19 avril 2024

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LES MASSACRES D’ARMENIE par Pierre Loti

Publié le | par Hakan | Nombre de visite 688
LES MASSACRES D'ARMENIE par Pierre Loti

Événement
Nos compatriotes du site tetedeturc.org vous propose un témoignage inédit sur les événements de 1915-1916, celui de Pierre LOTI, membre de l’Académie française !

Quelques précisions s’imposent :

Il convient de replacer le vibrant plaidoyer de Pierre Loti en faveur de ses amis les Turcs dans le contexte de l’époque. En 1918, les Grandes Puissances sorties victorieuses de la Première Guerre Mondiale s’apprêtent en effet à donner le coup de grâce à l’Empire ottoman en organisant son dépeçage. Dans son ouvrage, Pierre Loti fait notamment allusion aux revendications russes sur Istanbul et les Détroits turcs.

Les organisations arméniennes se livrent de leur côté à une intense propagande auprès des autorités et des opinions publiques des pays de l’Entente afin de justifier leurs revendications nationalistes : la création d’une Grande Arménie indépendante comprenant la majeure partie des provinces orientales de l’Anatolie où, pourtant, jamais les Arméniens n’ont été en majorité. Les massacres dont ont été victimes les Arméniens, évidemment présentés par les propagandistes arménophiles de manière unilatérale, partielle, et disproportionnée, constituaient alors un moyen efficace d’influer sur les esprits.

Le témoignage de Pierre Loti que nous reproduisons ici dénonce la désinformation arménienne de l’époque et cherche à rétablir la balance en faveur des Turcs.
Bonne lecture !


LES MASSACRES D’ARMENIE
Pierre LOTI de l’Académie Française
I - LES TURCS

LES MASSACRES D'ARMENIE par Pierre LOTI de l'Académie Française

Notre chère et plus que jamais admirable France est, je crois, le pays du monde où l’on vit dans la plus tranquille ignorance de ce qui se passe chez le voisin. La Turquie, par exemple, qui fut pourtant notre alliée pendant des siècles, est aussi inconnue de nous que les régions du Centre-Afrique ou de la Lune. Ainsi n’ai-je pas vu à Constantinople, où l’hiver est plus dur qu’à Paris, des touristes de chez nous arriver en décembre avec des vêtements de toile ! N’ai-je pas lu dans de grands journaux parisiens, pendant que mon navire, là-bas, se débattait depuis des semaines au milieu des rafales de neige : "Qu’il est heureux, M. Pierre Loti, d’être au Bosphore, le pays de l’éternel printemps !" - C’est que, vous comprenez, ce pays-là est en Orient, n’est-ce pas ; alors, pour la plupart des Français moyens, qui dit Orient, dit ciel bleu, soleil, palmiers et chameaux... Pour eux, tout ce qui porte un bonnet rouge, c’est toujours des Turcs.

Allez donc essayer d’ouvrir les yeux à certains bourgeois de chez nous qui, de père en fils, se sont hypnotisés - crétinisés, oserai-je dire - sur la prétendue férocité de mes pauvres amis les Turcs. Au début de la guerre balkanique, ai-je été assez bafoué, injurié, menacé pour avoir pris leur défense, pour avoir osé dire que les Bulgares, au contraire, étaient de cruelles brutes et que leur Ferdinand de Cobourg (pour qui toutes nos femmes s’étaient emballées et dont elles portaient les couleurs) n’était qu’un monstre abject.

De celui-là, par exemple, du Cobourg, je suis vengé aujourd’hui, car il a surabondamment prouvé ce que j’avançais : cinq fois traître en dix ans et tirant dans le dos de ses alliés sans crier gare, je ne vois pas ce que l’on pourrait demander de mieux ! Quant à ses soldats, j’ai eu beau relater de visu leurs atrocités, j’ai eu beau citer les rapports écrasants des commissions internationales envoyées sur les lieux, personne n’a voulu entendre. Non, c’étaient les Turcs, toujours les Turcs sur qui l’on persistait à crier haro, et, comme paroles d’évangile, on acceptait chez nous de périodiques petits communiqués du paladin Ferdinand, qui répétaient ce refrain : "Les Turcs massacrent, les Turcs continuent d’assassiner et de commettre les pires horreurs, etc., etc..."

Pour différentes raisons, je me tairai sur les agissements de quelques-uns des alliés chrétiens qu’avaient en ce temps-là nos bons Bulgares...

