23 avril 2024

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En Turquie, un conflit social écorne l’image d’Yves Rocher

Publié le | par Hakan | Nombre de visite 294
En Turquie, un conflit social écorne l'image d'Yves Rocher

Depuis dix mois, des salariés licenciés par une filiale turque d’Yves Rocher manifestent pour obtenir leur réintégration.

"Ce n’est pas le maquillage, mais la résistance qui embellit !" C’est en chantant ce slogan que des ouvriers et ouvrières licenciés d’une filiale turque du groupe Rocher (Yves Rocher, Daniel Jouvance, Dr Pierre Ricaud, Petit Bateau ...) manifestent chaque jour, depuis près de dix mois, devant leur usine de la lointaine banlieue d’Istanbul. Ils tentent d’obtenir leur réintégration, ainsi que la reconnaissance de leur syndicat.

132 licenciements sur 380 salariés

Résumé des faits : chez Flormar, une marque de cosmétiques appartenant à la famille turque Senbay depuis 1970, puis rachetée à 51% par le groupe Rocher en 2012, il n’y a pas de syndicats. Les quelque 380 salariés de l’usine, dont Mediapart est allé recueillir les témoignages sur place, se plaignent de leurs conditions de travail comme de l’insuffisance de leur paye. Un mal être qui va permettre au syndicat Petrol-Is, implanté dans le secteur de la chimie, de commencer à recruter des adhérents à partir de janvier 2018.

Mais en mars, alors que le syndicat estime avoir atteint le quorum requis pour que sa représentativité soit officiellement reconnue, une dizaine de ses nouveaux membres sont licenciés sous des prétextes divers. Ensuite, en mai, plus de soixante salariés sont à nouveau licenciés pour avoir montré leur soutien à une manifestation organisée par Petrol-Is. Au total, ce ne sont pas moins de 132 salariés qui ont été mis à la porte, en majorité des femmes, ce qui est fâcheux pour un groupe qui se consacre à leur bien-être.

Selon Petrol-Is, ils ont été saquées pour avoir voulu exercer leurs droits syndicaux. Selon la direction de Flormar, ils ont commis des violences qui ont eu pour effet de mettre en danger la sécurité des biens et des personnes. En tout cas, la ponction sur la main-d’oeuvre a été si importante qu’il a fallu trouver des remplaçants pour assurer la production. Ce conflit de longue haleine pourrait nuire à l’image de l’entreprise française. Attac a relayé un appel au boycott de ses produits, et l’ONG Peuples solidaires a organisé à plusieurs reprises des manifestations devant les magasins Yves Rocher.

Comment le groupe Rocher, réputé pour entretenir un bon dialogue social en son sein, gère-t-il cette crise ? "Nous avons le souhait de laisser les équipes sur le terrain gérer la situation", explique Marion Moulin, sa directrice de la communication. Au quotidien, c’est en effet toujours la famille Senbay qui est aux manettes de la filiale. Pour la direction locale, les licenciements n’ont rien à voir avec un engagement syndical, et la représentativité de Petrol-Is n’est pas avérée. L’affaire a été portée devant la justice turque, qui ne prendra pas sa décision avant de longs mois. Le tout dans un contexte de crise économique et de raidissement politique peu favorable aux droits sociaux.

Une internationalisation à marche forcée

Il est pourtant difficile de réduire cette affaire à un simple problème de droit local. Il faut plutôt y voir le contrecoup d’une stratégie d’internationalisation à marche forcée. Les dix marques qui constituent le groupe Rocher lui permettent d’avoir au total 50 millions de clientes réparties sur des marchés très différents, pour un chiffre d’affaires qui s’est élevé à 2,5 milliards d’euros en 2017. Le PDG Bris Rocher s’est donné pour objectif de réaliser 50% de ses ventes hors de la zone euro, comme il l’a expliqué au magazine spécialisé LSA. Ce dont témoignent ses trois dernières acquisitions : Flormar, qu’on trouve surtout sur les marchés émergents, les savons israéliens Sabon (2016), et les produits américains pour la peau Arbonne (2018). Ces entreprises qui pèsent lourd - Arbonne et Flormar dégagent autour de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires chacun - donnent au groupe de nouvelles responsabilités sociales.

Dans son rapport RSE 2017, celui-ci signale d’ailleurs avoir fait "des investissements importants" dans l’usine Flormar pour "améliorer la sécurité des collaborateurs". Alors, pourquoi la grogne s’est-elle installée ? Selon la porte-parole du groupe, le conflit social est simplement dû à une "distanciation" trop grande qui s’est installée entre le management et les ouvriers. Pour y remédier, un directeur des opérations a été dépêché depuis la France, chargé notamment de retisser des liens. Comment ? "Des pique-niques et une soirée de Noël ont été organisés", donne-t-elle comme exemples. Pas sûr que cela soit suffisant... Surtout, le siège parisien estime possible de restaurer un "dialogue social sain" dans l’usine sans y faire entrer un syndicat.

En France, des syndicats en retrait

En France, les syndicats maison se montrent étrangement discrets sur ce conflit. "Ce qui se passe en Turquie n’est pas dans l’ADN d’Yves Rocher", explique Jérôme Billet, de la CFE-CGC. "Depuis l’époque d’Yves Rocher, le fondateur, il règne une atmosphère paternaliste qui ne permet qu’une expression très limitée des valeurs syndicales", accuse Gaby Navennec, un militant breton de Peuples solidaires qui suit depuis longtemps l’entreprise née à La Gacilly, dans le Morbihan.

Dans la partie "historique" du groupe, les salariés sont chouchoutés. Des événements sont régulièrement organisés pour leur faire découvrir les nouveaux produits de chaque marque, et ils peuvent repartir avec. Chaque Noël, ils se voient offrir un produit de beauté. Cette culture d’entreprise à l’ancienne a sans doute permis de désamorcer certains conflits. Elle semble trouver ses limites dans une multinationale qui a presque doublé de taille en quelques années.

Source : avec Expression Expansion


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