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Le 18 mars dans l’histoire

Publié le | par Engin | Nombre de visite 338
Le 18 mars dans l'histoire

Le désastre franco-britannique des Dardanelles

Julie d'Andurain
Julie d’Andurain
Agrégée et docteur en histoire, professeur en histoire contemporaine à l’université de Lorraine (site de Metz). Ses travaux de recherches portent sur les phénomènes guerriers, particulièrement en situation coloniale.

Une éclatante victoire de l’empire ottoman ·

Le détroit des Dardanelles, long passage maritime entre la presqu’île de Gallipoli et la côte asiatique fut le théâtre de plusieurs combats depuis le XVIIe siècle du fait de son importance stratégique.

La campagne des Dardanelles, ou campagne de Gallipoli, qui a opposé l’empire ottoman aux troupes britanniques et françaises du 25 avril 1915 au 9 janvier 1916, a vu triompher une armée ottomane qui, contre toute attente de la part de ses ennemis, s’est révélée très combative sous les ordres de Mustapha Kemal.

En réalité, la Turquie avait su tirer profit de son expérience dans la guerre italo-turque de 1912 pour renforcer très efficacement la défense de ses côtes.

Le détroit des Dardanelles est un long passage maritime de près de 90 kilomètres situé entre la presqu’île de Gallipoli et la côte d’Asie et reliant la mer Égée à la mer de Marmara.
Tout comme le Bosphore, long d’une trentaine de kilomètres, il ne constitue pas un problème stratégique et tactique seulement au moment de la Grande Guerre.

Des combats plus anciens, comme celui de juillet 1657, des guerres comme celle de Crimée ou celle de 1878 ont révélé l’importance stratégique des détroits, tant sur un plan maritime que sur un plan terrestre.

Au début du XXe siècle, « les Détroits »1, et plus particulièrement les Dardanelles, redeviennent un enjeu militaire de premier plan.

Ils n’attendent pas août 1914 cependant car le réarmement de la zone s’effectue dès 1912.

Au début de la guerre italo-turque du 28 septembre 1911 au 18 octobre 1912 qui visait initialement l’occupation italienne de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque, la presqu’île de Gallipoli forme déjà une région fortifiée de la plus haute valeur. Pas moins de neuf ouvrages bastionnés assurent la protection sur la côte d’Asie tandis que la côte d’Europe dispose de treize bâtiments renforcés par des batteries et des redoutes.

Après des actions décevantes en Tripolitaine, poussés par une opinion publique lassée par l’enlisement de l’armée dans le désert libyen, les Italiens tentent de faire valoir leur suprématie navale sur la Turquie en faisant porter leurs efforts sur les ports de la côte ottomane de la mer Rouge, les îles du sud de la mer Égée et les ports du Levant. Si bien qu’en réaction à l’attaque italienne du 4 mars 1912 sur Beyrouth et à la canonnade du 18 avril 1912 sur le fort de Koum-Kaleh aux Dardanelles, les Turcs décident de fermer les Détroits en y installant des mines. En bloquant le commerce, ils usent d’un argument de poids face aux puissances européennes pour dénoncer l’offensive maritime des Italiens sur l’île d’Astropalan à vingt heures des Dardanelles.
Soutenue par l’Angleterre et la France inquiètes de voir l’équilibre méditerranéen ainsi rompu, la Sublime Porte obtient finalement l’engagement des Italiens de ne plus attaquer les Détroits (mai 1912). Cependant, eu égard aux opérations précédentes auxquelles il conviendrait d’ajouter un raid de torpilleurs en juillet 1912, la Turquie a pris conscience du danger. Elle renforce donc son dispositif militaire en amassant aux Dardanelles près de 30 000 hommes sous les ordres du général Risa pacha et mine partiellement les passages des Détroits.

Entre-temps, ayant fort mal goûté la présence italienne à Rhodes et dans les îles du Dodécanèse, Français et Britanniques ont infléchi leur politique maritime — fortement sous-tendue par des considérations coloniales — en direction du Levant.

