. Kévorkian et Ternon reproduisent bien un texte de l’ambassade allemande à İstanbul qui résume des propos tenus par le général allemand Posseldt et qui justifient partiellement leur affirmation extraordinaire, mais outre que la différence entre le singulier et le pluriel (un/les) est apprise à l’école primaire, Posseldt n’est pas en poste à Van : il est à Erzurum [33]. En quoi, par conséquent, sa parole vaudrait-elle plus que celle de son chef, le général Ottoman Liman von Sanders, chef de la mission militaire allemande dans l’Empire ottoman de 1913 à 1918, ayant donc accès aux rapports de tous les officiers (allemands ou ottomans) ? Pour von Sanders,

« les expulsions trouvaient en maints endroits à se justifier, les Arméniens ayant souvent fait cause commune avec les envahisseurs russes ; ils avaient aussi été les instigateurs de bien des actes de cruauté contre la population musulmane.
Il est hors de doute que les expulsions furent accompagnées d’actes terribles et vraiment condamnables. Mais il faut surtout les imputer aux agents subalternes qui, par haine personnelle ou par esprit de lucre, exagérèrent férocement les ordres donnés et travestirent les intentions des gouvernants [34]. »

Cette discordance entre les récits de Posseldt et von Sanders ne saurait étonner que ceux qui ne savent rien des relations exécrables entre certains officiers allemands (pétris d’arrogance raciste) et les Turcs [35], ni de l’arménophilie militante professée par une partie de l’extrême droite allemande, Paul Rohrbach en particulier, souvent ceux-là même qui se retrouvent, dès 1933-1934, à être les fers de lance de l’arménophilie nazie, comme Rohrbach justement. Elle étonnera donc forcément mon contradicteur.

Le mythe d’une « autodéfense » à Van est en contradiction formelle, non seulement avec les rapports ottomans (rapports non destinés à publication, mais seulement à l’information des autorités) [36] mais également avec les archives russes [37]. D’ailleurs, dès le mois de décembre 1912, Archak Vramian (1871-1915), ancien député (Fédération révolutionnaire arménienne) de Van futur meneur de la révolte de Van, déclare au vice-consul de France : « Nous sommes décidés à reprendre l’activité révolutionnaire que nous avions suspendue depuis quatre ans. [38] »

Deux remarques encore pour finir sur Van. S’agissant de Clarence Ussher (1870-1955), d’abord : outre que MM. Kévorkian et Ternon, qui n’ont jamais mis les pieds de leur vie aux archives des missionnaires américains à Harvard, ne citent aucun rapport écrit sur le moment par Ussher mais se contentent de citer son livre paru en 1917, ce missionnaire est la caricature de ses collègues. Le capitaine Tyrrel, vice-consul britannique à Van, écrit ainsi en 1905 : « Je sais par expérience que les déclarations du Dr Ussher ne sont pas fiables et jamais je n’accepte aucune d’entre elles avant d’avoir mené une enquête minutieuse et personnelle » pour la recouper. Quant à l’ambassadeur britannique à İstanbul, toujours en 1905, il rapporte que son collègue américain ne prend guère au sérieux les affirmations d’Ussher en raison de « son fanatisme extraordinaire [39] ».
Le livre d’Ussher (An American Physician in Turkey, Boston-New York, Houghton Mifflin C°, 1917) est rempli d’énormités, de faux-fuyants et mensonges par omission. Par exemple, p. 217, il ose prétendre qu’un régiment de l’armée ottomane formée uniquement d’Arméniens ethniques a pris une ville russe du Caucase, à la fin de 1914 : si le loyalisme de certains soldats et officiers arméniens ottomane est un fait, ces régiments et cette prise ne sont que pure imagination. P. 157, Ussher accuse l’Empire ottoman d’avoir appliqué le droit musulman aux chrétiens (affirmation complètement délirante). P. 168, il prétend que le gouvernement unioniste choisit, en 1914, de maintenir les Capitulations (avantages juridiques et fiscaux accordés aux étrangers), ce qui est l’exact opposé de la vérité : elles sont abolies dès avant l’entrée en guerre de l’Empire ottoman. Parmi les mensonges par omission, citons le silence de mort que choisit d’observer Ussher sur l’assassinat du maire de Van, Bedros Kapamaciyan, en décembre 1912, par la Fédération révolutionnaire arménienne, en raison de son loyalisme [40].

S’agissant de la façon dont MM. Kévorkian et Ternon traitent de Van, j’extrais cette phrase du livre cité par M. Chanel (Mémorial du génocide des Arméniens, 2014, p. 188) :

« En juillet 1914, le vali [préfet] de Van, Tahsin Bey, accusé de soutenir les Arméniens, avaient été remplacé par Cevdet, beau-frère d’Enver, un tortionnaire maniaque. »

Chaque affirmation y est fausse, ce qui n’a rien pour étonner, venant d’eux. Tahsin ne change pas de poste (passant de Van à Erzurum) en juillet mais en octobre 1914, et ce n’est pas parce qu’il est « accusé de soutenir les Arméniens » mais parce que la mobilisation à Erzurum exige un administrateur exceptionnel comme lui [41]. Quant à Cevdet, loin d’être un « tortionnaire maniaque » (accusation inventée par la Fédération révolutionnaire arménienne, celle-là même qui organise la révolte à Van en 1915) il est l’un de ceux qui, comme sous-préfet, est responsable de l’élimination de bandits kurdes en 1913 [42].

Voilà les « chercheurs » de référence de M. Chanel. À chacun ses sources.

