Aligökhan ALKAN
Juillet 2009, il est impossible de passer à côté des événements qui se déroulent depuis la première semaine de ce mois, dans une région autonome de la Chine, le Xinjiang.
Les télévisions, les radios et la presse écrite n’arrêtent pas d’évoquer.
Manifestations, révoltes, meurtres…une répression démesurée du Gouvernement Chinois avec sa machine meurtrière qui n’est autre que son armée, contre ces civils Ouïghours.
Les informations circulent mal sur l’identité de ce peuple-ci. On se limite volontairement à dire que les Ouïghours sont musulmans et turcophones. Les vraies questions pouvant apportées de réelles réponses sont intelligemment éludées.
Un petit rappel linguistique : les études mettent en évidence les principales langues du monde. Ce sont les langues indo-européennes, ouralo-altaïques, sémitiques, sino-thaï, … ainsi que leurs différents sous-groupes.
Si l’on s’attache notamment à la famille ouralo-altaïque, on constate qu’elle comprend les langues dites agglutinantes et se divise elle-même en deux groupes :
d’une part, le groupe ouralien dont le finno-ougrien et samoyède, d’autre part, le groupe altaïque dont le turc, le mongol et le manchou-toungouse. Par conséquent le turc est une langue agglutinante fondée sur l’assemblage de suffixes accolés à son radical et d’une harmonie vocalique. De même, cette langue est parlée depuis plusieurs millénaires des Iakoutes aux Chypriotes Turcs, de la Sibérie du Nord-Est jusqu’à Chypre et dans les Balkans. Les Ouïghours, les Tatars, les Kazakhs, les Azéries, les Kirghizes, les Ouzbeks, les Turkmènes, les Iakoutes, les Turcs de Turquie, etc.… sont tous des Turks.
De Selenga, d’Orkhon, du Mont Altaï, en passant par le désert de Gobi, de Kan-su jusqu’à la Turquie, nous ne pouvons qu’être interpelés par le nom des régions, des villes, de villages portant une sonorité convergente. Quelque soit sa nationalité, un Turc n’aura nullement des difficultés à comprendre la signification étymologique.
Cependant il est impossible d’interpréter ces événements sans connaître l’historicité de cette vieille région de l’Asie en perpétuel mouvement depuis des milliers d’années.
Les livres d’histoire nous démontrent sans ambiguïté que les Ouïghours étaient présents et vivaient déjà au début de l’ère chrétienne dans cet endroit de l’Asie.
Le Türk est le tronc d’un arbre qui se compose de plusieurs branches identifiées par des familles et des clans.
Parmi les multiples Empires Turcs, le premier fut l’Empire T’ou-kiue (Türk, Türük ou Kökturk ) au milieu du VIème siècle vers 552. Les batailles entre clans pour le pouvoir n’étaient pas rares, comme dans tous les grands peuples durant leur histoire et inévitablement les Turcs n’échappèrent pas à cette règle.
C’est au VIIIème siècle vers 744 que L’Empire T’ou-kiue sera battu par la famille des Ouïghours et qu’on assistera à l’avènement de l’Empire Ouïghour. Ce dernier s’imposa de la Mongolie à la région de Tourfan et au bassin de Tarim jusqu’à sa destruction par les Kirghizes en 844.Par la suite un Etat Ouïghour s’établira dans Kan-su du IXème au XIème siècle. Près de mille ans les Ouïghours échappent au contrôle des Chinois depuis la bataille de Talas en 751 jusqu’à la conquête des Manchous en 1756. Un premier Etat fut constitué en 1865 après deux ans de combat. Cet Etat fraîchement indépendant fit allégeance au Sultanat de l’Empire Ottoman. Il fut immédiatement reconnu par certains des grands empires comme l’Empire Britannique, l’Empire Russe et l’Empire Ottoman.
Mais à cette époque comme aujourd’hui les intérêts géopolitiques primèrent et poussèrent les Manchous sous les conseils de leur allié politique, qui n’est autre que les Britanniques, à une grande offensive qui se finalisera par la disparition du Turkestan Oriental. Par la suite ce Turkestan Oriental sera annexé en tant que province chinoise et sera appelé, en 1884, le Xinjiang.
Cela étant, le Turkestan Oriental connu maints bouleversements. De nombreuses révoltes continuèrent. Les Ouïghours payèrent lourdement de leur vie. Les Chinois engagèrent une politique de colonisation et encouragèrent l’augmentation des Hans au Turkestan Oriental. C’est pourquoi le Xinjiang signifie ‘’nouveau territoire’’.
