18 avril 2024

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Zaur réfugié de l’Arménie

Publié le | par Engin | Nombre de visite 371
Zaur réfugié de l'Arménie

Zaur Sadigbayli

Zaur réfugié de l’Arménie

JE SUIS NÉ EN ARMÉNIE… par Zaur SadigBayli

Zaur Sadigbayli est historien, juriste politologue et journaliste. Diplômé en Sciences Politiques, Droit Public, Histoire moderne et contemporaine, il a travaillé au sein du Conseil de l’Europe. Il participe à de nombreux débats et tables rondes sur le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.

Je m’appelle Zaur.
Je suis né le 15 septembre 1976 à Erevan, alors RSS d’Arménie, République d’Arménie de nos jours.

Mon Père, Nussrat Maharram oglu Sadigov, était comme tous ses ancêtres Turcs Azerbaïdjanais, originaire de cette région que l’on appelle l’Azerbaïdjan d’Ouest, formée à partir des anciens Khanats (Royaumes turcs ou mongols dirigés par un Khan) Azéris d’Iravan et de Nakhitchevan, que les russes ont voulu depuis le 21 mars 1828 placer sous la bannière arménienne. Plus loin encore, notre famille avait ses racines… au Karabakh.

Ecrivain et journaliste politique (chef du département de la propagande) dans le seul quotidien Azéri publié alors en Arménie, le « Sovet Ermanistany » (l’Arménie Soviétique), il était aussi membre du parti communiste, et témoin des conditions de vie de ses compatriotes en Arménie, lesquelles ne faisaient que dégrader d’année en année.

Sa mère, ma grand-mère paternelle Irbaba était une mollah (prêtresse) pour les femmes chiites. Elle ne parlait pas le russe et ne savait pas écrire. Par contre, elle maitrisait l’arménien et connaissait Le Coran par cœur.

Son père, mon grand-père paternel Maharram, était un petit propriétaire terrien. Il exploitait le grand jardin de la maison familiale d’Erevan et d’autres terres situées aux abords d’Erevan, là où se situe aujourd’hui l’aéroport d’Erevan Zvartnotch. Mon grand-père paternel, quant à lui, était « Gorodovoy » – chef de la gendarmerie d’Erevan.

Ma Mère, Sona Gadir gizi Gadirova est née à Bakou, mais sa famille est d’Ardabil, à l’époque en Azerbaïdjan du Sud, actuellement en Iran

En fin compte comme pour la plupart des Azéris mes origines se trouvent dans les diverses parties de ce grand ensemble qu’est l’Azerbaïdjan.

« J’étais leur tête de Turc »
Après la seconde guerre mondiale, les terres et la maison ont été progressivement expropriés par le pouvoir communiste, qui nous donna en échange un petit appartement de deux pièces.

La municipalité d’Erevan remplaça notre maison par une école d’échecs et le jardin laissa la place à un parc public dans lequel j’ai passé tous les week-ends de mon enfance.

Ma petite enfance ne fut pas très différente de celle des autres enfants soviétiques : mêmes conditions de vie, de scolarité, d’endoctrinement soviétique, et nous étions ensemble les victimes des vagues successives de pénuries. Rien de particulier donc, sauf une chose. : comme tous les arméniens d’origine azérie, nous subissions au quotidien le nationalisme exacerbé des arméniens et leur attitude xénophobe et raciste à notre égard.

Dès mon plus jeune âge, cette animosité permanente fut pour moi une véritable torture. Mes camarades d’écoles, comme les enfants du voisinage me faisaient comprendre que je n’étais pas des leurs. Ils me voyaient comme leur ennemi. J’étais leur « tête de turc ».

Pourtant, l’arménien fut ma première langue parlée !

A l’époque j’ignorais tout de l’histoire et des liens linguistiques qui me liaient aux Turcs et à la Turquie. Comme tout bon citoyen de l’URSS, je me considérais comme un soviétique,. Mais les arméniens me désignaient, comme ils désignaient tous les azéris qui vivaient à leurs côtés, avec cette expression péjorative arménienne « nuyn kaka » (même m***e).

Je ne comprenais pas, naturellement, les raisons de cette inimitié à mon égard, et ils étaient bien incapables eux-mêmes de la justifier. Tout ce qu’ils pouvaient me dire c’est que « quelque part, je ne sais en quelle année, les turcs ont attaqué les arméniens ».

