Beaucoup a été écrit ces deux dernières années sur le fait que la Turquie, lassée du mépris et des rebuffades européennes, se serait tournée vers le monde arabo-musulman, la Russie, l’Iran, voire même la Chine...
Les uns s’en désolaient ("Are we losing Turkey ?" se demandait-on outre-Manche et outre-Atlantique). D’autres (Merkel et Sarkozy en tête) se réjouissaient en douce de voir l’ardeur européenne d’Ankara s’essouffler, et les Turcs commencer à regarder ailleurs.
J’ai toujours pensé que cette lecture manque de profondeur de champ.
Oui, les Turcs regardent ailleurs.
Constatant que les négociations d’adhésion à l’UE ouvertes en 2005 patinent (elles butent notamment sur l’os de Chypre), le gouvernement Erdogan a, ces dernières années, élargi son horizon au Moyen-Orient. Croire qu’il serait guidé par son idéologie islamique serait réducteur. Il en va surtout de l’intérêt national.
Ce repositionnement a accru le rayonnement régional d’Ankara, citée comme modèle pour les pays du printemps arabe, même s’il y a des revers de fortune, singulièrement avec Israël. Et l’augmentation des échanges commerciaux avec cette région dope la croissance (8,9% en 2010) de la Turquie.
Mais se tourner vers l’Orient n’a jamais signifié se détourner de l’objectif européen.
Les déclarations au Telegraph britannique du président turc Abdullah Gül, qui entame mardi une visite d’Etat de trois jours à Londres, sont très instructives :
"Certaines personnes, qui pensent à court terme et manquent de vision stratégique, considèrent l’adhésion de la Turquie (à l’UE) comme un fardeau. Mais ceux qui sont capables de réfléchir à 30 ou 60 ans, et de considérer les tendances économiques et le changement des centres de puissance, peuvent comprendre combien la Turquie pourrait renforcer la puissance existence de l’Europe".
Tout le calcul des dirigeants d’Ankara est qu’une économie dynamique et qu’un poids régional accru renforcent, à terme, les perspectives d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne parce que les Européens y verront leur propre intérêt.
Source : Ouest-France