Une infâme falsification de mes propos
LC : « Maxime Gauin cherche donc à attribuer aux Arméniens la responsabilité de leur propre sort dans les massacres dont ils furent victimes, inversant ainsi les rôles du bourreau et de la victime. »

Cette phrase est une falsification de mes propos. J’ai déjà parlé des assassinats d’Arméniens loyalistes par le Hintchak et la FRA avant 1914, du manque de base populaire pour le nationalisme arménien au milieu des années 1890. Voici, pour en finir avec cette ignominie de Lionel Chanel, un extrait de la recension à laquelle il prétend répondre :

« Le silence de Taner Akçam sur ces crimes [des révolutionnaires arméiens] dont il n’ignore pas l’existence […] n’est pas seulement un exemple frappant du deux poids, deux mesures qui caractérise ses publications ; c’est aussi une grave lacune dans la présentation du contexte, car après le massacre de musulmans innocents, leurs parents et amis n’avaient besoin d’aucun ordre du pouvoir central pour commettre des représailles sanglantes contre des Arméniens également innocents [76]. »

C’est ce genre de falsification qui a servi à justifier le terrorisme arménien des années 1970 et 1980, notamment l’attentat d’Orly.

Les procès de 1919-1921
LC : « Maxime Gauin dénonce également les « graves irrégularités » des procès organisés en 1919-1920 par le gouvernement turc pour juger les responsables du génocide, ainsi que leur caractère politique. Pourtant, ces procès permirent de mettre en évidence l’implication des dirigeants du CUP dans le génocide et l’existence d’un plan destiné à l’élimination de la population arménienne. Ils démolirent aussi la fable de la « révolte » arménienne pour justifier les massacres. Ces procès furent l’occasion de produire et d’authentifier un grand nombre de documents officiels attestant de la nature génocidaire des exactions commises par le gouvernement jeune-turc. »

Jusqu’ici, j’ai répondu point par point en respectant l’ordre des phrases et des paragraphes. Pour des raisons de logique, je garde la question des « documents Andonian » pour la fin, car c’est le seul passage où Lionel Chanel respecte la promesse faite dans le titre et parle (laconiquement) du contenu du dernier livre commis par Taner Akçam.

Ce passage sur les procès de 1919-1921 est tellement lamentable que c’est à peine s’il mérite une réponse. J’ai donné, dans ma recension, toutes les références pour mes affirmations : là, un amateur, au sens le plus fâcheux du mot, me répond par une série d’assertions aussi vagues que fausses, sans la moindre source. La nullité juridique qui frappe la condamnation des anciens ministres en 1919 (violation de la Constitution) ? La condamnation de Nemrut Mustafa (futur dirigeant du nationalisme kurde), en décembre 1920, pour avoir violé le code de procédure pénale quand il avait condamné divers ex-fonctionnaires turcs ? Autant de points de détail de l’histoire pour lui. L’annulation en appel, en janvier 1921, de la plupart des condamnations prononcées entre avril et octobre 1920, et notamment de toutes celles relatives aux homicides volontaires ? Même pas un détail : il n’y fait aucune allusion.

M. Chanel a-t-il lu seulement le verdict condamnant les anciens ministres ottomans ? Très en retrait par rapport au réquisitoire de renvoi, dont les accusations sont tombées l’une après l’autre lors des débats, ce jugement s’en tire, sur la question arménienne, par un sophisme : il y a eu des massacres d’Arméniens, or les accusés étaient au pouvoir à l’époque, donc ils sont coupables, sinon de les avoir ordonnés, du moins d’avoir laissé faire [43]. Or, les instructions données par le cabinet CUP dès 1915 (deux exemples sont donnés ci- dessous, à propos de l’enquête de Malte) et les 1 397 condamnations prononcées entre octobre 1915 et janvier 191745 prouvent l’innocence de ce gouvernement dans les massacres en question. M. Chanel, qui semble décidément miser beaucoup sur la paresse intellectuelle de ces lecteurs, ne trouve très exactement rien à me répondre sur les procès organisés pendant la Première Guerre mondiale, que j’invoque pourtant dans ma recension qui le fait tant blêmir.

L’enquête de Malte
« Maxime Gauin considère comme un point décisif « l’enquête menée par les autorités britanniques, de 1919 à 1921, sur 144 anciens dignitaires de l’Empire ottoman, arrêtés puis internés à Malte ». « Au terme de cette enquête, écrit-il, le procureur et ses assistants sont arrivés à la conclusion qu’il n’existait aucune preuve, même contre un seul des détenus ». La déformation des faits est ici flagrante : les Britanniques ne souhaitaient pas voir les responsables du génocide traduits devant des cours de justice ottomanes mais plutôt devant une juridiction internationale. »

La « déformation » est, une fois de plus, celle de Lionel Chanel, puisqu’au lieu de me répondre sur le fond, il change de sujet : il me cite sur la conclusion du procureur britannique en 1921 (conclusion qu’à l’évidence il ne connaît pas, n’ayant jamais mis les pieds de sa vie aux archives nationales britanniques et n’ayant pas lu les documents, relatifs à cette enquête, publiés en fac-similé par Salâhi Sonyel dès 1972) et, au lieu de commenter cette conclusion, il me répond sur l’intention de ces mêmes Britanniques, intention que je n’ai jamais contestée — et qu’il présente d’une manière approximative, car le gouvernement de Sa Majesté ne souhaite pas, en 1919-1921, faire juger les internés de Malte par une juridiction véritablement « internationale » mais par une cour anglaise, d’où d’ailleurs le veto de Londres au projet d’une commission internationale (Suède-Danemark-Pays-Bas-Espagne), en 1919.