Plus tard, à l’école arménienne, mes professeurs d’histoire ne purent me fournir que des explications vagues, sans pouvoir répondre aux questions précises que je posais « comment les turcs en nombre inférieur ont-ils pu avoir dessus des arméniens ? », si ce n’est que les turcs auraient exercé une sorte de « pression psychique sur les arméniens ».

A l’école, j’étais systématiquement mis à l’écart. Parfois, ils se livraient à leur jeu favori qui consistait à m’asseoir seul au milieu de la classe pendant la récréation, puis de tourner autour moi comme un nuage d’insectes en jetant sur moi des bouts du papier.

Brimades, insultes, jeux stupides, étaient mon quotidien. Face à la sottise, j’avais pris l’habitude de ne pas réagir. Non pas de me laisser maltraiter, mais de prendre cela avec dédain. « Nous, les Azéris, avons un cœur beaucoup plus grand que les Arméniens », me disaient mes parents.

Pendant les 12 années de ma vie en Arménie je ne me suis retrouvé qu’une seule fois dans une milieu scolaire 100 % arménien – un centre aéré organisé par l’école. J’ai alors pu mesurer la radicalisation des jeunes arméniens, et, par voie de conséquence, de leurs parents. Leur soif de vengeance et de conquête, leur haine des turcs et des azéris, confinaient à la folie. Leurs chants étaient sanguinaires, et leurs jeux assassins, comme celui qu’ils appelaient le « danak tingotsi » : le plantage de couteau.

Un jour de février 1988, les enfants arméniens de notre immeuble nous chassèrent en hurlant. J’entendis alors pour la première fois ce slogan : « Nous voulons le Karabakh ! »

« Vous n’avez pas le droit de vivre ici »
Nous ignorions presque tout de l’histoire et des dessous de ce conflit. Nous avons ouvert l’Atlas de l’URSS et nous y avons retrouvé les cartes de la Transcaucasie Nous avons alors découvert que certaines Républiques possédaient des régions autonomes. L’Azerbaïdjan en avait deux : la RASS de Nakhitchevan et la fameuse Région Autonome du Haut-Karabakh.

Dans les jours qui ont suivi, des violences ont éclaté un peu partout, notamment dans les lycées, et particulièrement dans le mien. Mes camarades arméniens exigèrent que mon frère et moi scandions avec eux « Le Karabakh à l’Arménie ! ». Frappés, battus, nous pûmes nous échapper de justesse, en abandonnant sur place nos chemises déchirées.

Dans la cour de notre immeuble, nous fûmes frappés avec des bâtons armés de clous et, de toutes les fenêtres, les voisins nous lançaient toutes sortes d’objets, cartons, fruits, légumes, en criant à l’unisson ces deux mots « iramunk tchunes » : (vous) n’avez pas le droit (de vivre ici). Nous avions peur.

Nous nous sommes réfugiés quelques temps dans une village Azéri près de lac Geytcha (Sevan).

Ma mère travaillait alors comme professeure de la langue et littérature russes dans la seule école Azérie à Erevan. Un journaliste soviétique de renom, Guenrikh Borovik , était venu de Moscou pour l’interviewer dans le cadre d’un documentaire sur le conflit du Haut-Karabakh, dans le contexte de la perestroïka, de la démocratisation et de la glasnost.

Ce fut pour elle l’occasion de dénoncer l’organisation des meetings nationalistes, le traitement discriminatoire envers les enfants Azéris et d’exprimer nos craintes pour nos vies.

Le reportage, « Position, Haut-Karabakh les pensées à haute voix » (Poziciya,Nagorny-Karabakh Razmyshleniya vslukh) fut diffusé sur la Chaine Centrale Soviétique n° 1 dans la soirée du 26 avril 1988.

A partir de ce moment, notre vie tourna au calvaire : appels téléphoniques incessantes, insultes et des menaces, courriers injurieux, agressions physiques. Nous vivions en état de siège. Chaque soir nous barricadions notre porte avec des cartons en bois remplis des livres. Précaution dérisoire : je gardais un marteau à portée de main, au cas où il me faudrait protéger ma famille.

Un jour ma grand-mère paternelle de 85 ans Irbaba était tombée gravement malade et son état nécessitait de l’intervention du SAMU. Les manifestants arméniens refusèrent de laisser passer les médecins. Et il fallut l’intervention de la milice pour dégager le passage.

