par Pierre Vanrie
L’élection de Kemal Kiliçdaroglu, comme leader du Parti républicain du peuple (CHP), à la place de Deniz Baykal, qui a démissionné à la suite d’un scandale provoqué par la diffusion d’une vidéo compromettante, pourrait annoncer un changement de style. Cela pourrait permettra au CHP de menacer l’AKP au pouvoir.
"La liquidation de la tendance Baykal [l’ancien leader du CHP] aurait normalement dû se produire après la défaite du CHP lors des élections législatives de 2007", écrit Derya Sazak dans Milliyet. La stratégie du CHP visant à empêcher un membre de l’AKP de devenir président de la République "avait conduit ce parti à cautionner l’ultimatum de l’armée contre l’AKP et avait eu des effets négatifs sur le plan électoral.
Cette stratégie d’alignement sur l’armée s’était traduite par la victoire de l’AKP avec 47 % des suffrages. Si Baykal avait été réélu lors du congrès de son parti, le CHP aurait poursuivi sur la même voie, en adoptant des positions racistes et ultra-nationalistes. Désormais, la raison d’Etat semble avoir compris qu’un combat fondé uniquement sur la laïcité et le républicanisme ne suffisent pas pour battre l’AKP. La voie choisie n’est donc plus celle des projets d’attentats, de putschs ou d’interdiction de parti, mais l’action politique normale".
Emre Aköz, dans Sabah, reste toutefois circonspect vis-à-vis du nouveau leader du CHP dont le discours d’intronisation n’annonce aucun changement sur l’incontournable et épineuse question kurde. "Bien que Kiliçdaroglu soit Kurde et alévi, il a soigneusement évité d’aborder les questions identitaires. Or, aujourd’hui, les questions identitaires sont au moins aussi importantes que celles relatives au portefeuille. Pour preuve, le Premier ministre Erdogan avait été davantage applaudi à Diyarbakir [ville du sud-est à majorité kurde] lorsqu’il avait prononcé le mot "kurde" que lorsqu’il avait promis plus d’investissements pour la ville. Bref, un discours de lutte conte la pauvreté et la corruption qui n’intègre pas la dimension identitaire n’est pas très porteur de nos jours", explique-t-il.
Dans Radikal, Cengiz Candar doute aussi que ce parti clef du système politique turc soit réellement en train de changer. "Parmi les nouveaux visages de son bureau politique, on trouve d’ardents défenseurs de la manipulation juridique qui visait à empêcher l’élection d’Abdullah Gül [actuel président AKP] à la présidence de la République et qui constitue une page honteuse de notre histoire judiciaire. On ne peut pas dire que ces personnes nourrissent un quelconque espoir de changement. Les symboles dont Kiliçdaroglu s’est entouré font penser que le CHP va peut-être simplement nous servir du Baykal sans Baykal".
Toutefois, Ahmet Insel estime que cette nouvelle donne pourrait conduire à ce que la rivalité entre l’AKP et le CHP ne débouche plus sur de la surenchère nationaliste. "L’arrivée de Kiliçdaroglu à la tếte du CHP va en tout cas mettre l’AKP, le parti au pouvoir, dans une situation où il sera davantage soumis à une pression dans un contexte de concurrence qui aura désormais lieu sur le terrain démocratique", écrit-il dans Radikal.
Source Courrier International