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Allégation Armèniennes et faits historiques

QUESTIONS ET REPONSES


Histoire

Les turcs ont-ils pris par force les terres des arméniens ?

Publié le | par Hakan | Nombre de visite 72
Les turcs ont-ils pris par force les terres des arméniens ?

Le territoire auquel, pendant un certain temps, les Arméniens ont vécu ensemble n’ont jamais été gouvernés par eux comme un État indépendant et souverain. Ce territoire n’a jamais été dominé par les Arméniens aussi longtemps qu’ils l’ont occupés et aussi loin qu’on remonte dans l’histoire.

De à av. J.C., ce fut une province de la Perse. De 334 à 215 av. J.C., il fut incorporé à l’Empire macédonien puis, de 215 à 190 av. J.C., passa sous le contrôle des Séleucides. De 190 jusqu’à 220 ap. J.C. il changeait fréquemment de mains, les Romains et les Parthes se le disputant.

De 220 jusqu’au début du Vᵉ siècle, ce fut une province sassanide puis, jusqu’au Vie siècle, il appartint à Byzance. Du VII au Xᵉ siècle, il fut contrôlé par les Arabes avant de revenir sous l’autorité byzantine pour enfin être dominé par les Turcs à partir du XIe siècle.

À aucun moment, les Arméniens vivant sur ce territoire soumis à tant diverses souverainetés n’instituèrent d’État arménien indépendant ou unifié. Tout au plus, quelques nobles arméniens et leurs familles, gouvernèrent-ils certaines régions en qualité de vassaux des suzerains impériaux, leurs voisins et servant ainsi de tampons entre les puissances environnantes. La plupart de ces principautés arméniennes furent donc érigées dans le cadre d’une hiérarchie féodale par des hobereaux arméniens, ou par les empires voisins qui, de cette façon, s’en faisaient des auxiliaires militaires contre leurs propres ennemis. On ne saurait en trouver de meilleurs exemples que les Baghratides, longtemps cités par les historiens du nationalisme arménien comme la preuve de leur indépendance historique  ; or cette famille ne devait en fait son autorité sur la région qu’aux califes arabes. De plus, certaines de ces familles princières étaient d’origine persane plutôt qu’arménienne. Qu’elles n’aient jamais constitué un État indépendant apparaît bien dans ce passage dû à l’historien arménien Kevork Aslan :

"Les Arméniens vivaient en notables locaux. Le sentiment d’unité nationale leur était étranger. II n’y avait aucun lien politique entre eux. Ils n’avaient d’attaches qu’avec les notables des environs. S’ils éprouvaient des sentiments nationaux, ceux-ci ne pouvaient donc se concevoir qu’à l’échelle locale." [1]

Ces principautés arméniennes existèrent pendant des siècles, mais toujours sous le contrôle de vastes empires, d’États puissants et variés  ; afin d’obtenir un maximum d’avantages, elles ne se privaient d’ailleurs pas de changer souvent d’allégeance ce qui valut aux Arméniens des remarques critiques et souvent caustiques de la part des historiens contemporains. C’est ainsi que Tacite, l’historien romain, écrivait dans son Annarlium Liber :

"Les Arméniens modifient leur position envers Rome et l’Empire perse, apportant leur aide tantôt à l’un, tantôt à l’autre."

et concluait en disant que c’était "un peuple étrange."

Cet état de choses, et plus particulièrement, le manque d’unité et de force des Arméniens, leur incapacité à créer un véritable État, leur faiblesse vis-à-vis de leurs voisins, le fait que leur territoire ait servi de champ clos aux luttes multiples et incessantes de leurs puissants voisins et suzerains, explique pourquoi ils furent fréquemment déportés, ou devaient fréquemment s’éloigner de leur propre chef, des territoires qu’ils occupaient au début de leur histoire.
Ainsi, quand ils fuirent devant les Perses, ils s’établirent dans la région de Kayseri, en Anatolie centrale.

Les Sassanides les déportèrent à l’intérieur de l’Iran, les Arabes en Syrie et dans la péninsule arabique, les Byzantins en Anatolie centrale et à Istanbul, en Thrace, en Macédoine, en Bulgarie, en Roumanie, en Hongrie, en Transylvanie et en Crimée. Pendant les Croisades, ils gagnèrent Chypre, la Crète et l’Italie. En fuite devant les Mongols, ils se fixèrent à Kazan et à Astrakhan en Asie Centrale.