Ce ne fut qu’avec qu’avec l’entrée des troupes soviétiques le 24 mars 1988, qu’un calme relatif put revenir à Erevan. Et encore. Au moment où les hélicoptères militaires survolèrent la ville, la rumeur circula que « les turcs attaquaient Erevan ».

Au fond, à l’école, malgré tout, mes copains m’aimaient bien. Et ils étaient partagés entre l’amitié qu’ils avaient pour moi et leurs sentiments nationalistes, nourris par la folie des adultes. Quand ils insultaient les azéris, ils ajoutaient « sauf toi et ta famille ».

Après, plus personne ne put quitter l’Arménie vivant
La position des autorités soviétiques était, pour le moins, ambigüe. La milice nous rendait régulièrement visite pour nous encourager à partir. Visiblement, elle ne pouvait plus longtemps assurer notre sécurité.

Mon seul examen, une dictée en russe, pour cette année de CM 2, était fixé au 25 mai. Ce fut le dernier jour que je vis mes camarades de l’école.

Le lendemain 26 mai 1988, tôt le matin, nous quittions notre pays, l’Arménie. Mon Père nous conduisit jusqu’au frontière, à Kazakh, et nous confia à mon oncle venu nous chercher. Je n’oublierai jamais cette phrase qu’il ma lança en nous quittant : « J’ai sauvé mes héritiers. Maintenant je suis tranquille ».

Ironie du sort, ce jour-là, une réunion fut organisée entre les nouveaux dirigeants des Comités centraux des Partis communistes d’Arménie et d’Azerbaïdjan, dans le but de trouver des solutions à l’inextricable situation. Mais cette réunion-clé se transforma rapidement en beuverie qui nécessita l’intervention de la SAMU. Le conflit n’était près d’être réglé…

Mon père retourna à Erevan et y resta jusqu’en décembre. Il emprunta alors le dernier convoi Azéri à pouvoir quitter l’Arménie sain et sauf, sa position lui ayant permis de bénéficier de la protection des militaires russes. Après cela plus personne ne put quitter l’Arménie vivant. 217 de mes compatriotes y laissèrent la vie, la plupart assassinés.

Il ne s’agit pas, bien sûr, de jeter l’opprobre sur tous les arméniens. Certains ont eu une attitude digne. A Bakou nous avons pu trouver une famille arménienne qui a accepté d’échanger leur appartement avec celui que nous avions laissé à Erevan.

Ma mère devint, à Bakou, une citoyenne engagée pour la cause des Azéris d’Arménie. Des villages Azéris étaient régulièrement attaqués. L’un des premiers fut le village de Shirazly, dans le district d’Ararat, le 11 mai 1988. Elle fit ensuite partie de la délégation Azérie qui demanda, à Moscou, des mesures concrètes du gouvernement central pour protéger les populations azéries vivant en Arménie.

Une nouvelle vie
En septembre 1988 j’intégrai le Collège Richard Zorge, du nom du célèbre espion soviétique. Ce collège porte aujourd’hui le nom d’Agevey Novrouzlu, un jeune Azéri qui s’était suicidé en protestation contre les tentatives du pouvoir central d’arracher le Haut-Karabakh à l’Azerbaïdjan.

J’ai alors découvert le caractère cosmopolite des bakinois, ainsi que la présence de nombreux arméniens à Bakou, notamment dans ma classe, parmi mes professeurs, etc..

Toutefois, la majorité des bakinois avaient encore foi dans l’illusion léniniste et croyaient qu’en Arménie, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes soviétiques.

Mes interventions et exposés sur la situation réelle en Arménie furent un choc. Pourtant mes camarades de classe arméniens m’avouaient avoir surpris leurs parents qui habitaient dans le Haut-Karabakh, en train de préparer des bombes…

Mon intégration dans la société azérie ne fut pas si simple. A 12 ans je ne parlais que l’arménien ! Pour suivre les cours, j’ai donc dû commencer par apprendre l’Azéri, encouragé par ma grand-mère, disparue en 1992, qui nous disait que « l’Azerbaïdjan était devenu notre seconde Patrie.« 

Tous ces événements m’ont marqué à vie. Pendant longtemps , j’ai vécu ce que vivent tous les déracinés. Certains de nos compatriotes d’Azerbaïdjan nous poussaient à oublier notre passé, effacer jusqu’à la mention de notre lieu de naissance. D’autres au contraire nous encourageaient à nous rappeler, à ne rien oublier.