Mon but, aujourd’hui, est seulement d’affirmer une fois de plus cette vérité notoire du reste pour tous ceux d’entre nous qui ont pris la peine de se documenter, à savoir que les Turcs n’ont jamais été nos ennemis. Les ennemis des Russes, oh ! cela incontestablement oui, ils le sont, et comment donc ne le seraient-ils pas, sous la continuelle et implacable menace de ces derniers, qui ne prenaient même plus la peine de cacher leur intention obstinée de les détruire. Ce n’est pas à nous qu’ils ont déclaré la guerre, mais aux Russes, et qui donc à leur place n’en eut pas fait autant ? Plus tard, l’histoire dira, en outre, comment elle a été commencée, cette guerre-là, par quelques sauvages d’Allemagne, montés sur des petits navires au pavillon des sultans et qui, pour rendre la chose irrévocable, n’ont pas craint de tirer sans préambule sur la côte russe avant même qu’Enver, qui hésitait peut-être encore, en eut été informé. Que nous devaient-ils d’ailleurs, les Turcs ? Depuis l’expédition de Crimée, nous n’avons cessé de marcher avec leurs ennemis, et, en dernier lieu, pendant la guerre balkanique, pour les remercier sans doute de l’affectueuse hospitalité qu’ils nous avaient de tout temps donnés dans leur pays, nous les avons grossièrement insultés, à jet continu, dans presque tous nos journaux, ce qui leur a causé, je le sais, la plus douloureuse stupeur. C’est en désespoir de cause, pour échapper à l’écrasement par la Russie, qu’ils se sont jetés dans les bras de l’Allemagne détestée, - je dis détestée, car je me porte garant qu’à part une infime minorité, au fond, ils l’exècrent. Comment donc leur en vouloir sans merci d’une fatale erreur qui avait tant de circonstances atténuantes et pour laquelle ils sont tous prêts à faire amende honorable ?

Oh ! quel préjudice porté à la France, s’il avait fallu donner aux Russes ce Constantinople, qui était une ville si française de cœur, une ville où nous étions pour ainsi dire chez nous et d’où les Russes, à peine arrivés, nous auraient graduellement expulsés comme d’indésirables intrus ! Et quel manquement à ce principe des nationalités, invoqué cependant aujourd’hui par tous les peuples, quel manquement s’il avait fallu exécuter certain accord signé dans l’ombre, qui, en plus de Stamboul, arrachait encore à la patrie turque le berceau même de sa naissance et toutes ces villes asiatiques, Trébizonde, Kharpout, conquises jadis par les armes, il est vrai, mais qui, avec les siècles, sont devenues des centres de pure turquerie ! Mais ce ténébreux accord Sazonnow, tout récemment divulgué par les Bolcheviks, la défection russe l’a fait tomber en déliquescence, et maintenant, au jour des règlements solennels, la question de la nationalité turque va être soumise aux membres de la Conférence de la paix, c’est donc en eux que je mets tout mon espoir, pour mes pauvres amis Osmanlis, bien qu’on les ait déjà circonvenus, je le sais, afin de les rendre défavorables à leur cause ; mais j’ai confiance en eux quand même, car ils ne pourront manquer d’être, ici comme en toutes choses, d’impeccables et magnifiques justiciers.

Je disais qu’ils n’étaient pas nos ennemis, ces Turcs si calomniés, et qu’ils ne nous avaient fait la guerre qu’à contre cœur. Je disais, en outre, et j’ai dit toute ma vie qu’ils composaient l’élément le plus sain, le plus honnête de tout l’Orient, - et le plus tolérant aussi, beaucoup plus que l’élément orthodoxe, bien que cette dernière assertion soit pour faire bondir les non-initiés. Or, sur ces deux points, voici tout à coup, depuis la guerre, mille témoignages qui me donnent raison, même devant les plus entêtés. Des généraux, des officiers de tous grades, de simples soldats, qui étaient partis de France pleins de préjugés contre mes pauvres amis de là-bas et me considérant comme un dangereux rêveur, m’ont spontanément écrit, par pur acquit de conscience, pour me dire à l’unanimité : "Oh ! comme vous les connaissez bien, ces gens chevaleresques, si doux aux prisonniers, aux blessés, et les traitant en frères ! Comptez sur nous au retour pour joindre en masse nos témoignages au vôtre." Je voudrais pouvoir les publier toutes, ces innombrables lettres signées, si sincères et si touchantes, mais elles formeraient un volume !