Plus tard, ils furent enfin déportés par les Russes qui les firent passer de la Crimée et du Caucase vers l’intérieur de la Russie. C’est en raison de ces déportations et de ces migrations séculaires que les Arméniens se trouvèrent dispersés de la Sicile aux Indes et de Crimée à l’Arabie, formant ainsi ce qu’ils appellent "la diaspora arménienne", bien des siècles avant d’être déportés par les Ottomans en .

150 ans après s’être convertis au christianisme, les Arméniens se détachèrent de l’église byzantine en , déclenchant ainsi une longue suite de conflits qui se perpétuèrent jusqu’à la fin du XLe siècle, i.e. jusqu’à l’installation des Turcs en Anatolie, et au cours desquels les Byzantins s’efforcèrent d’éliminer les Arméniens et leurs principautés afin de maintenir l’hégémonie de l’orthodoxie grecque dans la totalité de l’Empire. Les historiens arméniens de l’époque racontent en détails comment les Byzantins déportèrent les Arméniens et les utilisèrent en avant-garde de leurs propres troupes face aux forces ennemies. Cela explique pourquoi les Turcs seldjoukides ne rencontrèrent pas de principautés arméniennes lorsqu’ils déferlèrent sur l’Anatolie à la fin du XLe siècle : une seule force restait en mesure de s’opposer à eux, celle des Byzantins.

Le souverain seldjoukide Alparslan conquit le territoire de la principauté arménienne d’Ani en , mais celle-ci avait déjà été abolie en , soit dix-neuf ans plus tôt, par les soins de Byzance qui fit appel à des immigrants grecs pour remplacer les Arméniens qu’elle avait déportés. Il est donc faux de prétendre que les Turcs seldjoukides aient été responsables de la disparition d’une principauté arménienne, quelle qu’elle fût, voire d’un État Arménien. Byzance y avait pourvu par avance et ce sont d’ailleurs les remous sociaux et économiques qui en résultèrent qui facilitèrent grandement l’installation ultérieure des Turcs. Les historiens arméniens de l’époque considèrent cette conquête turque de l’Anatolie comme une libération survenant après de longs siècles d’administration abusive et d’oppression sous le joug de Byzance. C’est ainsi que l’historien Asoghik rapporte "qu’en raison de leur hostilité envers Byzance, les Arméniens accueillirent avec plaisir la venue des Turcs en Anatolie et les aidèrent même". Mathieu d’Edesse, un autre historien arménien, raconte lui aussi que ses compatriotes se réjouirent et fêtèrent publiquement la prise d’Edesse, aujourd’hui Urfa, par les Turcs.

Il est vrai qu’une principauté arménienne vit le jour en Cilicie en . Cependant, cela ne résultait pas de l’occupation turque en Anatolie comme on l’a prétendu, mais de la destruction par les Byzantins des dernières principautés de l’Anatolie Orientale, destruction qui entraîna un afflux de réfugiés arméniens en Cilicie. Tout en acceptant la suzeraineté de Byzance, puis des royaumes des Croisés, des Mongols, et enfin de la famille catholique Lusignan qui contrôlait Chypre, cette principauté entretint de bonnes relations avec les Turcs, même lorsqu’elle aida les Croisés qui furent amenés à la traverser lors de leur expédition vers la Terre Sainte. Ce genre de relations avec des "infidèles" n’était d’ailleurs pas pour plaire à l’Église grégorienne arménienne, d’où l’apparition de divisions internes qui jouèrent un rôle important dans la conquête de la principauté par les Mamelouks de Syrie et d’Égypte en . En dernière analyse, l’existence de cette principauté eut pour conséquence principale la création d’une Église arménienne, indépendante de celle d’Etchmiadzine, ce qui aggrava les divisions au sein de l’orthodoxie arménienne, situation qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours.

Ainsi donc, lorsque l’Anatolie Orientale fut conquise par Mehmet II le Conquérant et Selim 1ᵉʳ, elle fut enlevée aux Turcomans du Mouton Blanc et aux Safavides d’Iran qui l’avaient occupée après le retrait des Byzantins. Quant à la Cilicie, Selim 1ᵉʳ l’annexa à l’empire ottoman au détriment des Mamelouks. Il est clair que jamais les Turcs ottomans n’ont occupé ou conquis de principauté arménienne, et ce, pour la bonne raison que les Arméniens avaient déjà été dominés par d’autres peuples.


[1ASLAN, Kevork ; L’Arménie et les Arméniens, Istanbul, 1914

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