Quand l’URSS fut sur le point de s’effondrer, mon Père réussit à restaurer le nom de ma famille, celui que je porte actuellement, et qui veut dire « Comte Fidèle ».

Dans les années qui ont suivi ces événements le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie sur le Haut-Karabakh s’est accentué, jusqu’à la guerre 1991-1994.

Exprimons-nous, témoignons, débattons
En grandissant j’ai vécu tous ces événements de l’intérieur : l’invasion de Bakou du 20 janvier 1990, l’assassinat dans le Haut-Karabakh de la journaliste Azérie Salatyn Askerova, du Procureur Ismet Qaibov, les actes de terreur perpétrés en Azerbaïdjan par les arméniens, le génocide de Khodjaly, l’occupation du Haut-Karabakh et des régions alentour, les tentatives de coups d’Etat, le cessez-le-feu et les négociations infructueuses.

Après mon BAC scientifique en 1993 j’ai intégré la faculté de Physique de l’Université d’Etat de Bakou, dont je suis sorti en 1997.

Puis j’ai été sélectionné pour venir en France, à Nice pour passer un DEA d’Astrophysique. En même temps, je suis devenu le correspondant en France du journal « Xalq qazeti » (Le journal du peuple).

En mai 1998 à la suite de la visite à Paris, du « président » de la soi-disant république auto-proclamée du Haut-Karabakh, A. Gukassian, j’ai fait le tour de toutes les institutions, et j’ai découvert alors la puissance de la toile arménienne tissée partout en France. Sous la pression des lobbies arméniens, mon activité de journaliste fut déclarée « subversive » et le financement de mon programme universitaire interrompu.

Peu importe. Je n’oublierai jamais ce que me dit un jour mon père : -« je ne sais pas ce que feront mes deux fils, mais ce dont je suis sûr c’est qu’ils ne trahiront jamais leur pays ».

Voilà pourquoi depuis, je donne ma vie à mon pays, l’Azerbaïdjan. Et pour combattre, j’ai choisi l’arme la plus décisive : celle de la connaissance et de la parole.

Ne laissons pas les chantres de l’Arménie conquérante et victimaire à la fois, occuper, monopoliser le champ médiatique. Exprimons-nous, témoignons, débattons, avec calme et fermeté, pour rétablir des vérités travesties :

Oui, nous, les Azéris autochtones d’Arménie, avons été dépossédés de nos terres et de nos biens
Oui, les arméniens sont aussi des victimes : celles de leurs élites qui les manipulent et les ruinent.
L’Empire Russe, l’Union Soviétique et la Fédération de Russie portent in solidum l’entière responsabilité des nettoyages ethniques, actes de génocide et crimes contre humanité commis contre la population Azérie autochtone sur les territoires des anciens Khanats Azéris d’Erevan (Arménie actuelle) et de Nakhitchevan et Karabakh (Azerbaïdjan actuel)
La République Arménienne des « Dashnaks » (1918-1920) et la République Arménienne actuelle portent entière responsabilité pour les nettoyages ethniques, crimes de guerre et crimes contre humanité commis contre la population locale autochtone (Azéris, Turcs et Kurdes) en Anatolie Orientale et en Azerbaïdjan aux début et fin du XX ème et début du XXI ème siècles.
L’église apostolique arménienne en porte également une part de responsabilité en tant qu’incitateur de ces événements.

Mon Père nous a quitté en février 1998. Cette disparition a privé de sens mon projet de retour à Bakou. Mais au premier anniversaire de son décès, j’ai écrit ces lignes en plusieurs langues et le texte transformé a été gravé sur sa sépulture :

Permettez-moi de vous dire, mon Père
Pour la toute dernière fois
Car une telle occasion plus jamais
Ne reviendra :
Merci pour tout. Merci pour la vie que vous m’avez donnée
Merci pour toutes ces années qu’ensemble nous avons surmontées,
Merci pour ces mots gravés dans nos cœurs et nos âmes :
« Aime ta Patrie et sois résistant
N’attends pas la grâce des ennemis,
Ne quitte jamais ton camp
Et s’il le faut, donne ta vie
Pour notre Azerbaïdjan« 

Zaur N. SadigBayli


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