Alors qu’il est à la tête de la première institution financière du pays depuis 2016, Murat Cetinkaya n’ira donc pas au terme de son mandat qui courait jusqu’en 2020. Il est remplacé par son gouverneur adjoint Murat Uysal. Le président Erdogan était en désaccord total avec l’ex-gouverneur sur sa politique monétaire relative au taux directeur élevé que maintenait la Banque Centrale.
Après sa sévère défaite à Istanbul, le président turc Recep Tayyip Erdoğan vient d’essuyer un nouveau revers avec le départ d’un de ses proches alliés au sein de son Parti de la justice et du développement (AKP). Du coup, souligne le « Financial Times », « le malaise (en Turquie) ne fait qu’augmenter depuis les élections municipales qui ont vu l’AKP perdre le contrôle d’Ankara, d’Istanbul et d’autres grandes villes, mettant un terme à sa marche victorieuse depuis l’arrivée du parti d’Erdoğan au pouvoir en 2002 ». Ali Babacan, qui fut l’un des fondateurs du Parti de la justice et du développement (AKP) , a ainsi décidé de quitter le gouvernement en invoquant de « profondes divergences ». Sa démission est intervenue deux jours après la décision du président Erdoğan de se défaire du gouverneur de la banque centrale, Murat Cetinkaya.
Sans l’annoncer officiellement, souligne le « FT », Ali Babacan, qui fut vice-Premier ministre chargé de l’Economie jusqu’en 2015 et qui a négocié avec l’Union européenne sur l’adhésion de son pays, envisage de créer un nouveau parti qui pourrait concurrencer l’AKP. Même de façon marginale, il s’agirait d’un revers supplémentaire pour le parti d’Erdoğan, qui a déjà perdu sa majorité absolue lors des législatives. Ce qui a obligé le président turc à s’allier à l’extrême droite nationaliste. A court terme, spécule le quotidien, Ali Babacan pourrait tenter de débaucher certains députés de l’AKP pour créer une coalition de l’opposition. Pour la Turquie, le départ de l’ancien vice-Premier ministre, qui était populaire auprès des investisseurs étrangers, est inquiétant pour les marchés financiers qui doutent déjà de la direction de l’économie sous la présidence Erdoğan. Une menace pour la livre turque.
M. Babacan, auquel les observateurs prêtent l’intention de créer une nouvelle formation politique, a déclaré qu’il avait remis sa démission à la direction du Parti de la justice et du développement (AKP), au lancement duquel il avait participé en 2001. « Ces dernières années, de profondes divergences sont nées entre les mesures prises dans de nombreux domaines et les valeurs, idées et principes auxquels je crois. J’ai vécu une rupture d’esprit et de cœur », a déclaré M.Babacan dans un communiqué diffusé par voie de presse. »Dans les conditions actuelles, la Turquie a besoin d’une vision neuve pour son avenir. Notre pays a besoin d’analyses justes dans tous les domaines, de stratégies, de plans et de programmes repensés »,"Moi-même, ainsi que de nombreux compagnons, ressentons une responsabilité historique en vue de mettre en oeuvre cet effort », a-t-il ajouté.
Le départ d’Ali Babacan de l’AKP, le parti de Recep Tayyip Erdoğan, aggrave le sentiment de malaise en Turquie, selon le « Financial Times ».
Un autre cadre historique de l’AKP, l’ex-Premier ministre Ahmet Davutoglu, envisage lui aussi, selon la presse, de créer sa propre formation, signe des dissensions au sein du parti présidentiel après 17 ans de règne sans partage de M. Erdogan.
Un taux jugé « inacceptable » par Erdogan
Ce taux avait atteint les 24% après que le gouverneur ait décidé de le remonter de 625 points de base. Ce que Recep Tayyip Erdogan avait jugé « inacceptable », surtout que dans la même période, le président américain Donald Trump faisait pression sur la Fed pour faire baisser les taux du dollar de 2,5% à peu près. Ceci pourrait donc être la principale raison du limogeage du gouverneur.
La Banque Centrale pas « indépendante » ?
Le nouveau gouverneur de la Banque Centrale Murat Uysal à travers un communiqué de l’institution assure que la Banque travaillerait « de manière indépendante » dans la perspective de maintenir une certaine « stabilité des prix ». Mais l’économiste Ugur Gurses estime que le président turc, en évinçant le gouverneur, va à l’encontre de la loi qui régit la Banque Centrale et qu’un décret fut-il présidentiel ne saurait se substituer à la loi.
Aussi l’opposition turque reste-t-elle convaincue de ce que M. Erdogan essaie de contrôler la Banque Centrale pour reprendre la main sur l’économie du pays après l’effondrement de la livre turque face au dollar en 2018, ce qui avait occasionné une récession dans le pays. Sur Twitter, Faik Oztrak, un opposant membre du parti kémaliste CHP, estime que « la Banque Centrale turque est l’otage du palais » et que le pays perd sa crédibilité du fait de cette éviction du gouverneur de la Banque Centrale.
La cinglante réplique des marchés financiers
Les marchés financiers ont automatiquement réagi à cette décision du président turc. Dimanche dernier, la livre turque s’est à nouveau effrondrée de 3% par rapport au dollar. Alors qu’elle avait commencé à se relever ces trois derniers mois. Cette réponse sans appel des marchés vient donner raison aux opposants qui se plaignaient de l’interventionnisme de l’exécutif turc dans le secteur monétaire turc et du peu d’indépendance de la Banque Centrale. Les marchés supportent mal la trop grande implication du président Erdogan dans les affaires monétaires de son pays.
Source : avec Les Echos et la Nouvelle Tribune