Bernard Bridel
Zeugma la Turque antique et ses trésors sauvés des eaux
Ce regard envoûte. Instantanément. Tout à la fois doux et anxieux, il accroche le vôtre. Savamment illuminé, il apparaît au dernier détour d’un petit labyrinthe obscur installé au premier étage du tout nouveau Musée des mosaïques de Gaziantep, au sud-est de la Turquie.
Voilà près de dix-huit siècles que la « Gypsy Girl » a ouvert sur le monde ses yeux de petites pierres colorées. Mais ce n’est qu’en 1999, grâce à des fouilles archéologiques d’urgence sur le site de la cité antique de Zeugma, que « la Gitane » a retrouvé la lumière et évité la noyade. Pour devenir aujourd’hui l’attraction de toute une région qui cherche à s’ouvrir au tourisme.
Comme des dizaines d’autres, cette mosaïque d’une qualité exceptionnelle – née des doigts experts des meilleurs artistes venus d’Antioche dans les années 200 de notre ère – a failli disparaître à jamais. Sous les eaux du barrage de Birecik, érigé sur l’Euphrate, dans le sud-est anatolien.
Il aura fallu qu’un chercheur australien, David Kennedy, découvre un peu par hasard le chantier pour que l’alarme soit donnée. Après avoir échappé de peu aux pillards, la « Gypsy Girl » a ainsi été prélevée, avec d’autres chefs-d’œuvre, des riches domus romaines des bords de l’Euphrate, pour être exposée à Gaziantep.
L’histoire des mosaïques de Zeugma (l’ancienne Séleucie, fondée en 300 av J.-C. par un des lieutenants d’Alexandre le Grand, Seleucos Ier) symbolise la manière avec laquelle la Turquie d’aujourd’hui cherche à faire cohabiter un patrimoine archéologique et culturel exceptionnel avec les exigences du développement économique. Un récent voyage de presse organisé par le Ministère du tourisme turc dans ce sud-est anatolien jusqu’ici à l’écart des circuits traditionnels a été l’occasion de vérifier cette ambition.
D’Antakya (l’ancienne Antioche) à Sanliurfa et Harran, en passant par Gaziantep, l’itinéraire proposé vous emmène à travers les siècles et les religions, les architectures et les paysages.
A Antioche, qui se targue d’une cohabitation exemplaire entre les religions, on ne manquera pas de rendre visite à la petite communauté catholique rassemblée autour du père Bertogli, un Modénois qui vit depuis quarante ans en Turquie. Et, avant de visiter mosquées et églises, un saut à la petite synagogue en pleine restauration s’impose. Mais surtout, au soleil levant, on se rendra sur les flancs du Mont Staurin pour visiter l’église-grotte de Saint-Pierre, où la légende veut que l’apôtre ait pour la première fois appelé les disciples « chrétiens ».
Après Antioche, la route mènera le voyageur à travers la plaine de l’Oronte à Gaziantep. Outre les mosaïques, on y apprécie la beauté de la vieille ville et la gentillesse des commerçants et artisans de son bazar. Des bazars, mosquées, cafés et maisons de thé, Sanliurfa en est aussi riche. Mais le clou de cette ville très arabe, c’est le vaste complexe religieux du lac d’Abraham. Pour les musulmans, qui lui vouent une très grande dévotion, le patriarche des chrétiens est un prophète et serait né ici.
Avant de reprendre les airs depuis l’aéroport tout neuf de cette cité en plein développement, un crochet par Harran s’impose. Les ruines de sa mosquée du XVIe qui ont servi à la construction d’étranges maisons coniques valent ce dernier détour.
Sources : Tribunes de Genève