19 avril 2024

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Le tremblement de terre qui vient de frapper le Japon rappelle qu’Istanbul est aussi une zone majeure de risque sismique.

Publié le | par Hakan | Nombre de visite 818

Le tremblement de terre (en turc : « deprem ») d’une magnitude exceptionnelle qui a frappé le Japon vendredi 11 mars 2011, ne peut qu’avoir un écho particulier en Turquie, et tout particulièrement à Istanbul.

En effet, la Turquie est traversée d’Est en Ouest par un réseau de failles coulissantes (dite « faille nord-anatolienne ») de près de 1000 km de long, opposant deux plaques tectoniques : la plaque anatolienne au sud, qui coulisse vers l’ouest ; la plaque eurasienne au nord, qui coulisse vers l’Est. Istanbul est à l’extrémité occidentale de cette faille, qui plonge sous la mer de Marmara au niveau du Golfe d’Izmit. La chronologie et la cartographie des principaux séismes en Turquie depuis les années 1939 (une dizaine en 70 ans) montrent que ceux-ci se déplacent progressivement de l’Est vers l’Ouest. Istanbul est à l’extrémité occidentale de ce réseau de failles. La ville a connu dans l’histoire de nombreux séismes (dont certains très violents, comme celui de 1509) qui ont laissé des traces à la fois dans les archives ottomanes, et dans le paysage urbain. Les historiens ont pu notamment trouver la trace de 377 séismes ottomans, dont 142 ont directement concerné Constantinople-Istanbul. Alors capitale de l’Empire ottoman, la ville a ainsi durement subi le séisme de 1894, à la fois par les dégâts directement dus aux secousses, mais surtout par les incendies déclenchés par les effondrements dans une ville encore largement construite en bois : situation très comparable à la catastrophe qui a ravagé Tokyo et la plaine du Kanto en 1923, faisant 140 000 morts, pour l’essentiel brûlés vifs dans l’océan de feu qui a balayé l’agglomération après le séisme (Cf. le passionnant travail de recherche de Claire Chapoutot, “La colère du poisson-chat. Causes et conséquences du séisme qui détruisit Tokyo en 1923”, mémoire de 3e année de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, sous la direction de JP. Burdy, Grenoble, septembre 2002, 227 p. disponible en pdf : http://iepdoc.upmf-grenoble.fr/memoires/pdf/2002/Z5835bis.pdf ). Mais Istanbul n’a pas encore subi « Le grand tremblement de terre » qui la frappera inexorablement…

Le 17 août 1999, à 3h09, un séisme de magnitude 7,4 sur l’échelle de Richter secoue pendant une trentaine de secondes l’Ouest de la Turquie, de Bolu à Izmit et aux faubourgs d’Istanbul le long de la mer de Marmara (photo). Les dégâts sont très importants dans la zone d’Izmit, à la fois très urbanisée et très industrielle : 27 000 personnes y trouvent la mort, et des centaines de milliers d’autres sont sans-abris. La zone littorale est partiellement submergée à la fois par des vagues (en rien comparables, toutefois, au tsunami japonais de vendredi) et par la subsidence de sols instables. Des bateaux se retrouvent à plusieurs centaines de mètres à l’intérieur des terres. Les raffineries et les plateformes chimiques sont en feu. Les axes de circulation (voies ferrées, autoroutes) sont durement touchés. L’IFEA, en particulier son Observatoire urbain, a consacré plusieurs études au tremblement de terre d’Izmit. (Cf. Deli Fatime, Pérouse Jean-François [1999] - Le séisme de Yalova-Izmit-Istanbul : premiers éléments d’information et d’appréciation - Les dossiers de l’IFEA, 1999, 40 p., rapport disponible sur le site Internet de l’IFEA).