Pour terminer, voici une anecdote, que je choisis entre mille, parce qu’elle est typique. En 1916, un hydravion français tomba désemparer en Palestine, près d’un poste militaire turc ; les officiers qui commandaient là, après avoir, avec courtoisie, fait nos aviateurs prisonniers, télégraphièrent au pacha gouverneur de Jérusalem pour demander des ordres, et il leur fut textuellement répondu ceci : "Traitez-les comme les meilleurs de vos parents ou de vos amis." La recommandation était du reste prévue, car ils l’avaient devancée en accueillant comme des frères ces camarades tombés du ciel. Et quelques jours après, quand ils reçurent l’ordre de les diriger sur Jérusalem, les sachant dépourvus d’argent, ils se cotisèrent pour leur prêter de quoi faire confortablement le voyage.

Et enfin, sans crainte d’être désavoué par nos combattants de là-bas, j’ose prétendre que la plupart de nos chers soldats, revenus de la folle équipée des Dardanelles, auraient été fauchés sur les plages si les Turcs n’avaient mis beaucoup de bonne volonté à les laisser se rembarquer : en général, ils cessaient le feu sur les canots français chaque fois qu’il n’y avait plus derrière eux quelque brute allemande pour les talonner.

II - LES MASSACRES D’ARMENIE

Arborer un tel titre sur cette brochure, équivaut pour moi à déployer un petit étendard de guerre, - guerre contre les idées fausses les plus enracinées, contre les préjugés les plus indestructibles. Je sais d’avance que je vais, une fois encore, récolter beaucoup d’injures, mais je suis quelqu’un que rien n’atteint plus : à l’heure qui vient de sonner dans ma vie, je ne désire plus rien et par suite ne redoute plus rien ; il n’est rien qui puisse m’obliger à taire ce que ma conscience m’impose de dire et de redire, de toutes mes forces. Il y a des années cependant que j’hésitais à aborder de front ce sujet sinistre, retenu par une pitié profonde malgré tout pour cette malheureuse Arménie qui a vraiment subi des répressions par trop disproportionnées à ses fautes... Ces effroyables massacres, des esprits malveillants se figurent, paraît-il, que j’ai la naïve impudence d’essayer de les nier, d’autres me méconnaissent jusqu’à croire que je les approuve ! Oh ! si l’on retrouvait quelque jour mes lettres de 1913 à l’ancien prince héritier de Turquie, ce Youzouf-Izeddin, assassiné depuis par les Boches, ce prince ami de la France qui avait autorisé mon franc parler avec lui, on verrait bien ce que je pense de l’horreur de ces tueries !

Pour commencer, je reparlerai d’abord des Turcs, - mais je désigne par ce nom les vrais, ceux du vieux temps qui, Dieu merci, constituent là-bas une majorité innombrable ; je n’entends pas ceux des nouvelles couches qui sont des exceptions, qui renient tout le passé ancestral, qui veulent plutôt renchérir sur nos déséquilibrements et notre modernisme ; et j’entends moins encore ces Levantins, métis de tous les sangs, que notre étonnante ignorance des choses orientales nous fait confondre avec les purs Osmanlis. Pour les juger impartialement, eux, les vrais, il faut les considérer, je l’accorde, comme un peuple qui retarde de quelques siècles sur le nôtre, - et je ne leur en fais point de reproche, bien au contraire. Leurs petites villes immobilisées de l’intérieur, leurs villages, leurs campagnes, sont les derniers refuges, non seulement du calme, mais de toutes les vertus patriarcales qui, de plus en plus, s’effacent de notre monde moderne ; loyauté, honnêteté sans taches ; vénération des enfants pour les parents poussée à un degré que nous ne connaissons plus ; inépuisable hospitalité et respect chevaleresque pour les hôtes ; élégance morale et délicatesse native, même chez les plus humbles ; douceur pour tous - même pour les animaux ; - tolérance religieuse sans bornes pour quiconque n’est pas leur ennemi ; foi sereine et prière. Dès qu’on a quitté, pour arriver chez eux, notre Occident de doute et de cynisme, de tapage et de ferraille, on se sent comme baigné de paix et de confiance, on croit avoir remonté le cours des temps jusque vers on ne sait quelle époque imprécise, voisine peut-être de l’âge d’or.