LC : « Cependant, les velléités du Royaume-Uni d’une justice internationale s’amoindrirent, notamment en raison de divergences avec ses alliés. »

Cette phrase est dénuée de tout rapport avec la réalité. Le 4 mars 1920, un an après les premières arrestations et le choix de Malte comme lieu d’internement, Sir Hamar Greenwood (1870- 1948) répond au député William Redmond (1886-1932), qui lui a demandé : « Est-il envisagé de juger ces Turcs ? », par ces mots : « C’est envisagé [44]. »

Encore en novembre de la même année, le gouvernement britannique en tient toujours pour une présomption de responsabilité collective :

« En pratique, nous partons du principe qu’une présomption suffisante de culpabilité justifie l’incarcération, et in fine la mise en accusation judiciaire [souligné par moi], existe contre tous les membres des gouvernements turcs successifs, à l’époque où les déportations et les massacres eurent lieu, et aussi contre toute personne de rang suffisamment élevé au CUP pour qu’une part de responsabilité puisse lui être attribuée dans l’établissement de cette politique [45]. »

Dans les premiers mois de 1921, la correspondance du Foreign Office avec le procureur général de Sa Majesté en Angleterre et au Pays de Galle atteste que l’enquête continue, que des preuves sont toujours recherchées [46]. Quant aux « divergences avec ses alliés », M. Chanel fait allusion aux réserves françaises relatives à la procédure engagée, ce qui ne manquera pas de faire rire ceux qui ont un minimum de connaissances sur la rivalité franco-britannique dans la région, à cette époque, et sur le peu de cas fait des protestations françaises par Londres, à propos de ce sujet comme des autres [47], et à plus forte raison ceux qui, comme moi, ont consulté les dossiers du Foreign Office relatifs à l’enquête de Malte : jamais la divergence avec Paris n’y apparaît comme un obstacle, si minime soit-il.

LC : « Dans un article paru en 2012 et dont une traduction est disponible sur le site anti-négationniste Imprescriptible.fr, l’ancien juge à la Cour européenne des droits de l’homme Giovanni Bonello ajoutait que le vide juridique auquel étaient confrontés les Britanniques ainsi que l’absence de volonté de leur part de faire usage des pièces produites par les tribunaux militaires ottomans, rendaient extrêmement difficile la tenue d’un procès international. »

Contre les documents, Lionel Chanel invoque… un article de presse, où ne se trouve, justement, pas la moindre référence à un seul document. Que cet article reproduise des déclarations faites par M. Bonello ou qui que ce soit d’autre n’y change strictement rien : sans sources, une parole n’a aucune valeur. Nulle part, dans les documents que j’ai lus (et j’ai lu tout ce qui était disponible en 2013), un quelconque « vide juridique » n’est invoqué pour libérer les prisonniers et abandonner les poursuites. C’est l’absence de preuves (voir ci-dessous) qui est avancée comme raison. Or, dans l’article en question, la correspondance prouvant que le renoncement britannique est dû à cette absence totale d’élément sérieux et à charge n’est nulle part évoquée par M. Bonello, ni évidemment par M. Chanel.

LC : « Finalement, le gouvernement britannique se résigna à « l’abandon des procédures [11] » et échangea certains de ses prisonniers turcs contre qui pesaient des charges très lourdes, contre des prisonniers anglais aux mains des nationalistes de Mustafa Kemal [12]. En d’autres termes, si les poursuites furent abandonnées, ce n’est nullement, comme le laisse entendre Maxime Gauin, suite à une « enquête » rigoureuse qui aurait établi l’innocence des accusés. »

Ce nouveau passage mensonger me donne l’occasion d’opposer les faits aux élucubrations. Dès la fin de 1918, les autorités britanniques d’occupation saisissent des documents ottomans, qui se trouvent désormais aux Archives nationales (Kew Gardens, Londres). À la fin de 1919, le Foreign Office reçoit un ordre du ministère ottoman de l’Intérieur, en date du 28 avril 1915, transmis à Antep par le préfet d’Alep. L’ordre vise à l’arrestation des responsables des comités dachnaks et hintchaks, et se termine par ces mots :

Tous les documents trouvés seront portés à l’attention des enquêteurs, et les personnes qui seront arrêtées suite à ces instructions judiciaires devront être déférés en cour martiale. Le nombre des personnes arrêtées et les détails relatifs à l’exécution de cet ordre devront être rapportés en permanence. Comme cet ordre n’est qu’une mesure prise contre l’extension [des activités] des comités, vous devrez vous abstenir de l’appliquer d’une façon qui pourrait conduire au massacre mutuel entre les éléments musulmans et arméniens. »

Le 16 janvier 1920, W. S. Edmonds, diplomate alors en poste à l’administration centrale du Foreign Office, commente ainsi cette découverte : « il n’y a pas ici assez de preuves pour soutenir l’accusation de massacre. » Son collaborateur D. G. Osborne renchérit : « Au contraire, le dernier paragraphe de l’ordre donné par le ministre de l’Intérieur [Talat] met particulièrement en garde contre les mesures pouvant conduire à des massacres [48]. »

De manière encore plus nette, une circulaire du ministère ottoman de l’Intérieur, en date du 28 août 1915, et saisie vers la fin de 1918 par l’armée britannique, indique :

Article 9. Les émigrants doivent recevoir la nourriture nécessaire pendant leur trajet. Pour en donner aux personnes les plus pauvres, le fonds des personnes déplacées sera utilisé.
Article 10. Maintenez toujours sous surveillance et sous contrôle les lieux de rassemblement et prenez les mesures nécessaires pour assurer leur bien-être, l’ordre et la sécurité. Assurez-vous que les émigrés indigents reçoivent bien de la nourriture, et occupez-vous des problèmes sanitaires en faisant venir tous les jours un médecin. Prenez soin des malades et fournissez tout ce qui est nécessaire aux futures mères, ainsi que pour les nouveaux-nés. Les fonctionnaires, à leurs postes respectifs, seront tenus pour responsables en cas de manquement à l’exécution de ces ordres. […]
Article 21. Si les personnes déplacées sont attaquées, que ce soit dans les lieux de rassemblement ou pendant leur trajet, arrêtez immédiatement les coupables et envoyez-les avec leur dossier devant une cour martiale. [Souligné par moi.] [49] »

