ÇANAKKALE : MUSTAFA KEMAL vs. LIMAN VON SANDERS
Je vous propose un dialogue croustillant entre Mustafa Kemal et Liman Von Sanders lors de la bataille des Dardanelles (Çanakkale Savaşı).
RAPPEL : Le ministre de la guerre ottoman Enver Pacha, très germanophile, décide de réorganiser l’armée turque et confie ce soin au général prussien Liman von Sanders, Mustafa Kemal proteste : « C’est aux Turcs, dit-il, de gérer leurs affaires. On insulte la nation en faisant appel aux étrangers. ». Cette lucidité lui vaut d’être écarté avec une affectation à l’ambassade ottomane de la voisine Bulgarie !
Lorsque les Alliés attaquent l’Empire ottoman pour franchir le détroit des Dardanelles, l’armée turque obéit aux ordres du général allemand Liman von Sanders ! Cet étranger commande donc aussi à Mustafa Kemal alors colonel. A ce moment, Mustafa Kemal est rentré de sa mission d’attaché militaire ottoman à Sofia où il a vécu une idylle avec Miti.
Liman von Sanders prend alors l’une de ses meilleures décisions : il nomme Mustafa Kemal au commandement. Je vous livre ci-dessous les détails de cette nomination historique qui va changer le cours de l’Histoire !
La division de Mustafa Kemal sauve littéralement les Ottomans ce jour-là.
Voici un extrait de l’hebdomadaire français à fort tirage : L’Illustration.
EXTRAIT
« Mustafa Kamal pacha est soldat de profession. Au cours de la grande guerre, il fit preuve de remarquables aptitudes, notamment aux Dardanelles, où il remporta sur les Anglais une victoire qui eut quelques suites.
La façon dont il prit, à cette occasion, le commandement du corps d’opérations est caractéristiques de l’homme.
Elle mérite d’être racontée.
C’était à un moment où un désastre paraissait imminent et inévitable.
Le commandant en chef aux Dardanelles, le maréchal allemand Liman von Sanders, qui avait éprouvé des déceptions successives, s’adressa en désespoir de cause à Mustafa Kemal, alors colonel et commandant de division, mais dont il connaissait l’ambition en même temps que les capacités militaires.
Le colloque, qui eut lieu par téléphone, fut heurté et laconique.
Allô ! Ici, le commandant en chef !
Zù befehlen, Exzellenz !
Croyez-vous que la situation puisse être rétablie ?
Très certainement !
Comment cela ?
En me nommant général de brigade et en me confiant la direction de la manoeuvre dans le secteur menacé.
Ne serait-ce pas trop ?
Cela dépend des avis. Pour ma part, je pense que cela ne serait sans doute pas assez et que je pourrais peut-être prendre le commandement en…
Déjà Liman von Sanders avait, rageusement, raccroché le récepteur.
Mais, pendant la nuit la situation empirait encore.
Le matin, nouveau coup de téléphone à Mustafa Kemal.
Allô ! Ici le commandant en chef.
Noch ein mahl, zù befehlen, Exzellenz ! (Encore une fois, à vos ordres, Excellence).
Vous êtes nommé général et commandant de l’armée d’opérations. Faites vite !
Le temps de faire changer mes épaulettes, Excellence, et je me mets à l’oeuvre !
Deux jours plus tard, Mustafa Kemal pacha livrait la bataille d’Anafarta dont l’issue détermina l’Angleterre et la France à rappeler des Dardanelles leur corps expéditionnaire.
Général expérimenté, Mustafa Kemal pacha est aussi un chef, dans le sens le plus élevé du mot.
Il est né conducteur d’hommes. Il possède ce don mystérieux par lequel certains êtres s’imposent à l’obéissance et à la vénération des autres. »
Source : L’illustration n°4069, 196 du 26 février 1921.