Un scandale que le gouvernement turc avait tout fait pour étouffer étalé au grand jour à New York, avec l’homme d’affaires Reza Zarrab comme témoin à charge : c’est ce qu’a promis un procureur fédéral mardi à l’ouverture d’un procès potentiellement explosif pour Ankara.
"Vous allez entendre (cette affaire) racontée de l’intérieur, par Reza Zarrab : il a plaidé coupable et reconnu avoir enfreint les lois américaines, il a décidé de coopérer avec le gouvernement", a annoncé le procureur David Denton, dans sa plaidoirie d’ouverture au premier jour de ce procès dénoncé par Ankara comme un "complot politique".
Zarrab, un homme d’affaires turco-iranien de 34 ans, devrait être appelé à la barre mercredi, selon l’accusation.
Le suspense planait depuis plusieurs semaines autour du sort de Zarrab, arrêté par la justice américaine en 2016 dans cette affaire de contournement des sanctions économiques américaines contre l’Iran, qui a contribué à tendre des relations turco-américaines déjà houleuses.
Ce magnat de l’or avait quitté la prison fédérale de Manhattan début novembre, sans que le gouvernement dise s’il avait plaidé coupable ou s’il coopérait avec la justice américaine, même si c’était le plus probable.
Zarrab devrait donc s’avérer le témoin-clé de l’accusation dans cette affaire : s’il devrait témoigner contre le seul accusé de ce procès, le banquier turc Mehmet Hakan Atilla, le procureur a laissé entendre qu’il présenterait aussi des faits dommageables pour le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, en exposant un scandale qu’Ankara a tout fait pour étouffer depuis 2013.
David Denton a aussi indiqué qu’il appellerait à la barre "un policier turc" qui avait "mis au jour" ce scandale.
"Il vous dira tout ce qu’il a entendu" jusqu’à ce que le scandale "soit glissé sous le tapis par le gouvernement turc" et "comment il a fui son propre pays", a affirmé M. Denton.
M. Zarrab s’était retrouvé en 2013 au coeur d’une retentissante affaire de corruption impliquant des ministres et des cercles proches du pouvoir, dans une affaire de ventes d’or en échange de pétrole iranien frappé par les sanctions américaines.
Il avait été arrêté et détenu pendant plus de deux mois en Turquie, avec des dizaines d’autres proches du pouvoir. Quatre ministres turcs avaient démissionné ou été remerciés, avant que les poursuites soient abandonnées.
La marque de Gülen
Depuis que Reza Zarrab a été arrêté aux Etats-Unis en mars 2016, le gouvernement turc, après avoir réclamé en vain sa libération, ne cesse de dénoncer un procès politique piloté par le réseau du prédicateur Fethullah Gülen, exilé aux Etats-Unis.
Le 18 novembre, le parquet d’Istanbul a même ouvert une enquête inédite contre les deux chefs-procueurs américains à l’origine des poursuites dans cette affaire, Preet Bharara, limogé depuis par Donald Trump, et son successeur Joon Kim, présent exceptionnellement à l’audience mardi.
Signe que l’affaire irrite profondément Ankara, le parquet turc a mardi encore émis des mandats d’arrêt à l’encontre de deux Turcs accusés d’avoir fourni de faux documents à la justice américaine dans le cadre de ce procès, selon les médias turcs.
Quant à Atilla, ancien directeur général adjoint de la banque publique Halbank, l’un de ses avocats, Victor Rocco, a tout fait mardi dans sa plaidoirie pour décrédibiliser d’avance le témoignage de Zarrab.
Rocco a présenté Zarrab comme le "cerveau" du contournement des sanctions américaines, si expert en pots-de-vin qu’il aurait essayé de corrompre "ses gardiens de prison américains pour obtenir un meilleur traitement". Et, maintenant qu’il est "câliné par le gouvernement", prêt à tous les mensonges en échange d’une peine plus clémente, voire d’une nouvelle vie en famille aux Etats-Unis, selon Rocco.
Atilla, banquier de carrière "consciencieux" au sein de la banque publique Halkbank, ne serait que "l’une des nombreuses victimes" de Zarrab, et pas du tout celui qui l’aurait instruit dans l’art de contourner les sanctions comme l’affirme l’accusation, a affirmé Rocco.
Quant au témoignage du "policier turc" évoqué par le procureur, l’avocat de la défense a semblé donner raison à Ankara, estimant qu’en "apportant ici aux Etats-Unis le fruit de son enquête, il a violé la loi turque".
"Que diriez vous si des enquêteurs américains se comportaient de la sorte ?", a-t-il lancé aux jurés.
Source : Le Point