20 avril 2024

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Turquie : polémique monétaire et ... historique

Publié le | par TN-pige | Nombre de visite 295
Turquie : polémique monétaire et ... historique

Par Jean Marcou

Depuis le début de l’année 2009, la Turquie a de nouveaux billets de banque et de nouvelles pièces de monnaie. La raison officielle de ce changement vient du passage de la YTL (Yeni Türk Lirası – ou nouvelle livre turque) à la TL (Türk Lirası – Livre turque). On devrait d’ailleurs parler d’un retour à la TL, puisqu’en 2005, la Turquie était passée, en sens inverse, de la TL à la YTL, pour enlever 6 zéros à une devise nationale, minée dans les années 90, par une inflation annuelle de 60 à 80%, ce qui amenait les Turcs à devoir évaluer en millions l’achat d’un kilo de tomates ou la dégustation d’un café « orta ». Ainsi, comme on payait en nouveaux francs dans la France du début des années 60, c’est en nouvelles livres turques, YTL ou plus exactement en « yétélé », que l’on faisait ses courses, en Turquie, ces dernières années.

Ce pays, étant devenue entretemps la 17e économie mondiale et l’inflation s’étant assagie (encore que…), rien de plus logique, me direz-vous, qu’un retour à la TL pour faire oublier ces années sombres. Oui mais voilà, comme nous l’avions déjà écrit antérieurement (cf. notre édition du 10 octobre 2008), les nouveaux billets sont loin de plaire à tout le monde !

Certes, ils sont plus actuels ressemblant furieusement à des Euros. Certes, Atatürk est toujours présent sur leur face principale. Jusqu’ici tout va bien ! Toutefois, lorsqu’on retourne les nouvelles coupures en question, on s’aperçoit que de nouveaux venus, issus du monde des arts, des lettres et des sciences, peuplent désormais l’imagerie bancaire turque. Fini les colonnes d’Ephèse, le palais d’Ishak Paşa à Doğubayazit ou les cheminées de fées de la Cappadoce ! Mais là où le bât blesse, c’est qu’une femme s’est invitée dans ce changement de décors. Fatma Aliye, une féministe ottomane, née à la fin du XIXe siècle, considérée comme l’une des premières romancières de langue turque, trône en effet désormais, au dos des nouveaux billets de 50 livres et provoque depuis quelques semaines leur boycott. Comment peut-on boycotter un billet de banque, se demanderont sans doute beaucoup d’entre vous ? Rassurez-vous, il ne s’agit pas de brûler le billet en question devant les caméras à la façon d’un Gainsbourg ou de le jeter ostensiblement dans un caniveau où il aurait toutes les chances d’être ramassé par quelque petit malin peu regardant sur les figurines qui s’y trouvent, mais plus précisément d’aller le troquer dans la première banque venue contre d’autres coupures plus présentables.

Réaction machiste que ce boycott au demeurant marginal ? Pas si sûr. Sans doute la présence d’une femme choque-t-elle certains de ceux qui délaissent le nouveau billet, mais plus généralement ce que reprochent les boycotteurs à ce lifting bancaire, c’est d’être un indice de plus des mutations socio-politiques en cours en Turquie, depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP. Leurs critiques du choix de Fatma Aliye ne concernent pas seulement ses idées qui véhiculeraient une vision assez conservatrice de la femme, de la famille et de la religion, mais surtout la démarche politique qui tend actuellement à réhabiliter une histoire ottomane antérieure à celle de la République.

La personnalité de Fatma Aliye et son parcours sont en effet très révélateurs des réformes qui survinrent à la fin de l’Empire ottoman, en particulier pendant la seconde période de monarchie constitutionnelle (« ikinci meşrutiyet »). Cette période, qui intervint après la révolution jeune turque (entre 1908-1912) et qui est depuis quelques années l’objet d’un foisonnement de publications, alimente actuellement une vive polémique sur le caractère fondateur des réformes d’Atatürk en matière de modernisation et sur la rupture que constitue la République aux termes de l’histoire officielle. Des intellectuels iconoclastes de plus en plus nombreux défendent l’idée que les réformes kémalistes auraient été préparées par une série de mutations intervenues dans les dernières années de l’Empire ottoman, notamment pendant le second « meşrutiyet », qui fut rapidement étouffé par le Comité Union et Progrès, branche la plus nationaliste, du mouvement « Jeunes Turcs ». Eu égard à un tel contexte, on conçoit que la présence de Fatma Aliye sur les billets de 50 livres puisse devenir pour certains une véritable provocation.

Mais il n’y a pas que ça ! Mon épicier, très kémaliste, me disait l’autre jour :
 Regardez-moi ce sourire d’Atatürk ! D’où l’ont-ils sorti ? Il ne sourit jamais sur les photos habituellement ! Et pourquoi lui font-ils une pareille bouche, on dirait qu’il a une moustache ! On dirait Abdullah Gül.
 Mais, ai-je répondu, pourquoi font-ils cela ?
 Parce qu’il n’aime pas Atatürk, bey effendi !

Source : http://ovipot.blogspot.com/2009/02/la-polemique-provoquee-par-la-presence.html


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