« Les consommateurs des pays émergents ont des attentes différentes »

Longtemps cantonnée à une fonction de sous-traitance pour les grandes marques internationales, la Turquie veut compter dans l’univers de la mode grâce à des marques et des créateurs locaux. Quels sont ses atouts ?

D’abord sa base industrielle. La Turquie dispose d’une industrie textile puissante, qui constitue un terreau sur lequel les jeunes créateurs peuvent s’épanouir. Cet outil industriel s’enracine dans une culture liée à l’artisanat du Moyen-Orient comme l’impression, la broderie et à la maîtrise de savoir-faire, coupe et modélisme, que les grandes marques mondiales de mode et de luxe ont utilisé en délocalisant largement leur fabrication dans ce pays. La Turquie comptera de plus en plus, comme plus tard, d’autres pays méditerranéens et d’Afrique du Nord, l’Egypte, le Maroc ou la Tunisie, qui ont eux aussi une longue tradition textile.

Mais, en plus, Istanbul a l’avantage d’être une ville vraiment internationale. Depuis toujours, c’est un carrefour entre l’Occident et l’Orient. Un lieu où religions et cultures différentes cohabitent Les liens entre l’Europe et la Turquie sont très anciens et la fascination réciproque. Pour faire des vêtements, c’est plus facile de travailler en Turquie qu’en Inde, par exemple, où la tradition de la confection repose essentiellement sur l’artisanat, le fait main. Istanbul joue aussi un rôle de carrefour en matière d’art. Pour des raisons liées à son histoire c’est, un peu comme Londres, un grand centre du commerce des antiquités, notamment allemandes et autrichiennes. Et, en matière d’art contemporain, la Biennale permet à des créateurs locaux d’être exposés à des cultures et des influences internationales.

La mode turque a vocation à se vendre localement et dans des zones proches comme le Moyen-Orient, la Russie et les pays du Caucase, où peut-elle avoir une visibilité mondiale ?

Les deux. Déjà, beaucoup de Moyen-Orientaux, Russes et habitants des pays du Caucase viennent acheter à Istanbul des grandes marques mondiales et de la mode locale. Nous allons voir émerger des marchés régionaux ou nationaux avec des attentes particulières.

Mondialisation ne veut pas dire uniformisation. Les consommateurs des pays émergents auront de plus en plus des attentes différentes de celles des Occidentaux. C’est déjà le cas au Moyen-Orient et en Inde. Les marques de luxe développent des lignes de vêtements et d’accessoires spécifiques pour ces marchés. On peut imaginer qu’un groupe comme H & M, déclinera lui aussi ses collections. Les boutiques pourront accueillir différentes lignes, locales, internationales. La Turquie est idéalement placée pour concevoir des vêtements destinés en priorité au Moyen-Orient ou au Caucase.

La Chine pose un problème de compétitivité à l’industrie textile turque, notamment dans la maille. Est-ce une menace durable ?

C’est vrai que la Chine offre des coûts de fabrication plus bas qu’en Turquie. Cette concurrence a fait beaucoup de dégâts dans les pays comme le Portugal et le Maroc, qui avaient misé sur le textile et la confection pour leur croissance. Mais l’exigence du développement durable pousse aussi à une relocalisation de la production pour être plus proches des marchés. La Turquie a donc toujours une carte à jouer.

Source Les Echos