Tout ce que j’avance là n’est plus contestable que pour les ignorants obstinés ; des témoins par milliers sont prêts à l’affirmer et tous nos combattants de cette dernière guerre ne demandent qu’à déposer très affectueusement pour les Turcs, devant le grand tribunal de l’humanité. Des lettres continuent de m’arriver chaque jour, d’officiers, de soldats, même de prêtres catholiques, qui ont pu les connaître de près aux Dardanelles et qui restent stupéfaits de les avoir rencontrés tels que je les décrivais. Une des plus touchantes peut-être, est d’un petit soldat blessé qui fut longtemps leur prisonnier, qui est rentré par faveur spéciale et qui me demande de le prévenir quand les courriers seront rétablis avec Constantinople, pour lui permettre d’exprimer à nouveau sa tendre reconnaissance aux Turcs qui l’ont si fraternellement soigné. Dieu merci, malgré les entêtements qui ne raisonnent plus, la vérité sur eux commence à faire son chemin chez nous.

Pauvres Turcs ! Mais ils ont, hélas ! si je puis dire ainsi, les défauts de leurs qualités ; auprès de leurs vertus antiques, ils ont tout à coup le fanatisme aveugle, dès que l’lslam est plus directement menacé, dès que le Khalife a levé l’étendard vert et jeté l’appel d’alarme ; alors comme des lions exaspérés, ils se déchaînent contre ceux que, depuis des siècles, on leur a dénoncés comme les plus dangereux responsables de tous les malheurs de la patrie. On pense bien qu’ils ne sont pas sans savoir, si peu documentés soient-ils, que n’importe ce qu’ils feront en Europe, c’est toujours à eux que l’on donnera tort, c’est toujours eux qui seront les insultés et les spoliés, toujours eux qui paieront ; la coalition inavouée de tous les peuples dits chrétiens ne désarmera jamais. Et ils savent aussi que ces malheureux Arméniens ne cesseront pas, même aux heures les plus tranquilles, d’être contre eux de funestes et hypocrites délateurs. C’est à ces moments de fièvre rouge que l’Europe, qui se targue d’être la haute civilisatrice, a par trop mal agi en ne s’employant pas à calmer tout de suite la crise de ces grands enfants égarés ; or, au lieu de cela, des peuples chrétiens, des souverains chrétiens, désireux de pêcher ensuite en eau trouble, n’ont pas craint d’envoyer chez eux des agents provocateurs. Parmi ces princes que j’accuse, et au premier rang, bien entendu, je citerai l’immonde Kaiser de qui on est toujours sûr de trouver les mains, ou plutôt les tentacules altérés de sang, partout où quelque plaie a chance de s’ouvrir ; je pourrais avec certitude en citer d’autres, mais la censure effacerait leurs noms. Hélas ! oui, les Turcs ont massacré ! Je prétends toutefois que le récit de leurs tueries a toujours été follement exagéré et les détails, enlaidis à plaisir ; je prétends aussi, - et personne là-bas n’osera me contredire, que la beaucoup plus lourde part des crimes commis revient aux Kurdes dont je n’ai jamais pris la défense.

Je prétends surtout que le massacre et la persécution demeurent sourdement ancrés au fond de l’âme de toutes les races, de toutes les collectivités humaines quand elles sont poussées par un fanatisme quelconque, religieux ou antireligieux, patriotique ou simplement politique ; mais voilà, les Turcs sont les seuls à qui on ne le pardonne pas !