Ne trouvant rien dans les documents ottomans ainsi saisis, les autorités britanniques libèrent, au printemps 1921, quarante détenus (dont dix-sept ex- accusés de crimes contre des chrétiens et deux ex-accusés de mauvais traitements aux prisonniers de guerre), faute de preuves, ce qui ne suffit pas à obtenir la libération des prisonniers britanniques détenus par les kémalistes [50]. Voulant tout de même faire juger les autres détenus, le gouvernement britannique s’adresse, toujours en 1921, aux États-Unis. Le 13 juillet de cette année-là, Sir Auckland Geddes (1879-1954), ambassadeur à Washington, Geddes explique au Foreign Office qu’un de ses collaborateurs a rendu visite au Département d’État, et a été autorisé à lire « une sélection de rapports consulaires sur les atrocités commises en Arménie [sic : Anatolie orientale] durant la guerre » ; les documents « jugés les plus utiles, par le Département d’État, pour le suivi par le gouvernement de Sa Majesté ». Or, comme l’indique l’ambassadeur :

« Je suis au regret de vous informer qu’il n’y avait rien là-dedans qui pourrait être employé comme preuve contre les Turcs détenus à Malte. Les rapports vus, bien que décrivant largement les atrocités commises, ne mentionnent, cependant, que deux noms seulement parmi les fonctionnaires turcs en question — ceux de Sabit Bey et de Suleiman Faik Pasha —, et encore, il ne s’agit que d’opinions personnelles, aucun fait concret n’étant donné, qui pourrait constituer une preuve satisfaisante à l’appui de l’accusation. […]
Je crains qu’il n’y ait rien à espérer de nouvelles requêtes auprès du gouvernement des États-Unis à ce sujet. Je regrette seulement que le Département d’État n’ait pas été plus clair, et plus tôt [51]. »

Très logiquement, le 29 juillet 1921, le procureur général fait savoir qu’il n’a, contre les détenus accusés de massacre, aucune preuve admissible devant une cour de justice britannique, et même à propos de ceux qui sont suspectés de mauvais traitements aux prisonniers de guerre, il ne semble pas très sûr [52].

Et maintenant voici la preuve définitive sur la cause de l’échange de prisonnier intervenu à l’automne 1921. Le 24 août, le juge Lindsay Smith écrit au haut-commissaire à İstanbul :

« On ne voit pas bien, dans les dossiers, de quelles preuves disposent les autorités britanniques [contre les Turcs détenus à Malte], si elles en disposent, mais il est évident, en lisant la dépêche du procureur général, qu’à son avis, ce ne serait pas suffisant pour obtenir leur condamnation par une cour de justice.
Il me semble qu’un procès qui avorterait ferait plus de mal que de bien, car cela donnerait aux prisonniers l’occasion de soutenir qu’ils ont été détenus ou emprisonnés à tort.
La seule alternative est donc de les garder simplement comme otages, et de les libérer en échange des prisonniers britanniques […]
Ces remarques ne s’appliquent pas aux huit qui sont accusés d’actes de cruauté contre des prisonniers [britanniques et indiens] [53]. »

Le 20 septembre 1921, le procureur général donne son accord à l’échange de prisonniers [54], puis un compromis fut d’ailleurs accepté par le négociateur kémaliste : les huit encore soupçonnés de mauvais traitements aux prisonniers seront renvoyés devant un tribunal turc, les témoins britanniques qui le désireraient seront entendus, et le procureur britannique sera associé aux débats [55]— alors même que les fonctionnaires de Sa Majesté admettent, entre eux, n’avoir que des charges très minces [56]. L’échange a lieu le 1er novembre 1921. Voilà l’histoire, la vraie.

Les « documents » Andonian : une confusion volontaire
LC : « Il reproche aussi à Taner Akçam d’appuyer sa démonstration sur de faux documents, parmi lesquels il range les télégrammes publiés par Andonian. Or, c’est justement la démonstration de l’authenticité de ces documents qui forme l’objet de l’ouvrage qui vient de paraître en janvier dernier. »

M. Chanel se rend- il compte à quel point il se discrédite auprès de n’importe quel lecteur attentif de son article et du mien ? Dans ma recension parue en 2015, j’explique comment, dans son livre publié en 2012, M. Akçam falsifie le contenu d’un document ottoman authentique et invente une « lettre » qui n’existe pas. Au lieu de commenter ce que j’écris, M. Chanel passe tout de suite à l’autre livre, paru en turc en 2016, en anglais en 2018 puis en français cette année — et qui, par définition, n’est pas le sujet de ce que j’ai publié il y a cinq ans. Ajoutons que M. Akçam lui-même reconnaît implicitement l’exactitude de ma critique sur ce double point, puisqu’il ne reprend pas, dans cet autre ouvrage, les deux falsifications à ce sujet que j’avais exposées en 2015.

Pour en finir avec ce passage : pourquoi M. Chanel est-il muet sur un autre faux document utilisé par M. Akçam, c’est-à-dire les « Dix commandements » attribués au CUP ? Et au-delà de ce seul extrait, pourquoi n’avoir commenté que des bribes d’un article aussi long, et avoir laissé totalement de côté les exemples de falsifications de sources authentiques que j’expose à longueur de pages, et qui constituent la plus grande partie de mon propos ? N’est-ce pas là un terrible aveu de défaite intellectuelle, en même temps qu’une preuve de malhonnêteté ?

J’en ai terminé avec les billevesées de M. Chanel sur ma recension. Voyons maintenant la partie, minoritaire, de son texte, où il fait l’éloge du sociologue allemand Taner Akçam.

