Un massacre devenu un symbole
L’histoire d’humanité est remplie d’épisodes tragiques. Des massacres, des génocides, des déportations massives, la suppression définitive des civilisations sont des sujets qui remplissent ses pages.
Chacun de ces événements tristes ont un point commun, le fait qu’ils soient tous un drame commun pour l’ensemble des habitants de la Planète, puisque c’est l’espèce humaine qui est à la fois bourreau et victime.
Dans le même temps, chaque malheur collectif a un contexte unique, complexe, distinct et ses conséquences qui sont toujours différentes.
Aujourd’hui, au 30ième anniversaire de la commémoration du Massacre de Khojaly, je souhaite partager non pas les informations sur ce massacre qui fait couler depuis des années des tonnes d’encre, mais sur sa façon de devenir un symbole et sur une particularité que son héritage porte.
Pour les lecteurs qui n’auraient pas entendu parler de cet événement, je tiens à donner de manière concise, les informations clés à ce sujet : les habitants azéris d’une ville située dans une région autonome, peuplée majoritairement d’arméniens (le Haut Karabakh, une province appartenant à la République d’Azerbaïdjan), dirigée localement par les arméniens, ont été massacrés par les forces arméniennes, en 1992, alors qu’ils étaient en route pour justement quitter la ville sans résister à la volonté arménienne de vider la région complètement des habitants d’origine azérie.
Déjà contre les civils qui résistent pour défendre leur maison, leur vie, leur ville, un tel acte est un lourd crime contre l’humanité. Mais, lorsque ces habitants sont d’accord de prendre la fuite pour éviter le massacre, le terme crime reste faible pour décrire un acte de ce genre.
613 personnes tuées en une nuit.
La majorité était composée de femmes, d’enfants et de personnes âgées. L’histoire a connu des victimes de guerre mille fois plus nombreuses, mais ce massacre est devenu symbole pour une particularité unique : la façon dont cet événement a été assumé par les auteurs du crime, les leaders politiques nationalistes arméniens qui ont longuement dirigé le pays, tout en conservant une influence puissante même après être renversés.
De manière générale, les massacres contre les civils, dans toutes les guerres, pendant et après, apportent un discrédit, une délégitimation des opérations et des démarches. De ce fait, les élites politiques d’un pays ou d’un peuple qui en sont l’auteur démentissent leur acte, si les preuves sont floues, ou esquivent le sujet, lorsque les preuves sont flagrantes. Au pire des cas, et les plus maladroits des criminels de guerre, essayent de le « justifier » avec les menaces potentielles, ou des événements précédents ou à venir. Or, à Khojaly, il s’agissait d’un massacre commis sur la route, sur le chemin de la fuite. Et la ville était déjà sous contrôle arménien. Il n’y avait même pas encore de forces de résistance formées au sein de la minorité azérie. Même lorsque les criminels de guerre cherchent des prétextes à leur acte, cela disparait des débats après quelques années suivant la guerre.
Cependant, les nationalistes arméniens et leurs leaders politiques l’ont assumé comme une démonstration de force, comme une « victoire », comme un événement tout à fait naturel, souhaité, ciblé, et surtout, comme un symbole.
A l’introduction de cet article, en évoquant la symbolisation de ce drame national, nous ne référions pas à ce que Khojaly représente dans la perception du peuple azerbaidjanais. Car, tous les évènements analogiques représentent un symbole pour le peuple qui en est victime. Ce qui fait la particularité de Khojaly, c’est sa façon de devenir un symbole de victoire pour les leaders du côté opposé, plus précisément, les leaders des séparatistes arméniens du Haut Karabakh, qui ont pris le contrôle, quelques années plus tard, du gouvernement de la République d’Arménie aussi.
3 élément factuels confirment cette particularité du Massacre de Khojaly :
1. Le fait que l’homme politique qui ouvertement et fièrement déclaré que les forces arméniennes ont délibérément choisi de cibler la population civile à Khojaly, a été élu Président de la République d’Arménie par ses concitoyens, 16 ans plus tard, en 2008. Lors de son interview, en 2001, accordé à un journaliste britannique, Serge Sarkissian, alors ministre de la Sécurité Nationale de la République d’Arménie, disait : « Avant Khojaly, les azerbaidjanais pensaient …que nous ne lèverions pas la main contre les civils, mais nous avons pu briser ce stéréotype » (Thomas de Waal, « Black Garden », 2001, pages 172-173).
L’interviewer, le journaliste en question, disait ne pas être surpris de son élection à la présidence arménienne quelques années plus tard. (https://carnegieendowment.org/2012/02/24/president-interview-and-tragic-anniversary/9vpa)
2. Le fait que même à présent, les acteurs de ce crime, notamment les membres du groupe paramilitaire « Arabo », sont vus et perçus comme des héros nationaux par une partie de la société arménienne, est un autre élément qui démontre que le Massacre de Khojaly n’est pas un sujet tabou en Arménie. Parmi eux, il suffit de citer le nom de Monté Melkonian, officiellement Héro National du pays.
3. Le massacre de Khojaly visait à envoyer un message frappant à la société azerbaidjanaise, non pas uniquement pour la choquer ou effrayer, mais aussi pour la convaincre d’une thèse défendue par les idéologues de la théorie d’unification nationale inspirant la sécession du Haut Karabakh dont l’ultime objectif était de l’annexer à la République d’Arménie.
Cette thèse était celle qui était formulée en une phrase par l’ancien Président arménien, Robert Kocharyan, prédécesseur de SergeSarkissian : « Les azerbaidjanais et les arméniens sont génétiquement incompatibles ». Or, les azerbaidjanais ont toujours refusé cette thèse, en se considérant un peuple multiethnique ou comme une Communauté des communautés. De ce fait, dans la perception des azerbaïdjanais, à l’époque comme à l’heure actuelle, les arméniens du Haut Karabakh, avaient toute leur place parmi ces communautés qui composent la Nation azerbaidjanaise.
Le massacre de Khojaly devait, selon le plan des nationalistes arméniens, susciter une haine au sein de la société azerbaïdjanaise au point de ne plus se voir ensemble, ni suivre les mêmes objectifs collectifs avec les arméniens du Karabakh, sous l’autorité de la République d’Azerbaïdjan.
Or, malgré la profondeur de la trace gravée dans les esprits et dans la mémoire du peuple azerbaïdjanais, cet objectif des nationalistes arméniens n’a pas été atteint. Au contraire, cela a fait perdre encore plus la légitimité des déclarations des autorités arméniennes au niveau international.
A l’heure actuelle, ce symbole a-t-il disparu ? Côté arménien, en lisant les commentaires de certains nationalistes arméniens sur les réseaux sociaux, lorsqu’ils souhaitent intimider leurs interlocuteurs azerbaidjanais, en évoquant « Khojaly », on n’arrive pas à croire que ce symbole a entièrement disparu. Malgré de nombreux appels adressés au peuple arménien de présenter ses excuses pour ce drame, il n’y a jamais eu de retour permettant de devenir optimiste.
Côté azerbaidjanais, c’est un symbole qui renforce l’unité, la cohésion, la solidarité autour des souvenirs douloureux.
Qazakh Dombayli