Nous français, nous avons eu la Saint-Barthelemy, - à quoi l’on chercherait en vain un semblant d’excuse, - et puis les dragonnades, et puis la Terreur, et puis la Commune, et qui sait, hélas ! ce que demain nous réserve encore... L’Espagne a eu l’lnquisition ; elle a cruellement persécuté et expulsé les Juifs, qui du reste se sont réfugiés en Turquie, où, ne faisant point de mal, ils ont été accueillis avec la plus absolue tolérance et sont devenus de dévoués patriotes Ottomans. Aux Balkans, chez les chrétiens, le massacre et la persécution subsistent depuis des siècles à l’état chronique : orthodoxes contre catholiques, exarchistes contre uniates et contre musulmans ; comitadjis brochant sur le tout et, sans choisir, massacrant pour piller. Pendant la guerre déclarée en 1912 à la Turquie déjà aux prises avec l’Italie, les massacreurs ont été odieusement du côté de certains alliés chrétiens ; dans un précédent livre je crois en avoir donné d’irréfutables preuves, en publiant mille témoignages autorisés et signés, et des rapports dûment authentifiés de commissions internationales. N’ai-je pas prouvé ainsi qu’en Macédoine les musulmans avaient été massacrés par milliers, de la plus hideuse manière ? Mais cela ne fait rien, pour le public d’Occident, ces crimes-là n’ont d’importance que s’ils sont commis par les Turcs. Non, ce sont les Turcs, toujours les Turcs ! Aux autres, nous pardonnons tout. Nous n’en avons point voulu aux Russes de l’énormité de leur trahison, ni des horreurs sanglantes de leur bolchevisme. Sans peine nous avons pardonné aux Grecs le récent assassinat de nos chers matelots à Athènes ; - nous ont-ils jamais fait l’équivalent d’une pareille traîtrise, ces pauvres Turcs, qui n’ont point cessé de nous aimer malgré nos outrages ? - Non, mais qu’importe, ce sont les Turcs, toujours les Turcs !...

Parler maintenant de la race arménienne m’est plus pénible que l’on ne voudra le croire, car l’excès de ses malheurs me la rendrait presque sacrée ; aussi ne le ferai-je que dans la mesure de ce qu’il faudra pour défendre mes amis par trop calomniés. Si j’ai pu prétendre et soutenir que tous les Français qui ont habité la Turquie, même nos religieux et nos religieuses, donnent aux Turcs leur estime et leur affection, par contre je crois bien que l’on trouverait à peine un d’entre nous sur cent qui garde bon souvenir de ces malheureux Arméniens. Tous ceux qui ont noué avec eux des relations quelconques, mondaines ou d’affaires, d’affaires surtout, - s’en détournent bientôt avec antipathie(censuré)Note de Tête de Turc : 17 lignes du texte de Pierre Loti ont été malheureusement censurées - par l’éditeur ? Les autorités françaises ? Il y avait visiblement des vérités sur les Arméniens pas bons à écrire. Le contexte de l’époque, très largement pro-arménien et antiturc, l’explique évidemment. Cela étant, les choses n’ont guère changé depuis ; la censure et les préjugés, dès qu’il s’agit de la question arménienne, sont restés aussi vivaces, notamment en France...)(censuré) Jusque dans les villages les plus perdus, jusqu’au fond des campagnes, on les trouve, ces Arméniens prêtant à la petite semaine, et bientôt il faut, pour les rembourser, vendre les bœufs et la charrue, et puis la terre, et puis la maison familiale. Tout cela, il va sans dire, augmente l’exaspération qu’ils causent déjà par ce rôle qu’on leur attribue, non sans raison, d’être de continuels délateurs qui excitent contre l’Islam tous les chrétiens, catholiques ou orthodoxes, et qui ameutent tout l’Occident contre la patrie turque.

Dans le précédent chapitre, j’ai conté une anecdote turque ; ici, j’en conterai une essentiellement arménienne. Dans une ville d’Asie, lors des massacres de 1896, le Consul de France, qui avait abrité le plus d’Arméniens possible au Consulat sous le pavillon français, venait de monter sur sa terrasse pour regarder ce qui se passait alentour, quand deux balles, venues par derrière lui, sifflèrent à ses oreilles ; s’étant retourné il aperçut, le temps d’un éclair, un Arménien qui l’avait visé par la fenêtre d’une maison voisine. Appréhendé et interrogé, le sournois agresseur répondit : "J’avais fait cela pour que les Turcs en fussent accusés, et dans l’espoir que les Français s’ameuteraient contre eux après ce meurtre de leur Consul".