Naim : une falsification commise par Taner Akçam
LC : « De manière méthodique, Akçam démonte les arguments de Sinasi Orel et Sürayya Yuca qui, en 1983, avaient remis en question la véracité de ces documents dans un livre de facture négationniste publié par la Société d’histoire turque sous le titre Les « télégrammes » de Talât Pacha. Fait historique ou fiction ?

Parmi les arguments employés par Orel et Yuca, citons-en trois que Taner Akçam réfute :

1) les signatures du gouverneur Mustafa Abdulhalik figurant dans les télégrammes d’Andonian auraient été contrefaites ;
2) les groupes de chiffres des télégrammes codés ne correspondraient pas à ceux utilisés à la même période ;
3) Naïm Efendi n’aurait jamais existé. »

De deux choses l’une : ou bien Lionel Chanel n’a pas lu le livre des défunts Şinasi Orel et Sürreya Yuca — et c’est grave. Ou il l’a lu — et c’est encore plus grave. En effet, Taner Akçam procède à une véritable falsification de ce qu’on écrit ces deux auteurs, en particulier sur Naim Bey (que M. Chanel appelle Naim Effendi »). N’ayant trouvé aucune trace d’un Naim Bey parmi les fonctionnaires d’Alep dans les archives ottomanes, pour la période en question, feus Orel et Yuca concluent :

On peut faire trois suppositions en ce qui concerne Naim Bey :

  • a) Naim Bey est un personnage imaginaire ;
  • b) Naim Bey est un surnom ;
  • c) Naim Bey est un personnage réel.

Il est impossible de savoir si Naim Bey a existé ou non. La seule chose que l’on puisse affirmer, dans l’hypothèse de l’existence réelle de Naim Bey, c’est qu’il a dû être un fonctionnaire sans importance. La lettre d’Andonian du 26 juillet 1937 le confirme : “Naim Bey était un fonctionnaire tout à fait insignifiant [57].” »

Un enfant de neuf ans aurait pu trouver que M. Akçam ment en faisant dire à ceux qu’il prétend réfuter que Naim Bey n’a jamais existé : leur livre est disponible en ligne, depuis plus de quinze ans. M. Chanel en semble incapable.

Naim, suite
LC : « Enfin, concernant le troisième point, Akçam a pu retrouver la trace de Naïm Efendi dans les archives militaires turques et dans trois documents ottomans. Ces sources nous apprennent que Naïm fut un temps premier secrétaire du directeur général adjoint des déportations puis qu’il fut affecté au camp de Meskéné pour s’occuper des déportations [8]. »

Pour des raisons de logique, j’enchaîne directement avec la question de Naim Bey, réservant celle des signatures et celle des codes pour plus tard.

ce stade, il est possible de se demander si M. Chanel a lu attentivement le livre dont il nous inflige cet éloge énamouré. Taner Akçam n’a pas « retrouvé la trace de Naim Efendi » dans « trois documents ottomans » mais dans un des faux documents publiés par Andonian et dans deux documents » qu’Andonian lui-même n’a pas jugé dignes de publication : c’est un raisonnement circulaire — et donc dénué de toute valeur. Ensuite, M. Akçam produit en tout et pour tout, un document des archives militaires ottomanes, qui n’a rien d’inédit puisqu’il a été publié voici plus de dix ans. Cet unique document parle effectivement d’un certain Naim Efendi, et ne le décrit pas du tout comme qui « s’occupe des déportations » mais comme… un fonctionnaire municipal, dans la petite ville syrienne de Maskanah, où il est responsable d’un silo à grains [58] ! Outre que ce n’est en rien une preuve que ce Naim serait bien celui d’Andonian, et sans insister sur le fait que « Bey » est un titre honorifique supérieur à « Efendi », plus rare aussi, même en supposant, très aimablement, que cette hypothèse soit la bonne, elle ne ferait que confirmer qu’Andonian a publié des faux. En effet, qui peut croire sérieusement qu’un fonctionnaire municipal, responsable d’un silo à grains dans une bourgade, détiendrait des documents ultrasecrets, qui plus est dans une société aussi hiérarchisée que la société ottomane et en temps de guerre ?

Autre preuve avancée par M. Akçam (mais curieusement non commentée par M. Chanel) : la reproduction photographique d’une reproduction photographique d’un manuscrit sans signature. Nous sommes priés de croire que ce manuscrit est celui des « Mémoires de Naim Bey ». En l’absence de signature et d’exemplaires incontestables de l’écriture de l’individu en question — et pour ne rien dire du fait que « l’original » a disparu sans explication —, il est impossible de considérer que ces photos de photos prouvent quoi que ce soit. Par ailleurs, même en imaginant (pure spéculation) que ce texte soit bien celui du manuscrit signé par Naim, ce serait une nouvelle confirmation de la fausseté des documents Andonian », car ce manuscrit est très différent de celui publié à Paris et à Londres en 1920 : jamais Naim (si c’est bien lui qui écrit) ne s’y présente comme un haut fonctionnaire, ni ne rapporte de conversations, contrairement à la version parue dans le livre signé par Andonian. J’irai même plus loin : à titre purement hypothétique, ce rapprochement de deux sources est intéressant.

En effet, comme il a été vu plus haut, Andonian lui-même, dans une lettre de 1937, décrit Naim comme un fonctionnaire tout à fait insignifiant ». Dans la même lettre, il le présente comme un alcoolique et un joueur, qui a vendu les « documents » par besoin d’argent. Il ne serait donc pas du tout absurde d’imaginer un Naim fonctionnaire municipal aidant Andonian et consorts à fabriquer de faux documents contre une somme significative.

