19 avril 2024

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Turquie/Arménie


Histoire

L’éthique universitaire contre la politisation de l’histoire

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Nous publions la version française de l’article publié par Maxime Gauin, chargé de recherches à l’USAK-ISRO, dans le Journal of Turkish Weekly, le 13 juin.


L’avenir des relations turco-arméniennes, dans ses différents aspects, dépend largement de la confrontation d’une approche scientifique du passé, du présent et de l’avenir, à l’encontre de l’instrumentalisation politicienne de l’histoire, motivée par des buts politiques et idéologiques.

Ils parlent de « droits de l’homme »

L’un des slogans favoris de ceux qui réclament l’usage de la qualification de « génocide arménien » consiste à prétendre que la « reconnaissance » est une question de « droits de l’homme ». Or, c’est une erreur de séparer le terrorisme sanglant pratiqué par l’Armée secrète arménienne pour la libération de l’Arménie (ASALA) et les Commandos des justiciers du génocide arménien/Armée révolutionnaire arménienne (CJGA/ARA) du courant dominant en faveur des accusations de « génocide arménien ». En effet, les CJGA/ARA étaient purement et simplement la branche terroriste de la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA), le plus important et le plus efficacement actif parti de la diaspora arménienne. Ce fait est établi même par l’unique étude menée, d’après les archives du parti sur la FRA des années 1959-1998, c’est-à-dire la thèse de doctorat en sciences politiques de Gaïdz Minassian. Vicken Hovsepian, qui appartient actuellement au bureau mondial de la FRA, dont il est représentant suprême aux États-Unis, a été condamné en 1984 (puis en appel en 1988) pour une tentative d’attentat à l’explosif qui, selon les estimations du FBI, pouvait tuer entre deux et trois mille personnes. Mourad Topalian, président de l’Armenian National Committee of America (ANCA, bras politique de la FRA) de 1991 à 1999, a été condamné, en 2001, à trente-sept mois de prison pour détention illégale d’armes de guerre et d’explosifs, en relation avec une entreprise terroriste. En France, Jean-Marc Ara Toranian, co-président du Comité de coordination des associations arméniennes de France, fut porte-parole de l’ASALA de 1976 à 1983, et couvrit d’invectives la cour d’assises de Créteil qui condamna, en 1985, trois terroristes de l’ASALA pour l’attentat d’Orly (15 juillet 1983).

Plusieurs des principaux auteurs de livres défendant l’accusation de « génocide arménien » furent témoins de la défense lors des procès de terroristes arméniens, entre 1981 et 1984, notamment les Américains Richard G. Hovannisian et Gérard Libaridian, ainsi que les Français Jean-Marie Carzou (Zouloumian), Gérard Chaliand (Chalian) et Yves Ternon.
Beaucoup de sources arméniennes démontrent la coopération étroite entre la FRA et les nazis — ainsi que la coopération non moins étroite des deux autres grands partis de la diaspora arménienne (Hintchak et Ramkavar) avec l’URSS stalinienne. Le journal édité par le Ramkavar en France fut même interdit par le gouvernement français pendant la guerre froide, en raison du soutien plus qu’appuyé qu’il apportait à l’URSS.

Par ailleurs, les tenants d’une ligne dure, dans la diaspora arménienne, ont apporté un soutien total à l’invasion de l’Azerbaïdjan en 1991-1994, et à la purification ethnique contre les Azéris. Le massacre de Khodjaly n’est que l’acte le plus connu et le plus barbare de cette campagne d’élimination physique. Les crimes de guerre commis par l’armée arménienne entre 1991 et 1994 sont niés, côté nationaliste arménien, mais ceux qui, sans remettre en cause les souffrances des Arméniens ottomans déplacés pendant la Première Guerre mondiale, rejettent la qualification de « génocide », sont traités de « négateurs », « négativistes », quand ce n’est pas de « négationnistes ».

Faux et usage de faux

Il est encore fréquent, dans l’historiographie arménienne et pro-arménienne, de se référer à des faux notoires, tels que les « Dix commandements » attribués au Comité Union et progrès (CUP), voire aux « documents Andonian » et au livre de Mevlanzade Rifat.