Mais tous ces griefs - et tant d’autres encore - sont-ils des raisons pour les exterminer ? A Dieu ne plaise qu’une telle idée m’ait effleuré un instant ! Au contraire, si mon humble voix avait quelque chance d’être entendue, je supplierais l’Europe, qui a déjà trop tardé, je la supplierais d’intervenir, de protéger les Arméniens et de les isoler ; puisqu’il existe entre eux et les Turcs, depuis des siècles, une haine réciproque absolument irréductible, qu’on leur désigne quelque part en Asie une terre arménienne où ils seront leurs propres maîtres et où ils pourront corriger leurs tares acquises dans la servitude, et développer dans la paix les qualités qu’ils ont encore, - car ils en ont, des qualités ; j’accorde qu’ils sont laborieux, persévérants, que certain côté patriarcal de leur vie de famille commande le respect. Et, enfin, bien que ce soit peut-être secondaire, ils ont la beauté physique, qui en Occident s’efface de plus en plus par l’excès de l’instruction, le surmenage intellectuel, l’usine meurtrière et l’alcool ; je ne puis penser sans une spéciale mélancolie à ces femmes massacrées qui, pour la plupart sans doute, avaient d’admirables yeux de velours...

Plus d’une fois, à Paris, quand il m’est arrivé dans la conversation d’attribuer aux Arméniens la part de responsabilité qui leur incombe dans leurs souffrances, des petits messieurs suffisants, qui parlaient des questions orientales comme un aveugle parlerait des couleurs, m’ont répondu, croyant être spirituels : "Alors, c’est le lapin qui a commencé ?" - Eh ! bien mais... tout au moins pour les massacres de 1896 qui furent les plus retentissant, c’était carrément le lapin !... Ici, je m’excuse de me citer moi-même ; je veux cependant reproduire ce passage d’un livre intitulé Turquie agonisante que j’ai publiée en 1913 :

"Avant de rejeter sur les Turcs toute l’horreur de ces massacres de 1896, il faudrait d’abord oublier avec quelle violence le ’parti révolutionnaire arménien’ avait commencé l’attaque. Après avoir annoncé l’intention de mettre le feu à la ville, qui ’à coup sur, disaient les affiches effrontément placardées, serait bientôt réduite à un désert de cendre’ (sic), un parti de jeunes conspirateurs, s’était emparé de la banque ottomane pour la faire sauter, tandis que d’autres mettaient en sang le quartier de Psammatia. Il y eut dix-huit heures d’épouvante pendant lesquelles la dynamite fit rage ; un peu partout les bombes arméniennes lancées par les fenêtres, tombèrent dru sur la tête des soldats, et la musique du Sultan, qui se rendait au palais pour la prière du vendredi, fut particulièrement atteinte. "Eh bien, quelle est la nation au monde qui n’aurait pas répondu à un pareil attentat par un châtiment exemplaire ? Certes un massacre n’est jamais excusable ; et je ne prétends pas absoudre mes amis Turcs, je ne veux qu’atténuer leur faute, comme c’est justice. En temps normal, débonnaires, tolérants à l’excès, doux comme des enfants rêveurs, je sais qu’ils ont des sursauts d’extrême violence, et que parfois des nuages rouges leur passent devant les yeux, mais seulement quand une vieille haine héréditaire, toujours justifiée du reste, se ranime au fond de leur cœur, ou quand la voix du Khalife les appelle à quelque suprême défense de l’Islam... "