Pour en finir sur ce passage de Lionel Chanel : Taner Akçam laisse sciemment de côté toute une partie des arguments de Şinasi Orel et Sürreya Yuca, par exemple le codage d’un même télégramme avec à la fois des groupes de deux chiffres et des groupes de trois chiffres, qui rendrait le déchiffrement pratiquement impossible. Ce sociologue allemand au doctorat illégalement obtenu feint également d’ignorer un autre argument, présenté (notamment) par l’auteur de ces lignes, etc. Talat a des habitudes de signature très précises : quand il s’adresse à ses subordonnés, il signe « Le ministre » ou, plus rarement, « Le ministre, Talat », mais jamais « Le ministre de l’Intérieur, Talat », signature réservée aux décrets pris en conseils des ministres, cosignés avec d’autres membres du cabinet [59], or tous les télégrammes attribués à Talat par Andonian sont signés ainsi (sauf le « télégramme » du 1er décembre 1915, où il n’y a tout simplement pas de signature en bas de l’« original » en turc ottoman) et tous sont supposés avoir été envoyés à des subordonnés.

Les « documents Andonian » : les signatures
LC : « En ce qui concerne le premier point, Akçam relève les similitudes flagrantes entre les signatures du gouverneur [Mustafa Abdülhalik] sur les documents Andonian et celles trouvées sur des documents issus des archives ottomanes. Sur l’un des documents Andonian daté du 11 novembre 1915, la signature est même rigoureusement identique à celles que l’on peut trouver dans les archives. De plus, Taner Akçam souligne qu’au sein même des pièces officielles trouvées dans celles- ci, les signatures du gouverneur peuvent varier d’un document à l’autre sans que, pour autant, on taxe l’une ou l’autre version de « fausse » »

Sur la prétendue similitude, il ne suffit pas d’affirmer pour prouver. Ensuite, effectivement, quand il est secrétaire général du ministère de l’Intérieur (1917-1918), Abdülhalik ne signe plus de la même façon qu’à l’époque où il était préfet d’Alep ; mais cela peut s’expliquer par l’accroissement de la masse des documents à signer, et surtout, sa signature demeure très différente de celle qui figure sur les faux d’Andonian. Comme il s’agit de comparaisons visuelles, je renvoie à

l’article d’Ömer Engin Lütem et Yi ğit Alpogan

), M. Chanel nous prouve encore son ignorance des sujets dont il parle : parmi les « documents Andonian », il n’y a pas « sept télégrammes chiffrés » mais treize.

LC : « cinq avec des codes à deux chiffres et deux avec des codes à trois chiffres. Tous ces télégrammes furent envoyés entre le 29 septembre 1915 et le mois de mars 1917. Pour Orel et Yuca, d’une part, un système de codage n’était jamais utilisé plus de six mois et, d’autre part, sur une même période, un seul et unique système était employé. Or, en fouillant dans les archives ottomanes, Akçam a découvert des milliers de télégrammes codés de la période 1914-1918 dont les méthodes de codage à deux, trois, quatre ou cinq chiffres furent utilisées non seulement sur les quatre années mais aussi en même temps sur différentes périodes, lesquelles pouvaient excéder six mois »

Outre que Taner Akçam se contente d’affirmer pour justifier sa prétention extraordinaire (extraordinaire quand on a lu ses ouvrages précédents, et constaté la masse limitée de documents inédits qu’il utilise) à avoir trouvé des « milliers des documents » qui contrediraient les défunts Orel et Yuca sur ce point technique, les quelques-uns qu’il reproduit ne prouvent strictement rien à cet égard. D’abord, clarifions, parce que M. Chanel est confus (pour ne pas changer) : les auteurs auquel M. Akçam prétend répondre font observer que les groupes de trois chiffres ne sont pas utilisés, en 1915 et 1916, par le ministère ottoman de l’Intérieur, dans ses télégrammes envoyés aux préfectures [60]. Avec quoi M. Akçam répond-il pour dire que c’est faux ? Avec des télégrammes rédigés par l’équivalent ottoman de l’Inspection générale de l’administration, depuis les préfectures. Il est évident (sauf pour MM. Akçam et Chanel, apparemment), que le code employé par l’administration centrale du ministère et les préfectures pour correspondre entre eux ne saurait être celui dont se servent ceux qui sont chargés de vérifier la probité, l’efficacité, etc., desdites préfectures. Pour ces télégrammes-là, effectivement, des groupes de trois chiffres sont employés, y compris en 1915 et 1916. La réponse est donc hors sujet.

M. Akçam réplique aussi, c’est vrai, en montrant des documents codés avec des groupes de deux chiffres, alors que ce ne sont pas des rapports d’inspection, mais une correspondance ordinaire du ministère de l’Intérieur. Le problème, c’est que le livre auquel il répond, loin de soutenir que de tels groupes sont inusités par le ministère ottoman de l’Intérieur en 1915 et 1916, affirme au contraire qu’ils sont bien utilisés pendant des années-là [61]. C’est ce qui s’appelle répondre à côté. Par contre, et comme je l’ai déjà rappelé, M. Akçam ne prétend rien expliquer du tout sur les faux « télégrammes » qui sont chiffrés à la fois avec des groupes de deux et des groupes de trois, et sur l’impossibilité pratique que le déchiffrement de tels « télégrammes » représenterait [62]. Il fait semblant de ne pas avoir compris et parie sur le manque de curiosité de ses lecteurs — ce qui est une constante chez lui.

Les mots de la fin
LC : « Il est certain, en revanche, que le discours négationniste est prompt à se vautrer dans toutes les falsifications et toutes les forfaitures pour empêcher la sinistre vérité d’être toujours mieux connue et mieux documentée. »

Comme écrivait François Mitterrand, « l’excès de langage est un procédé coutumier à qui veut faire diversion [63]. » Ce n’est même pas l’excès, ici, c’est l’outrance. Comme tous ceux qui sont de mauvaise foi, Lionel Chanel n’est pas à l’aise. En l’occurrence, cela se traduit par une violence verbale qui rappelle le plus pur style stalinien, ce qui est tout sauf un hasard.

