7 mai 2024

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L’IDENTITE EUROPEENNE DE LA TURQUIE

Publié le | par Dilek, Pakize | Nombre de visite 463
L'IDENTITE EUROPEENNE DE LA TURQUIE

« L’identité est la conscience personnelle que l’on a de soi »
Patrick Dollat

Les trois termes réunis provoquent tout de go de vives réactions, pour certains ils attisent des peurs, pour d’autres, un espoir. Rappelons-nous du débat houleux sur l’adhésion de la Turquie dans l’Union européenne. Valery Giscard d’Estaing, alors président de la Convention sur l’avenir de l’Europe, remettait vigoureusement en cause cette identité « La Turquie n’est pas un pays européen », contrairement à Michel Rocard, beaucoup plus enthousiaste et qui soutenait une Turquie dans l’Union en avançant l’argument historique et économique notamment. En clair, la question de l’identité européenne de la Turquie ne fait pas l’unanimité. Quelle que soit l’opinion avancée, elle déchaine les passions. A cela s’ajoute la polysémie de « l’identité » et la notion complexe de l’Europe, ce qui rend le sujet plus ardu.

L’une des 6 conférences au programme du Salon de la Turquie FestiToursime , qui s’est tenu les 4 premiers jours de novembre à Villefranche-sur-Saône, aborde justement cette question qui est présentée par Patrick Dollat, juriste et chercheur à l’Institut d’études politiques de Strasbourg.

Pour le juriste, l’identité européenne de la Turquie repose sur 3 critères objectifs : géographique, historique et politco-juridique.

 Sur le plan géographique, une partie, même minime, du territoire turc, la Thrace orientale se situe sur le continent européen, délimitée par le détroit du Bosphore ; soit 3% abritant 10 millions de citoyens turcs.

 Historiquement, la Turquie est de fait une composante de l’histoire européenne, n’en déplaise à ses détracteurs. Non seulement avec la mer Egée, elle se trouve dans une région qui est le berceau de la civilisation européenne.
Mais aussi, du XIVème siècle jusqu’à sa chute au lendemain de la première guerre mondiale, l’Empire ottoman a régné sur trois continents dont l’Europe. En 1347, il y posa son pied avec la prise de Gallipoli (dans le détroit des Dardanelles). En 1453, Fatih Sultan Mehmet Han, septième sultan de la dynastie ottomane conquiert Constantinople pour en faire la capitale de son empire. Des Balkans jusqu’aux portes de Vienne, les Ottomans laissent leur empreinte en Europe.

« Tout au long de son histoire, ou presque, l’Empire ottoman a été présent sur le continent européen. De ce fait, il a toujours vécu au contact immédiat des pays européens : voilà une donnée fondamentale de son histoire qui le distingue de celles des grandes civilisations extra-européennes, comme les mondes indien, japonais ou chinois. Pratiquement dès leur apparition sur la scène de l’histoire, les Ottomans ont été confrontés à « l’autre » européen ». François Georgeon
La carte de l'empire ottoman
encyclopedia Britannica.inc
Source : encyclopedia Britannica.inc

 Enfin, le critère politique et juridique : la création de la République de Turquie en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk, fortement inspiré par la philosophie des Lumières, souligne l’attachement de cette nouvelle nation, née des décombres de l’empire ottoman, à l’Europe et aux valeurs de progrès.

En 1950, La Turquie devient membre du Conseil de l’Europe. Ce dernier, doté d’une personnalité juridique, est une organisation internationale créée en mai 1949. Sa mission est d’élaborer des normes, des chartes, des conventions dans des domaines très variés allant à la protection des droits de l’homme, au renforcement de la démocratie. Il a également pour ambition de favoriser le progrès économique et social.

En 1963, un accord d’association est signé entre la Turquie et la Communauté économique européenne (CEE) qui marque les prémisses d’une éventuelle ouverture de négociations d’adhésion. Et en avril 1987, la Turquie dépose officiellement sa candidature à l’Union européenne. Mais l’ouverture des négociations est refusée en raison du conflit de Chypre et de son manque de relations avec la Grèce, pays membre.

Vouloir faire partie de ce club signifie ainsi remplir les conditions préalables : être membre du Conseil de l’Europe, économiquement, il faut pouvoir mettre en œuvre le marché intérieur (libre circulation des marchandises, des personnes, des services, des capitaux). De plus, c’est aussi adhérer aux valeurs de l’Europe qui sont l’affirmation des libertés, d’une démocratie pluraliste , insiste le maitre de conférences.

«  Je pense que l’ancrage européen participerait à la stabilisation de la société turque  »

Pour Turquie-News, Patrick Dollat a développé la notion d’identité afin de mieux saisir son approche « L’identité est la conscience personnelle que l’on a de soi. La conscience européenne que la Turquie a d’elle-même : elle doit se sentir portée par son histoire. Etre Français par exemple c’est le fait de vouloir participer à l’avenir de la France, de se sentir intégré à une communauté française et aussi se sentir porté par son histoire et ses valeurs ».