Pauvres Turcs ! ce serait une erreur préjudiciable à nous tous, une injustice, un crime contre le principe des nationalités si souvent invoqué de nos jours, que de leur arracher ce sol conquis jadis par les armes, il est vrai, mais qui, avec les siècles, est devenu leur vraie patrie. Ils continueront de nous y donner plus que jamais, et à nous Français surtout, cette complète et affectueuse hospitalité à laquelle ils nous ont habitués depuis leur arrivée en Europe. Pour ce qui est de leur tolérance religieuse, je voudrais que tant de catholiques de chez nous, qui les accablent, puissent interroger nos prêtres et nos bonnes sœurs qui là-bas, les coudoient chaque jour ; ils apprendraient ainsi que même toutes les manifestations extérieures du culte sont largement protégées chez eux, et que les processions, les bannières, interdites en France, circulent librement dans les rues de Constantinople, où les Turcs sont les premiers à les saluer au passage. Que l’on essaie donc de faire défiler une procession catholique dans certains pays orthodoxes ou exarchistes !... Et qu’adviendra-t-il en Palestine, quand on n’aura plus, comme gardiens aux portes du Saint-Sépulcre, les bons Turcs toujours prêts à mettre le hola, quand les représentants des différentes sectes chrétiennes levantines qui s’exècrent les uns les autres, commencent d’ensanglanter les basiliques, en s’y battant comme des chiens, à coups de croix d’argent ou d’ostensoirs d’or !... Ah ! oui, qu’on laisse les Turcs à Constantinople ; avec leur tendance à s’immobiliser, que critiquent certains psychologues à courte vue, mais qui est leur suprême sagesse au contraire, ils maintiendront là un centre bienfaisant de paix et de loyauté inaltérable, surtout quand ils s’y trouveront vraiment en sécurité ; quand on les aura un peu débarrassés de l’élément levantin, quand ils ne se sentiront plus les parias à qui l’Europe donne toujours tort et vers qui convergent toutes les convoitises effrénées, - surtout quand ils n’auront plus la continuelle menace de ces innombrables multitudes russes, qui ne cessent de loucher de leur côté et de répéter à qui veut l’entendre, sur la fin de tous leurs banquets : il faut en finir avec les Turcs !... Les Russes, malgré leurs trahisons, aucun de nous n’arrive à les haïr, mais enfin qu’on nous dise tout de même sur quoi ils se basent pour revendiquer Constantinople ! Ils n’ont à cela ni droit héréditaire, ni droit ethnographique, ni excuse quelconque, et leur présence, à l’entrée de ce couloir le plus important du monde, serait un perpétuel danger pour l’Europe. Mais ce que je viens de dire là est tout à fait en dehors de cette défense des Turcs que ma conscience m’oblige à soutenir. Ce qui d’ailleurs confirme ma foi dans la justice de ma cause c’est que, si j’entends à mes trousses les criailleries, les injures et les rires de ceux qui ne savent pas, j’ai pour moi les seuls témoignages qui comptent, ceux de presque tous les Français qui ont vécu sur les lieux et qui ont pu comparer entre elles les nations si diverses de l’Orient.

Je vais être maladroit sans doute en terminant mon plaidoyer par un point de beaucoup moindre importance. Je veux cependant dire encore ceci. Il n’y a pas dans l’espèce humaine que des spéculateurs et des électriciens, il y a aussi, et grâce à Dieu il y a de plus en plus, des artistes, des poètes, des rêveurs ; leur nombre va croissant, à mesure que grandit l’épouvante de voir la laideur tout envahir. Qu’on leur laisse au moins et que l’on respecte pour eux, comme un eden, ce petit coin de la Terre qui est encore le moins défiguré par le modernisme. Il faut savoir gré aux pauvres Turcs d’enchanter encore un peu nos yeux par ce qui reste de leurs conceptions esthétiques. De Stamboul et d’Andrinople, ils avaient fait les villes merveilleuses que l’on sait. De ce Bosphore, qui eut été sans eux un détroit quelconque, ils avaient fait un décor unique, par tant d’étrange beauté qu’ils avaient su épandre sur ses deux rives : palais, mosquées, minarets, demeures aux aspects de mystère, à demi plongées dans l’eau qui court ; - et par tant de beauté aussi qu’ils avaient semée même sur ses eaux rapides et bruissantes : costumes éclatants de toute la peuplade des rameurs, élégance exquise des milliers de caïques dorés et des grands voiliers dont les poupes se relevaient comme des châteaux. Tout cela, je le sais, est déjà gravement endommagé par la barbarie de tant d’étrangers ou de Rayas ottomans, grecs, arméniens et juifs, qui sont venus s’y établir et qui, par une stupéfiante inconséquence, ont travaillé chacun pour sa part à détruire peu à peu ce charme, qu’ils avaient pourtant vaguement compris, puisqu’ils s’y étaient laissé prendre. Qu’on ne me dise pas que la séduction infinie de ces centres d’lslam pourra subsister quand les Turcs n’y seront plus ; non, la séduction, ils l’avaient apportée avec eux et elle s’éteindra le jour de leur bannissement cruel ; la paix, le mystère et l’immense rêverie s’évanouiront à leur suite. Ce sera fini de l’adorable sortilège de ce pays quand on ne rencontrera plus, dans le labyrinthe des petites rues musulmanes, les mêmes passants, les mêmes femmes voilées, les mêmes osmanlis pensifs et graves, en turban et en longue robe ; quand il n’y aura plus tous ces accueillants petits cimetières, disséminés au milieu des vivants pour adoucir l’idée de la mort ; surtout quand, aux heures des cinq prières, on aura cessé d’entendre planer, au-dessus de toutes les choses silencieuses et recueillies, les hautes vocalises éperdues des muezzins.

Calmann-Lévy, Editeurs 3, rue Auber - 3ème - Paris, 1918


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