Au début du XXème siècle l’écroulement de l’Empire Chinois était imminent. Les différents signes d’instabilité politique et la pression japonaise se faisaient ressentir.
L’année 1933 marqua la date de la naissance de la République Islamique du Turkestan Oriental. Malheureusement par sa fragilité et par les efforts conjugués des Soviétiques et des Chinois, cette jeune République eut une existence éphémère de 1933 à 1934. Dix ans plus tard, en 1944, une deuxième République de Turkestan Oriental vit le jour. L’arrivée du communisme et la révolution culturelle décapitèrent à nouveau cette République en 1949. Dès lors les soulèvements furent continuels : 1950-1952, 1953, 1956-1959, 1962, 1969, 1970, 1978, 1980, 1982, 1988, 1990, 1993, 1994, 1997. Il est clair que les Ouïghours se sont toujours battus et se battent encore pour leur identité Turque. Les Chinois les oppressent non seulement parce qu’ils sont musulmans mais aussi parce qu’ils sont Turcs.
L’historien français Jean-Paul Roux, ancien directeur de recherche au CNRS a consacré une large majorité de son temps à l’étude du peuple Türk et Mongol, mettant en évidence, dans ses livres que les Ouïghours sont des Turcs.
Les batailles Turques livrées contre les Hans ou contre les autres dynasties chinoises sont une très ancienne histoire.
Sinon pourquoi les Chinois construisirent leur grande muraille ?
Il suffit de voir le drapeau du Turkestan Oriental.
Alors Turc ou turcophone ?
A la fin des années 1980 et depuis les années 1990, la Chine renforce sa politique de discrimination.
La langue ouïghour (turque) est interdite et le chinois s’institutionnalise. Interdiction de faire appel à son appartenance ethnique, les pratiques religieuses sont étroitement surveillées mais aussi ses enseignements sont interdits. En 2002 il y eut un grand autodafé, des Corans furent brulés. Discriminations économiques et de la richesse aux profits des Hans. Une politique de repeuplement démographique massif à dominante Han.
Si cela n’est pas une stratégie de colonialiste, qu’est-ce donc ?
Malheureusement le 11 septembre2001 apporta du beurre dans les épinards de la machine de répression chinoise. Pékin reste un artiste dans l’art d’instrumentalisation pour continuer son œuvre inique. Aujourd’hui comme argument à l’opposition Ouïghour, Pékin définit ce peuple comme un mouvement jihadiste et un réseau terroriste, alors qu’il n’est rien d’autre qu’une opposition anticolonialiste.
Le Turkestan Oriental est la plus grande région parmi les cinq autonomes de la Chine, avec une superficie de 1 660 000 km² pour capitale Ouroumtsi (Urumqi). Sa frontière avec la Russie, la Mongolie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde totalise 5400 km.
Pourquoi la Chine a peur ?
L’indépendance Ouïghour l’amputera d’un vaste territoire.
Le Turkestan Oriental par sa position géographique est une porte pour l’Asie Centrale.
Le pétrole est synonyme et raison de guerre au XXème siècle, et justement, le Turkestan Oriental regorge d’hydrocarbures et possède de nombreuses ressources naturelles. La Chine ne souhaite pas être privée de ces ressources énergétiques.
Au XXIème siècle alors que l’eau potable deviendra rare, elle sera aussi un enjeu de pression, et là à nouveau le Turkestan Oriental regorge d’eau avec sa nappe phréatique et les ses fleuves : le Tarim, et Irtych.
La Diaspora Ouïghour.
Il existe une faible diaspora Ouïghour dans plusieurs pays en Europe notamment en Allemagne, en Belgique, en France, en Suède. Elle est également présente en Amérique, aux États-Unis, au Canada et en Asie ainsi qu’en Turquie avec une forte majorité. La cause Ouïghour est moins connue en Occident que celle des Tibétains. La dissidente Ouïghour Rabia Kader est une des figures en exil aux États-Unis. La Chine fait campagne tambour battant afin de la discréditer. Avec toutes ces multiples effervescences en Turkestan Oriental, quels sont les regards des pays leaders.
Quelle est la position des Etats-Unis ? Celle de l’Europe ?
Ankara condamne la répression et n’hésite pas à qualifier ces actes de génocide par la voix de son Premier Ministre.
Avec sa politique machiavélique, antiterroriste, non fondée, est-ce qu’on doit laisser faire Pékin dans l’indifférence totale, prétextant les bons rapports commerciaux et économiques ?
Qu’attend-t-on pour réagir ? Un autre Srebrenica ?
Aligökhan ALKAN