Les conséquences de cette catastrophe sont autant politiques et sociétales que matérielles. On a beaucoup reproché aux administrations d’Etat, à l’armée (qui a tardé à sortir de ses casernes, officiellement parce qu’elle en attendait l’ordre d’Ankara) et au Croissant rouge de Turquie, leur retard à organiser les secours. Ceux-ci sont initialement pris en charge par des individus et associations de la société civile venant de la métropole d’Istanbul, aidés par des équipes de sauveteurs arrivés de l’étranger (non sans polémiques initiales : quelques nationalistes ont estimé que la Turquie n’avait pas besoin de l’aide étrangère). Les nombreux bâtiments effondrés témoignaient de la corruption par les promoteurs et entrepreneurs de certains fonctionnaires et élus municipaux et d’Etat : nombre de bâtiments se sont effondrés à Izmit à cause d’un béton friable, fabriqué avec du sable de mer, donc imprégné de sel ; une grande partie des bâtiments récents ne respectaient pas les règles de sécurité parasismique. Le tremblement de terre de 1999 a donc contribué à la décrédibilisation de l’Etat, de l’armée et de la classe politique. Ce volet a été étudié par Pauline Schirmer, « Devlet Baba, es-tu là ? Le gouvernement turc face aux situations d’urgence. Le séisme d’Izmit du 17 août 1999 », mémoire de 3e année de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble (sous la direction de JP. Burdy & N. Monceau, Grenoble, septembre 2007) L’organisation des secours en Turquie, et la gestion de crise, sont minutieusement analysées par la thèse de Çağlar Akgüngör, travail mené au sein de l’équipe de recherche de Claude Gilbert, au Laboratoire PACTE de Grenoble (cf. également l’interview de Çağlar Akgüngör publié par le Blog de L’OVIPOT dans son édition du 27 décembre 2007).

Le seul aspect « positif » de la catastrophe sera qu’elle a inauguré, sur le plan international, ce que l’on appelle « la diplomatie du tremblement de terre » (cf. notamment notre édition du 28 janvier 2008 et du 18 septembre 2009). Les relations bilatérales gréco-turques étaient alors très tendues pour de multiples raisons : la crise de Chypre depuis 1964, et surtout 1974 ; les polémiques juridiques sur le statut des eaux de la mer Egée, accompagnées d’incidents récurrents entre avions militaires, etc. Et la Grèce s’opposait jusque-là catégoriquement à une candidature turque à l’Union européenne, refus derrière lequel les autres pays membres pouvaient confortablement se réfugier. Le tremblement de terre d’Izmit change la donne. Parmi les équipes de secours arrivées de l’étranger, les équipes envoyées par la Grèce ont été particulièrement remarquées, et très vite appréciées et mises en valeur par les médias turcs. Quelques semaines plus tard, en septembre 1999, des sauveteurs turcs iront participer à l’aide aux victimes d’un séisme de magnitude 5,9 qui venait de frapper la région d’Athènes, faisant 143 morts et 60 000 sans-abris. Cette solidarité réciproque face à des catastrophes naturelles majeures est l’une des origines du changement de position de la Grèce face à la candidature turque : alors même que les motifs de tension restent pendants (Chypre, l’Egée), Athènes devient alors, et reste encore, l’un des plus fermes soutiens à cette entrée de la Turquie dans l’UE.

Mais le « deprem » de 1999 a aussi ouvert une polémique, qui n’est pas close, sur la capacité de la Turquie à faire face au « tremblement de terre du siècle », le « Big One », qui frappera inévitablement la métropole d’Istanbul et ses quelques 15 millions d’habitants, à plus ou moins brève échéance. Or, la topographie et la géologie de l’agglomération métropolitaine (les nombreuses collines à forte déclivité, des zones côtières par endroit facilement submersibles ; des loupes sédimentaires qui se liquéfient en cas de secousses) ; la nature du tissu urbain (des quartiers centraux anciens, avec des immeubles construits hors de toutes normes antisismiques sur des rues ou ruelles étroites déjà peu accessibles en temps normal ; ou des quartiers périphériques « d’habitat spontané » édifiés sans autorisation administrative et hors de toutes normes antisismiques, les « gecekondu », ou « apartkondu ») ; l’expérience douloureuse de la désorganisation initiale des secours officiels en 1999 : autant d’éléments qui ne peuvent que laisser très pessimiste sur ce que seront les conséquences du futur grand deprem. Un roman très noir a même envisagé ce chaos stambouliote d’après séisme (KIRIKKANAT Mine G., La Malédiction de Constantin, Paris, Métailié Noir, 2006, 252 p.)

Le « deprem » est donc devenu à la fois un objet de recherches scientifiques (à dimension internationale : par exemple pour l’étude géophysique par des équipes franco-turques du système de failles de la mer de Marmara), et de nombreuses publications scientifiques, sociologiques et politique. Les gouvernements et les administrations ont par ailleurs, dans la dernière décennie, développé des plans de prévention des risques sismiques, et de gestion des catastrophes. Mais le grand deprem reste aussi, bien évidemment, un sujet de grande inquiétude pour les Stambouliotes, et pour tous les amoureux de cette ville et de ses habitants.

Par Jean-Paul Burdy pour OVIPOT


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