D’autres falsifications sont plus récentes, et en un sens plus dangereuses, parce que leur fausseté est moins connue. Par exemple, Taner Akçam argue que le télégramme envoyé par Talat Pacha à la préfecture d’Ankara (Angora) le 29 août 1915, est une preuve remarquable que « les politiques adoptées contre les Arméniens avaient pour but leur annihilation ». M. Akçam ne cite que les deux premières phrases de ce texte : « La question arménienne, qui se posait dans les provinces orientales, est résolue. [Pour autant], il est inutile de ternir la réputation de notre nation et de notre gouvernement en se livrant à des actes de cruauté qui n’ont aucune nécessité. » (Ermeni Meselesi Hallolunmuştur : Osmanlı Belgelerine Göre Savaş Yıllarında Ermenilere Yönelik Politikalar, İstanbul, İletişim Yayınları, 2008, p. 182.) Ce début est sorti de son contexte, ce qui déforme le sens de tout le texte. Lire le reste du télégramme est éclairant :

« En particulier, l’attaque récente qui a eu lieu contre des Arméniens près d’Ankara a causé beaucoup de regret au ministre, qui a constaté que l’évènement s’est produit suite à l’évidente incompétence des officiers chargés de superviser le transfert des Arméniens, et à l’audace de gendarmes et d’habitants de la région, qui ont agi en suivant leurs instincts bestiaux, violant et volant les Arméniens. Le transfert d’Arméniens, qui doit être appliqué dans l’ordre et avec prudence, ne doit jamais, à l’avenir être confié à des individus animés d’une hostilité fanatique, et les Arméniens — tant ceux qui sont transférés que les autres — doivent absolument être protégés contre toute agression, contre toute attaque. Dans les lieux où une telle protection ne pourrait pas être assurée, le transfert doit être reporté. À partir de maintenant, les officiers chargés [du transfert] seront tenus pour responsables, compte tenu de leur rang, de toute attaque qui se produirait, et renvoyés en cour martiale. Il est nécessaire de donner des ordres très stricts à cet égard, au personnel concerné. »

(Hikmet Özdemir et Yusuf Sarınay, Turkish-Armenian Conflict Documents, Ankara, TBMM, 2007, p. 235.)

Aucun défenseur de l’allégation de « génocide arménien » n’a tenté d’expliquer pourquoi le gouvernement CUP, tout particulièrement Talat Pacha, ont fait punir sévèrement un grand nombre de ceux qui avaient commis des atrocités contre des Arméniens expulsés, qu’il s’agisse de bureaucrates ottomans ou de simples citoyens. Rien que pendant la printemps 1916, 1 673 personnes furent jugées ; soixante-sept d’entre elles furent condamnées à mort et pendues. [1]

Une séparation difficile et nécessaire

Certains universitaires arméniens et proarméniens, comme Hilmar Kaiser et Garabet Moumdjian, qui défendent la qualification de « génocide arménien » sans soutenir le terrorisme ni utiliser des faux, et en acceptant le débat ; mais malheureusement, peu sont ainsi.
Donald Bloxham a soutenu l’accusation de « génocide arménien » d’une façon moins virulente et plus intéressante que la moyenne, mais, peut-être par inadvertance, il n’a pas remarqué qu’il utilisait un faux grossier dans son livre : un montage photographique censé représenter un fonctionnaire ottoman. M. Bloxham a formulé des critiques méritées, rationnelles, de certaines fausses accusations portées par M. Dadrian, mais lorsqu’il en vient au cœur de son sujet, M. Bloxham n’hésite pas à se référer à des arguments de M. Dadrian, qui ne sont rien moins que convaincants (voire notamment The Great Game of Genocide, Oxford-New York, Oxford University Press, 2005, p. 253, n. 74, et p. 255, n. 207, 209, 210).

Il faut espérer que le cumul de révélations sur les faux utilisés afin de défendre la qualification de « génocide arménien » incitera certains à se montrer plus prudents et plus précautionneux, à vérifier leurs discutables présupposés.

Quoi qu’il en soit, la nécessaire réconciliation entre Arméniens et Turcs implique d’isoler les fanatiques qui poursuivent des objectifs politiques, antiturcs. De telles organisations et de tels individus sont les ennemis tant de la République turque que de la République arménienne, comme d’ailleurs de la liberté d’expression et de la recherche historique. Ils se sont opposés violemment à la Plateforme de Vienne comme aux protocoles de 2009, parce qu’ils ont peur de la vérité historique et d’une paix durable. De même que la propagande déguisée en travail historique menace la connaissance du passé, l’activisme politique agressif menace les actions positives que les peuples arménien et turc pourraient mener lors des années à venir.

Les interprétations émotionnelles et déformantes du passé sont les pires ennemis de la paix et de de la construction de l’avenir.


[1Yusuf Halaçoğlu, The Story of 1915. What Happened to the Ottoman Armenians ?, Ankara, TTK, 2008, pp. 82-87.

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