19 avril 2024

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Les Arméniens dans la mémoire turque

Publié le | par TN-pige | Nombre de visite 408

Pourquoi la Turquie refuse-t-elle de se pencher sur son histoire, nous rabâche-t-on les oreilles depuis la vive polémique suscitée par le projet de loi liberticide débattu au Parlement français qui prévoit un an de prison et 45 000 euros d’amende pour toute contestation publique de la thèse arménienne de « génocide » ?

Mais parce que la construction de l’Etat-nation turc, nous dit-on, serait fondé sur un crime abominable, sur un péché originel, l’extermination des populations arméniennes d’Anatolie orientale durant la Première Guerre Mondiale. Dans le prolongement de ce crime, les biens arméniens auraient été spoliés par ceux-là mêmes qui ont fondé la République turque et constitué, à l’époque, l’embryon d’une bourgeoisie nationale.

Dès lors, l’Etat turc s’emploierait depuis des décennies à dissimuler ce « génocide » et maintiendrait délibérément le peuple turc dans une amnésie collective. Il existerait donc un « trou noir » béant dans l’histoire du pays, dont la révélation ferait vaciller la Turquie sur ses fondations.

Voilà les arguments qui justifierait, aux yeux de certains commentateurs, le refus quasi obsessionnel de la Turquie de reconnaître le « génocide » arménien.

Disons-le clairement : cette théorie fumeuse relève au mieux d’une paresse intellectuelle ou d’une méconnaissance édifiante du pays, au pire d’une approche totalement subjective et partisane.

Il convient en effet de rappeler une évidence toute simple pour comprendre la position des Turcs : en Turquie, on ne commémore pas les tragédies du passé ! Il y un rapport au temps et à la mémoire qui n’est tout simplement pas le même que celui que nous connaissons en France.

Pour illustrer notre propos, citons quelques exemples.

La perte des Balkans au début du 20ème siècle, occasionnant la purification ethnique et le massacre de millions de Turcs par les Grecs, Serbes et Bulgares, une perte qui fut un véritable traumatisme dans la conscience collective turque, ne suscite pour aussi dire aucune commémoration particulière en Turquie. Les Balkans furent pourtant le cœur névralgique de l’Empire ottoman durant des siècles, mais aucune mémoire officielle de cette tragédie n’est entretenue par l’Etat turc.

De la même façon, le drame des rescapés musulmans caucasiens qui trouvèrent refuge dans l’Empire ottoman à la fin du 19ème siècle, après avoir été déportés et massacrés en masse par les Russes, n’a guère de place dans la politique mémorielle de la Turquie. Or, les descendants de ces victimes se comptent aujourd’hui en millions dans le pays.

Idem pour la Bosnie, dont les liens historiques et culturels avec la Turquie, ainsi que l’existence de plusieurs millions de Turcs d’origine bosniaque, auraient pourtant justifié des cérémonies commémoratives, notamment à la mémoire des victimes du génocide de Srebrenica perpétré par les Serbes en juillet 1995. Il n’en est rien.

Autre exemple, la perte des Lieux Saints de l’Islam (La Mecque et Jérusalem), longtemps restés sous l’administration et la protection des Turcs, ne suscite aucune nostalgie particulière ni aucune cérémonie du souvenir en Turquie.

Dans une démarche volontariste de construction nationale, les Turcs ont fait le choix d’oublier les tragédies et les traumatismes du passé pour ne retenir que les grandes victoires (la conquête de Constantinople), et les moments héroïques de résistance ou de bravoure (la bataille des Dardanelles par exemple).

L’oubli est ici un acte de rupture avec un passé jugé douloureux. A cet égard, le drame des Turcs d’Anatolie, des Balkans ou du Caucase, n’a jamais suscité de revendication mémorielle particulière. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la position turque vis-à-vis du drame arménien.

A ceci s’ajoute un rapport très particulier à la mort, mâtiné de fatalisme, dont l’origine est à chercher du côté de l’Islam, qui explique que les Turcs, collectivement, ne commémorent pas ou si peu [1] la mémoire de leurs morts, et donc a fortiori celle des autres !

Aucune stratégie perverse donc, aucune manipulation de l’histoire. Juste un peuple meurtri par des décennies de guerres incessantes entre 1850 (Guerre de Crimée) et 1922 (Guerre d’Indépendance), qui a perdu dans des conditions atroces des millions de ses enfants et d’immenses territoires, qui a vu en Anatolie un ultime refuge où construire un nouvel Etat en tournant le dos aux tragédies sanglantes du passé.

Pour autant, la Turquie reconnaît la réalité des massacres subis par les Arméniens entre 1915 et 1917. Comme de grands historiens de renom, elle en conteste simplement la qualification de "génocide".


[1L’exemple de Sarikamich est à cet égard éloquent. En 1915, 90 000 soldats turcs périrent de froid en tentant de traverser la montagne de Sarikamich, dans l’est de l’Anatolie, pour venir en aide aux populations musulmanes massacrées par les Russes et les Arméniens. Ce n’est que depuis très récemment qu’une marche populaire est organisée chaque année à la mémoire de ces soldats.

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