Dès l’été 1912, la France créé un Comité des intérêts français dans le Levant. En novembre, la Navy envoie une escadre de navires modernes à Malte tout en signant un accord maritime avec son alliée, par lequel elle s’assure d’un équilibre du partage des tâches en matière de sécurité maritime : la France se voit chargée de la défense de la Méditerranée tandis que les Britanniques se réservent les côtes de l’Atlantique. L’année suivante cependant, dans le cadre de manœuvres navales, quatre escadres avec 20 000 officiers et marins britanniques visitent les ports du Levant. Ils rivalisent pacifiquement avec la division italienne de dreadnoughts2 et la première escadre française commandée par l’amiral Boué de Lapeyrère. C’est à cette date que, sur fond de projet d’une voie ferrée allant de la Méditerranée aux Indes et de souci de protection du canal de Suez, les Britanniques réfléchissent à une éventuelle stratégie de guerre navale en Méditerranée orientale tout en effectuant, par la même occasion, des reconnaissances importantes du côté des Dardanelles.

STRATÉGIE DE CONTOURNEMENT OU PROTECTION DU CANAL DE SUEZ ?

Les cartes maritimes et terrestres ainsi établies, il ne faut donc guère de temps aux Britanniques pour envisager dès août 1914 une stratégie maritime passant par la Méditerranée orientale. Dès septembre, Londres demande à Athènes dans quelle mesure un corps expéditionnaire pourrait s’installer près des Dardanelles.

La fermeture des Détroits à la fin du mois, l’entrée du Goeben et du Breslau en mer Noire en octobre 1914 puis l’ultimatum des Alliés à la Turquie le 30 octobre 1914 nécessitent d’établir une réflexion stratégique claire.

En attendant, la flotte britannique se prépositionne en se concentrant à Malte afin d’être en mesure d’aller chercher les soldats indiens à Port-Saïd (36 bâtiments portant près de 25 000 hommes) et de surveiller les Dardanelles. Finalement, jugeant le canal de Suez en grand danger, les Anglais établissent l’état de siège en Égypte (2 novembre 1914) avant de transformer le pays en protectorat (18 décembre 1914).

À cette date, le premier lord de l’amirauté Winston Churchill a déjà élaboré un plan qui vise officiellement à soulager le front occidental par une manœuvre de contournement naval en direction des Détroits, l’objectif principal consistant à attaquer Istanbul, tandis que l’objectif secondaire cherche à assurer la protection de la Méditerranée orientale, autrement dit du canal de Suez.

Le plan a été établi et proposé en décembre par le très influent sir Maurice Hankey, secrétaire du Comité de défense impériale (Committee of Imperial Defence). Quoique très critiqué, le projet est finalement approuvé en janvier 1915 au moment même où l’attaque turque sur le canal de Suez — le 26 janvier 1915, réitérée les 2 et 3 février suivants — nécessite de prendre des décisions.

Illustration de la volonté britannique de démontrer sa suprématie navale — application du fameux sea power théorisé par le capitaine Alfred T. Mahan en 18893 —, le plan de Churchill-Hankey validé par l’amiral John Fisher, premier lord de la mer, est caractéristique de la pensée militaire britannique qui associe dans un même élan stratégie de débordement maritime et second front.

Ce choix de stratégie dite indirecte en lieu et place d’une conception clausewitzienne4 de concentration et de bataille décisive sur le front principal, est une manière de trouver une réponse à l’arrêt de l’infanterie en France et de soulager le front russe. Le plan est mis au point pour sa partie technique en janvier 1915 par le vice-amiral Sackville H. Carden, qui est convaincu de la supériorité maritime de l’Angleterre et du piètre avantage qu’il pourrait tirer des forces françaises.

Le plan Carden s’appuie sur une dynamique essentiellement maritime. Il s’agit de bombarder les forts turcs situés à l’entrée du détroit des Dardanelles en mer Égée, d’entrer en mer de Marmara pour pratiquer la « politique de la canonnière » devant Constantinople et forcer ainsi la Porte à se rendre. Mais il se heurte à de nombreuses oppositions qui en modifient considérablement son esprit. D’abord, le général Horacio Herbert Kitchener et Edward Grey — respectivement ministres de la guerre et des affaires étrangères —, qui n’y croient guère obtiennent l’assurance de pouvoir utiliser une force terrestre. Ensuite, l’amiral Fisher accepte le principe de l’opération maritime mais exige que l’on n’envoie que des bâtiments de guerre anciens, de deuxième catégorie, des « pré-dreadnoughts ».

