28 mars 2024

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La Turquie n’acceptera jamais d’être taxée de "négationniste"

Publié le | par TN-pige | Nombre de visite 467

Par Engin Solakoglu

LE PLUS. A la fin du mois de janvier, le débat fut vif entre partisans et opposants d’une loi française pénalisant la négation du génocide arménien. "Le Nouvel Observateur" a couvert le sujet à travers de nombreux articles, dont un que le porte-parole de l’ambassade de Turquie en France, Engin Solakoglu, souhaite commenter.

La raison pour laquelle j’ai senti le besoin d’écrire cette tribune est l’article signé par Laure Marchand paru dans "Le Nouvel Observateur" au début du mois de février et également publié sur le site internet. Je voudrais répondre une à une aux allégations qu’il contient, à commencer par son titre : "Génocide arménien : un tabou qui se fissure".

Quelques bases historiques…

Il est vrai que la question arménienne a longtemps été un tabou en Turquie. Mais elle était loin d’être le seul sujet mis à part. Tout un passé pré-républicain a fait l’objet d’une amnésie totale et cela pour une bonne raison : il fallait oublier les tragédies vécues par tous les peuples du pourtour anatolien y compris par les Turcs pour pouvoir construire un avenir dénué d’inimitié et d’esprit de vengeance.

C’était le choix réfléchi d’Atatürk qui voulait bâtir une nouvelle nation, en ligne avec la définition de Renan, à partir des débris d’un empire annihilé non seulement à cause de son ineptie de gérer plusieurs peuples d’une manière juste et équitable mais aussi de l’ingérence des autres empires coloniaux qui n’ont jamais raté une seule occasion de "diviser pour mieux régner" en attisant les haines entre les peuples de la région.

Un des aspects inconnus de ce sujet en France est que la population de la Turquie en 1923 était seulement de 9,5 millions, dont 4 millions étaient des immigrés turcs et/ou Musulmans des Balkans, de la Grèce et du Caucase, tous rescapés des massacres perpétués contre ces populations qui vivaient dans ces contrées depuis plus de 4 siècles.

Il était important pour le nouveau régime turc de faire oublier le passé, de ne pas attiser une nostalgie paralysante ou un irrédentisme destructeur qui auraient des effets néfastes pour la reconstruction d’un pays dévasté par des guerres successives de 1911 à 1922.

"Négationnisme" : une simplification erronée et trompeuse

Après avoir donné ces détails historiques méconnus ou inconnus en France, je peux dire avec le cœur net en tant que diplomate mais aussi intellectuel turc que la Turquie n’acceptera jamais cette qualification de "négationniste", qui ne constitue à nos yeux qu’un raccourci intellectuel et une simplification erronée et trompeuse. Le fait que la presse et la classe intellectuelle françaises la répètent sans cesse jusqu’à l’éternité ne changera rien à notre vision et à notre perception de notre histoire.

Il va sans dire que notre attitude ne consistera jamais non plus à nier ou à minimiser les énormes souffrances du peuple arménien ni leur douleur d’avoir perdu une grande partie de leur patrie ancestrale. Nous les considèrerons toujours comme des victimes des visées impérialistes de puissances étrangères qui ont essayé d’utiliser le sang des Arméniens pour partager plus facilement l’empire mourant des Ottomans. Soyons clair et net ; personne en Turquie n’osera démentir le fait qu’en 1914, 1 million d’Arméniens vivaient sur les terres anatoliennes et qu’il n’en reste actuellement en Turquie que 60.000. Cela va de même pour les 1,5 millions de Grecs d’Anatolie en 1920.