Je ne crois pas, cependant, qu’après s’être vu administrer une correction pareille, M. Chanel aura envie de recommencer — d’autant qu’il prend des risques judicaires, et qui le publie avec.

Maxime Gauin
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[1Maxime Gauin, “Uneven Repression : The Ottoman State and its Armenians,” dans Edward J. Erickson (dir.), A Global History of Relocation in Counter-Insurgency Warfare, Londres-New York, Bloomsbury Academics, 2019, pp. 115-140.

[2Edwin Bliss et alii, Turkey and the Armenian Atrocities, Philadelphie, Philadelphia Keystone Pub. Co, 1896, pp 553-554.

[3Justin McCarthy, Ömer Turan et Cemalettin Taşkıran, Sasun. The History of an 1890s Armenian Revolt, Salt Lake City, University of Utah Press, 2014, p. 76 (d’après la correspondance des missionnaires, qui se trouve à Harvard).

[4Ibid., pp. 186-188.

[5Kâmuran Gürün, Le Dossier arménien, Paris, Triangle, 1984, pp. 176-201 (récapitulation et estimation générale p. 201).

[6Pour une vue d’ensemble : Stanford Jay Shaw et Ezel Kural Shaw, « The Authors Respond », International Journal of Middle East Studies, IX-3, octobre 1978, pp. 390-393.

[7Le texte intégral est reproduit dans Bilâl Şimşir (éd.), British Documents on Ottoman Armenians, tome III, 1891-1895, Ankara, TTK, 2008 (1re éd., 1989), pp. 443-444. Les principaux passages sont cités (entre autres) dans William Langer, The Diplomacy of Imperialism, New York, Alfred A. Knopf, 1960, pp. 157-158.

[8Bilâl Şimşir, British Documents on…, p. 334.

[9William Langer, The Diplomacy of Imperialism…, p. 157.

[10Gaston Auboyneau, La Journée du 26 août 1896 à la Banque impériale ottomane, Villeurbanne, Imprimerie Chaix, 1912, pp. 28 et 34.

[11Sidney Whitman, Turkish Memories, New York-Londres, Chas. Schriber’s Sons/William Heinemann, 1914, pp.93-94.

[12Robert Graves, Storm Centres in the Near East. Personal Memories, 1879-1929, Londres, Hutchinson & C°, 1933, p. 139. Voir aussi Leon Z. Surmelian, I Ask You, Ladies and Gentlemen, New York, E. P. Dutton, 1945, p. 63.

[13Dépêches du vice-consul de France à Marache, 28 juin, 6 août, 20 août et 3 septembre 1862, Centre des archives diplomatiques de Nantes, 2 Mi 2566 ; Lettre de l’ambassadeur de France à Constantinople, 17 septembre 1862, Archives du ministère des Affaires étrangères (AMAE), P 693.

[14Un traduction en français des documents saisis sur les rebelles est dans AMAE, 75 ADP 41.

[15Louise Nalbandian, The Armenian Revolutionary Movement, Berkeley-Los Angeles-Londres, University of California Press, 1963, pp. 100-101.

[16Rapport non daté de l’Okhrana Paris (janvier 1914), Hoover Institution (Stanford), Okhrana records, bobine 385.

[17Sidney Whitman, Turkish Memories…, p. 19.

[18Lettre reçue de Sivas par le consul britannique à Trabzon, 23 juillet 1895, dans Bilâl Şimşir (ed.), British Documents on…, tome IV, 1895, p. 62.

[19Justin McCarthy, Ömer Turan et Cemalettin Taşkıran, Sasun…, pp. 11-32 et 116-192.

[20Guenter Lewy, The Armenian Massacres in Ottoman Turkey, Salt Lake City, University of Utah Press, 2005, pp. 112-113, 194-197, 218-220 et 254.

[21James K. Sutherland, Adventures of an Armenian Boy, Ann Arbor, Ann Arbor Press, 1964, p. 168.

[22Hilmar Kaiser, “Regional resistance to central government policies : Ahmed Djemal Pasha, the governors of Aleppo, and Armenian deportees in the spring and summer of 1915,” Journal of Genocide Research, XII-3/4, 2010, pp. 173-218.

[23Notamment : Maxime Gauin, “The Armenian Forced Relocation : Putting an End to Misleading Simplifications”, Review of Armenian Studies, n° 31, 2015, pp. 111-112.

[24Le vice-consul de France à Mersine et Adana à Son Excellence M. Pichon, 23 octobre 1908, AMAE, P. 16742.

[25Bie Ravndal, consul des États-Unis à Beyrouth, dépêche au sous- secrétaire d’État, 25 avril 1909, p. 5, NARA, RG 84, Records of Foreign Service Posts, Diplomatic Posts Istanbul, vol. 216. Voir aussi, dans le même volume, la dépêche du 6 mai : Ravnal y reprend à son compte l’accusation contre Séropian.

[26Lettre à William Peet, 23 avril 1909, American Board of Commissioners for Missions archives, Harvard University, Houghton Library, 16.9.5, bobine 665.

[27Rapport du vice-consul britannique à Mersin et Adana, 21 avril 1909, pp. 2-6, FO 371/772/17612.

[28Mouchegh Séropian, Les Vêpres ciliciennes, Alexandrie : Typo-lithographie centrale I. De La Rocca, 1909.

[29Conseil de guerre permanent de la 1re division A.F.L., séant à Adana,Jugement par contumace, 23 avril 1920, CADN, 1SL/1V/182.

[30Rapport du gouverneur militaire de la ville et du sandjak d’Adana [Tommy Martin], 14 mars 1920, CADN, 1SL/1V/182.

[31Mouchegh Séropian, Ma Protestation à Monsieur Paul Deschanel, sl [Égypte), 1920 (aucun exemplaire n’est répertorié au catalogue de la Bibliothèque nationale de France, mais le texte est consultable dans AMAE, P 16679).