UN DÉSASTRE MILITAIRE

Très vite, l’opération maritime se transforme en désastre militaire. Après un premier bombardement des forts turcs situés à l’entrée des Dardanelles (Seddul-Bahr et Koum-Kaleh) le 19 février 1915, sa flotte étant d’ores et déjà immobilisée, Carden comprend qu’il a échoué.
Victime d’une dépression nerveuse, il est remplacé par son chef d’état-major l’amiral John de Robeck qui, en dépit de l’échec précédent, décide de poursuivre avec une stratégie maritime qui a pourtant déjà failli.

Lors de la seconde attaque, le 18 mars suivant, sept cuirassés sont mis hors de combat en quelques heures, victimes des mines dérivantes.

L’invincibilité supposée de la Navy britannique a vécu.

Dans la mesure où le plan d’ensemble n’est pas remis en cause, il se mue en une opération amphibie de grande ampleur que l’on confie au général britannique Ian Hamilton. Arrivé sur les lieux à la fin mars, il a concentré en Égypte un corps expéditionnaire — appelé bientôt la Mediterranean Expeditionary Force — fort de 70 000 hommes, composé de deux tiers de Britanniques et d’un corps australien et néo-zélandais, le Australia New Zeland Army Corps (Anzac), afin d’organiser le débarquement d’un corps expéditionnaire sur la presqu’île de Gallipoli, au cap Helles (25 avril). Pour des questions politiques surtout, ils sont presque immédiatement renforcés d’un corps expéditionnaire français d’Orient (CEO) à deux divisions.

Sous l’influence de Kitchener, Ian Hamilton a pour mission essentielle de protéger le canal, en construisant autour de lui un glacis stratégique le plus large possible, au risque de heurter les Français qui considèrent la côte syrienne comme une sorte de pré carré colonial. Très vite donc, tandis que les troupes s’enterrent dans des tranchées sur la pointe de la presqu’île turque, ses relations se tendent avec le général français Albert d’Amade, à la fois pour des raisons stratégiques liées à la guerre et pour des considérations politiques touchant aux questions coloniales. Rappelé par Paris, le général d’Amade est remplacé par le général Henri Gouraud en mai 1915, alors même que l’opération sur la presqu’île de Gallipoli semble déjà inutile et coûteuse en vies humaines. À son arrivée, Gouraud ne croit déjà plus à la possibilité d’attaquer frontalement la péninsule. Il reprend et aménage le plan d’Amade de contournement par la péninsule, par la côte d’Asie ou la côte des Anzac à l’ouest, chaque solution étant refusée par le général Hamilton.

Durant toute l’année 1915, alors que les Italiens ont rejoint la France et l’Angleterre (réunion des trois amirautés en mai 1915, prélude à l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés des Alliés), les attaques sur la péninsule se succèdent en vain.

Elles rendent la situation d’autant plus périlleuse qu’elle se double d’une révolte des Sénoussi en Libye et de la mise en place difficile de la révolte arabe dans le Hedjaz. Dès lors, les Britanniques revendiquent auprès de leurs alliés l’extension de leurs prétentions en Méditerranée orientale : tandis que l’opération reflue aux Dardanelles où plus de 30 000 hommes sont évacués, les Britanniques en massent plus de 200 000 entre les centres de Port-Saïd, d’Ismaïlia et de Suez en Égypte.

Pour conclure, la campagne des Dardanelles fut un désastre militaire sans précédent dont la seule opération vraiment réussie consista en l’évacuation des hommes et du matériel, de nuit, sans alerter les Turcs.

En moins d’un an, elle a engendré la perte de plus de 100 000 hommes (les chiffres étant encore très discutés), sans parler des blessés qui furent au moins deux fois plus nombreux.
Cette gabegie est le résultat d’une conception initiale fragile, d’un suivi des opérations défaillant en particulier en termes de planification, le tout fondé sur une analyse faussée et extrêmement condescendante à propos de la capacité de résistance des forces turques. Ces dernières, à l’inverse, se révélèrent très combatives sous les ordres de Mustapha Kemal mais également très bien retranchées dans les fortifications de la péninsule.

En réalité, la Turquie avait su tirer le bénéfice du retour d’expériences de la guerre italo-turque pour renforcer très efficacement la défense de ses côtes.

Outre les Turcs qui gagnèrent là des raisons d’exalter leur fierté nationale, la campagne des Dardanelles permit aux Australiens et aux Néo-Zélandais de faire émerger un « Anzac spirit » qui a, par la suite, rendu possible l’enracinement d’une identité nationale australienne

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