Toutefois, essayons aussi de voir la face noire de la lune : en 1910, Salonique était une ville majoritairement peuplée de Turcs musulmans et juifs. Elle était connue comme étant la plus grande ville juive en Europe. Combien en reste t-il aujourd’hui ? En 1900, il existait plus de 100.000 Turcs en Crète. Où sont-ils maintenant ? Qui se souvient d’eux aujourd’hui à Paris ? Combien d’articles sur leur sort ont paru au Nouvel Observateur ? Quel correspondant d’un journal français basé à Athènes a eu l’idée d’aller chercher les traces des Turcs de Crète ou de Rhodes ? Qui ose parler d’un million d’Azéris qui ont dû quitter leurs terres à cause de l’occupation et du nettoyage ethnique de la République d’Arménie ? Les millions de Circassiens chassés de leurs terres ancestrales à partir de 1829 par l’Empire russe, des centaines de milliers massacrés par les Cosaques ou laissés pour mort dans les eaux froides de la Mer Noire ont fait l’objet de combien d’articles ou d’émissions télévisées en France ?

Tout cela pour dire que l’histoire de l’Humanité est aussi l’histoire des tragédies humaines. Il est erroné et injuste de faire un choix entre les différentes tragédies vécues plus ou moins à la même période et aux environs d’Anatolie. A partir du moment où on commence à privilégier le drame d’un peuple à l’insu des autres, inévitablement la question des "critères" s’impose. Pourquoi les souffrances des Arméniens seraient-elles plus importantes que celles des Turcs ou des Circassiens ? Aurons-nous le courage nécessaire pour apporter une réponse honnête à cette question ?

La question du "syndrome de Sèvres"

Pour revenir à l’article de Mme Marchand, il faut peut-être parler aussi de ce fameux "syndrome de Sèvres" (tiré du nom de la ville où fut signé en 1920 le traité de paix imposé par les pays occidentaux victorieux, qui morcelait l’Empire ottoman, ndlr), qu’une partie des intellectuels turcs néo-libéraux aiment bien mentionner chaque fois qu’il y a une discussion sur l’histoire de la Turquie.

Qualifier d’un "syndrome" ou d’une "paranoïa" les sentiments d’un peuple par rapport à un traité signé en 1920 ; quand l’Empire Ottoman était mis à genoux, que sa capitale et une bonne partie de ses territoires étaient militairement occupées par la France, la Grande Bretagne, l’Italie et la Grèce, qui divisait d’une manière éhontée la Thrace et l’Anatolie peuplées majoritairement par les turcs musulmans en zone d’occupation, d’influence et des états indépendants ; va bien au-delà des limites de la raison et d’honnêteté.

Le peuple turc et les cadres qui ont fondé la République turque n’ont jamais oublié les cuirassés français ou anglais défilant au Bosphore, leurs canons dirigés vers eux. Ils n’ont aucun complexe pour ne pas avoir oublié également l’entrée "triomphale" du Maréchal Franchet d’Esperay à Istanbul sur un cheval blanc, en faisant allusion à celle du Mehmet le Conquérant en 1453 sous l’acclamation délirante des sujets ottomans d’origine grecque et arménienne.

Le Traité de Sèvres était l’édit de mort du peuple turc et il a été envoyé aux oubliettes de l’histoire par le combat et les sacrifices de ce même peuple. Une lutte qui mérite le respect au moins autant que la lutte des résistants français à la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, nous serions prêts à l’oublier volontiers si les autres n’avaient pas insisté pour le rappeler régulièrement à diverses occasions depuis la fondation de la République turque.

Le "péché originel" turc n’existe pas

Je terminerai cette tribune par quelques remarques sur "le péché originel" que Mme Marchand mentionne dans son article, tout en étant sûrement très heureuse d’avoir trouvé une qualification intelligible pour les Français et suffisamment offensante pour les Turcs. Vous savez aussi bien que moi que "le péché originel" n’existe pas dans notre culture.

Il n’est pas question pour les Turcs de se sentir coupable ni pour être né, ni pour avoir défendu leur patrie, et encore moins pour avoir réussi à survivre au Traité de Sèvres. Il est clair que cette qualification particulièrement blessante ne rend pas honneur à son auteur.

Lien/Source : Le Plus NouvelObs


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