[32Yücel Güçlü, The Armenian Events of Adana in 1909 : Cemal Paşa and Beyond, Lanham (Maryland), Hamilton Books, 2018, pp. 228, 261 et passim.

[33Ulrich Trumpener, Germany and the Ottoman Empire, 1914-1918, Princeton, Princeton University Press, 1968, p. 203, n. 9.

[34Otto Liman von Sanders, Cinq ans de Turquie, Paris, Payot, 1923, p. 185 (voir aussi p. 13 son appréciation très positive du ministre de l’Intérieur Talat et du grand vizir Sait Halim Pacha).

[35Rapport à monsieur le ministre des Affaires étrangères concernant les principales observations faites par le premier maître-électricien Goulin (Georges), du sous-marin Mariotte, pendant l’internement en Turquie des prisonniers de guerre du Mariotte, 5 juillet 1919, pp. 1-2, 8 et 13-14, CADN, 36/PO/1/6.

[36Kâmuran Gürün, Le Dossier arménien…, pp. 239-242 ; Justin McCarthy, Esat Arslan, Cemalettin Taşkıran et Ömer Turan, The Armenian Rebellion at Van, Salt Lake City, University of Utah Press, 2006, pp. 176-266.

[37Sean McMeekin, The Russian Origins of the First World War, Cambridge (Massachusetts)-London : Harvard University Press, 2011, pp. 149-170.

[38Le vice-consul de France à Van au président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, 19 décembre 1912, AMAE, P 16743.

[39Justin McCarthy, Esat Arslan, Cemalettin Taşkıran et Ömer Turan, The Armenian Rebellion at…, p. 253.

[40Hasan Oktay, « On the Assassination of Van Mayor Kapamacıyan by the Tashnak Committee », Review of Armenian Studies, n° 1, 2002, pp. 79–89 ; Kapriel Serope Papazian, Patriotism Perverted, Boston,
Hairenik Press, 1934, p. 69.

[41Le vice-consul de France à Van au ministre des Affaires étrangères, 10 octobre 1914, AMAE, P 16745.

[42Le vice-consul de France à Van au ministre des Affaires étrangères, 31 août 1913, AMAE, P 16744.

[43Gerard Libaridian, « L’idéologie du mouvement jeunes turcs » (sic), dans Gérard Chalian (dir.), Le Crime de silence, Paris, Flammarion, 1984, pp. 78-79.

[44Extrait du compte-rendu des débats parlementaires, 4 mars 1920, FO 371/5089/E 1054.

[45Commentaire de M. Ryan, 14 novembre 1920, FO 371/6501, f° 505. Voir aussi le commentaire de Sir Harry Lamb, f° 506, qui confirme largement le précédent.

[46Lettre du procureur général au Foreign Office, 8 février 1921 ; Lettre de Lancelot Oliphant au procureur général, 8 avril 1921, FO 371/6499/E 1801 et E 3289.

[47Note au ministre, 10 octobre 1918 ; Note pour le ministre, 2 novembre 1918, AMAE, P 1426 ; Le haut-commissaire de la République française à Beyrouth à la direction des Affaires politiques et commerciales, 6 décembre 1918 ; Note sur les menées anglaises en Asie mineure, 31 janvier 1919, AMAE, 196 PA- AP 6 ; Note sur les intérêts moraux et matériels de la France en Syrie, 1er février 1919, AMAE, 196 PA- AP 8 ; Note sur la question de Mossoul, 30 janvier 1919, AMAE, P 1511 ; Télégramme de Charles de Saint-Aulaire au ministère des Affaires étrangères, 16 février 1921, AMAE, P 1441.

[48FO 371/4241/170751.

[49FO 371/9158/5523. Le document, comme les autres documents ottomans contenus dans le dossier FO 371/9158, ont été publiés par Salâhi R. Sonyel, en fac-similé avec une traduction en anglais, en français et en turc moderne : Le Déplacement des Arméniens. Documents, Ankara, TTK, 1978. Mis à part une erreur dans la traduction française d’un télégramme, erreur due à une maîtrise imparfaite de la langue de Molière, il n’y a pas de problème particulier dans ce petit recueil de documents.

[50Mémorandum du War Office, 9 août 1921, FO 371/6504/E 9112.

[51FO 371/6504/E 8519.

[52Lettre de R. W. Woods (au nom du procureur général) au Foreign Office, 29 juillet 1921, FO 371/6504/E8745.

[53FO 371/6504/E 10023.

[54Lettre du procureur général au Foreign Office, 20 septembre 1921, FO 371/6504/E 10561.

[55Télégramme de Sir Horace Humbold, 29 septembre 1921, FO 371/6504/E 10670.

[56Lettre du général Harington, 14 septembre 1921, FO 371/6504/E 10411 (et, au même endroit, les commentaires des diplomates du Foreign Office, notamment celui d’E. Adams, le 16 septembre 1921).

[57Şinasi Orel et Sürreya Yuca, Les « Télégrammes » de Talât Pacha. Fait historique ou fiction ?, Paris, Triangle, 1986, p. 35.

[58Armenian Activities in the Archive Documents, Ankara, ATASE, tome VII, 2007, p. 264.

[59Pour des exemples : Hikmet Özdemir et Yusuf Sarınay (éd.), [Turkish-Armenian Conflict Documents], Ankara, TBMM, 2007.

[60Şinasi Orel et Sürreya Yuca, Les « Télégrammes » de…, p. 79.

[61[…] dans les années 1915-1916 ce système par deux chiffres avait été utilisé un certain temps » (Şinasi Orel et Sürreya Yuca, Les « Télégrammes » de…, p. 79).

[62Ibid. pp. 71, 79 et 86.

[63François Mitterrand, L’Abeille et l’Architecte, Paris, Flammarion, 1978, p. 65.

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