Caricature de Plantu sur l'entrée de la Turquie
Caricature de Plantu
Valéry Giscard d’Estaing (qui s’était prononcé contre l’entrée de la Turquie dans l’UE) est représenté face au peuple turc.
Caricature de Plantu "Le Monde"

Comment définiriez-vous l’identité européenne  ?

« Le mouvement du siècle des Lumières a été un élément déterminant dans le processus de prise de conscience de l’Europe qu’elle a pu avoir d’elle-même et notamment dans les grandes réflexions sur l’organisation de la société.

Au 19ème siècle, l’Europe s’est conçue comme la puissance dominatrice du monde mais où les enjeux, les conflits principaux prenaient place au sein de ses propres états et qui se définissaient eux-mêmes comme européens par rapport au reste du monde qui était plus ou moins comme des espaces à dominer.

Ce qui est train de changer aujourd’hui dans cette conscience que l’Europe a d’elle-même, elle a été obligée de revoir ses rapports aux autres depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Il faut avoir une vision qui puisse se construire au plus proche des intérêts des individus alors est ce qu’on doit s’étonner de ce balbutiement d’une citoyenneté européenne ?

C’est donc un très lent processus avec un traité de Maastricht signée seulement en 1992 ».

Qu’auriez-vous à ajouter concernant l’identité de la Turquie ?

« Dans le cas turc, il faut concevoir l’identité comme un parcours, comme une convergence. Je crois que la question qui se pose en Turquie c’est celles de priorités : quelles sont les priorités pour l’avenir ?

Certes, l’Union européenne s’est montrée réticente quant à l’adhésion de la Turquie mais je pense que la Turquie elle-même s’interroge encore sur ce qui est le mieux pour son propre avenir.

Donc si l’Union européenne a des problèmes avec la Russie sur des questions d’approvisionnement énergétique, sur les questions des droits fondamentaux, de respect de la démocratie pluraliste, dés lors que la Turquie conçoit son avenir avec l’Union européenne ça veut que sur des questions aussi essentielles, les prises de position premières se font avec elle. Est-ce le choix de la Turquie aujourd’hui ?

Dans l’intérêt de l’Europe et de la Turquie, j’appelle à un avenir commun pour la stabilisation de la société turque et la construction d’une relation pacifique dans un monde agité. La société russe, la société iranienne ne sont pas des sociétés stables ».

En effet, c’est bien ce que l’Union européenne reproche à la Turquie, d’aller chercher d’autres partenaires susceptibles de l’écouter d’autant plus qu’elle veut avoir un rôle important à jouer sur la scène régionale voire internationale. Elle a, pendant des années, aspiré au rêve européen.

Avec le gouvernement de l’AKP, au début des années 2000, peu importe ses raisons, elle a même accéléré les réformes pour se conformer aux normes européennes. La société turque en majorité avait les yeux rivés à l’ouest. Elle se réjouissait d’une éventuelle adhésion, même si actuellement dans un contexte politico-économique doublé d’une lassitude, l’opinion a probablement changé voire renoncé au désir européen. Parallèlement, l’universitaire reconnait aisément une montée du populisme et de l’extrémisme en Europe.

On est en droit ainsi de se demander, pour reprendre la question toujours actuelle de l’historien Jean-Paul Roux « L’Europe veut-elle de la Turquie ? »

Le « Turc » a toujours suscité aussi bien de l’inquiétude que de l’admiration, parfois un rejet. Les expressions « fort comme un Turc » ou « tête de Turc » témoignent de cette ambivalence. La littérature occidentale a, une période, véhiculé une image du Turc comme expansionniste ; probablement que ce cliché continue à hanter l’inconscient collectif.

L’identité n’a pas un caractère figé, elle se construit et se déconstruit en interaction, elle est plurielle. C’est à la Turquie de savoir quel chemin identitaire prendre et à l’Europe qui est elle-même est en crise identitaire, en pleine « crise d’adolescence » comme le souligne Patrick Dollat, de la reconnaitre ou pas parmi les siens.

Compte tenu d’un contexte politique et diplomatique tendu, force est de constater que les deux entités traversent une crise, et qu’il faut sans doute une période de réflexion. Mais à force de tergiverser, l’issue aussi bien pour l’Europe que pour la Turquie pourrait être fatale, surtout avec des enjeux internationaux qui se complexifient.

Europe derviche tourneur
Europe derviche tourneur

Pour en savoir plus :
La Turquie est-elle européenne ?-Jean-Paul Burdy- Ed Turquoise-2004
http://festitourisme.com/programme
https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2005-1-page-29.htm
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/politiques-citoyens/article/michel-rocard-oui-a-l-entree-de-la-46775


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