19 avril 2024

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Des dizaines d’Arméniens d’extrême droite ont courageusement attaqué deux Français d’origine azerbaïdjanaise, en pleine Assemblée nationale

Publié le | par Maxime Gauin | Nombre de visite 1693

Vers la tentative de lynchage

François Rochebloine, le très communautariste député de la Loire, avait réservé une salle, à l’Assemblée nationale, pour le mardi 25 février, sans dire pourquoi. Il s’agissait, en fait, de mettre cette salle à la disposition du Bureau français de la cause arménienne (BFCA, branche de la Fédération révolutionnaire arménienne-Dachnaktsoutioune, FRA-Dachnak) pour une réunion de propagande, relative aux évènements de Soumgaït (URSS), en 1988. Ce genre d’évènement, qui ne relève pas de la diplomatie parlementaire, mais du clientélisme électoral le plus détestable, n’aurait jamais dû avoir lieu dans les murs de l’Assemblée nationale française.

Toutes les personnes d’origine azérie, sauf une, se sont vu opposer un refus quand elles ont souhaité assister à l’évènement. Cette exception fut Mirvari Fataliyeva, présidente de la Maison de l’Azerbaïdjan à Paris. Par une coïncidence vraiment remarquable, le très nationaliste collectif VAN (groupuscule créé en 2004 à l’initiative, entre autre, de la FRA) a mis en ligne, le 22 février (soit trois jours avant l’évènement), un compte-rendu de l’entretien accordé par Mme Fataliyeva à la radio Made in Turkey, alors que cet entretien avait eu lieu un mois auparavant. Or, le moins qu’on puisse dire des commentaires du collectif VAN, c’est qu’ils n’incitaient ni à la bienveillance ni à la douceur envers Mme Fataliyeva.

De l’intimidation à la violence déchaînée

Quoiqu’il en soit, la présidente de la Maison l’Azerbaïdjan s’est rendue à l’Assemblée, accompagnée d’un ami, Vusal Huseynov, qui ne voulait qu’elle y allât seule — la suite lui a donné raison. Les organisateurs furent dûment informés que Mme Fataiyeva viendrait accompagnée. Passons sur le fait que les deux Franco-Azerbaïdjanais n’ont pas eu l’occasion de porter la contradiction, et venons-en à l’agression qu’ils ont subie.

L’évènement s’est terminé sur une minute de silence. Mme Fataliyeva et M. Huseynov ont refusé de se lever, suscitant les protestations véhémentes de M. Rochebloine, puis ont déclaré qu’ils se levaient pour les victimes de Khodjaly, ce village entièrement anéanti par les forces arméniennes et russes en février 1992 (au moins 613 civils désarmés furent exterminés avec sadisme ; l’association américaine Human Rights Watch a écrit à juste titre qu’il s’agit du pire massacre de la guerre arméno-azerbaïdjanaise de 1991-1994). Après la fin de la minute de silence, Hratch Varjabédian, directeur du BFCA, est venu pour faire asseoir de force Mme Fataliyeva, ainsi que le montre une vidéo diffusée par la télévision arménienne, et commentée par M. Varjabédian lui-même. Il manque opportunément quelques instants à cette vidéo, juste avant le premier échange de coups ; on y verrait, selon les déclarations Mme Fataliyeva, M. Varjabédian la gifler. Les images du début de lynchage qui s’en est suivi ne sont pas montrées non plus. Les agresseurs se sont acharnés sur leurs deux victimes, et ont ajouté à leurs coups des propos explicitement racistes. Toujours selon Mme Fataliyeva, le député François Rochebloine en personne prit part aux violences, en lui tirant les cheveux. Je n’étais sur place, c’est à l’enquête de déterminer qui exactement a participé au lynchage. Il n’est, par contre, pas interdit de remarquer que seul M. Rochebloine est resté, pour l’instant, silencieux, parmi les parlementaires ayant organisé cet évènement.

Trois jours d’interruption temporaire de travail ont été prescrits à Mme Fataliyeva, et cinq à M. Huseynov ; ils ont porté plainte. Cela eût été pire s’ils n’avaient pas trouvé refuge — la présidente de la Maison de l’Azerbaïdjan d’abord, son ami ensuite — dans une salle voisine, où se tenait une réunion du bureau de l’Union des démocrates et indépendants (UDI, centriste). Ils ont été secourus, notamment, par l’ancien ministre Jean-Louis Borloo, la sénatrice Sylvie Goy-Chavent et le sénateur Jean-Marie Bockel. L’ambassadeur azerbaïdjanais n’a pu arriver qu’environ vingt minutes après que les deux victimes furent secourues, et non pas quelques minutes comme le prétendent certains sites arméniens. C’est un élu de l’UDI qui a proposé d’appeler Son Excellence Elchin Amirbayov, les deux victimes étant dans un état de choc tel qu’elles n’y avaient même pas pensé.

Le BFCA et les autres instances qui prétendent représenter la « communauté arménienne » n’ont absolument pas condamné les coups reçus par les deux victimes. Au contraire, le BFCA et ses amis parlent d’une « agression azérie ». Le BFCA put même obtenir des communiqués de parlementaires fâchés avec la Constitution française, comme Valérie Boyer ou Henri Jibrayel, inversant les rôles entre agressés et agresseurs. Comme s’il était crédible que deux personnes auraient pu en « agresser » plusieurs dizaines d’autres ? Il y eut, c’est vrai, dans le passé, des exemples de mauvaise foi encore plus criante. Après le lynchage de Léon Blum par des maurassiens (extrême droite), les réactions de L’Action française (journal de Charles Maurras) furent telles que quelques jours plus tard, Le Canard enchaîné titrait avec ironie : « L’odieux attentat de M. Léon Blum contre M. Charles Maurras a piteusement échoué ».

Quelques mots de contexte

Hasard du calendrier, la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris prononçait, jeudi, la condamnation de Laurent Leylekian (ancien directeur de la Fédération euro-arménienne pour la justice et la démocratie, ainsi que du journal lyonnais France-Arménie), pour diffamation contre Sırma Oran-Martz. M. Leylekian avait écrit, en 2010 :

« Reste que l’affaire Martz sonne comme un avertissement : “Ils sont déjà parmi nous”. Qui ça ? Les négationnistes turcs, infestant et infectant les structures sociales et politiques des pays de l’Union européenne là où les défenseurs de la Justice et de la Vérité sont trop souvent absents – et même jusqu’à Villeurbanne où réside une importante communauté de descendants des victimes du Génocide des Arméniens. Ces nouveaux « envahisseurs » ne sont pas des « profanateurs de sépultures » ; ils profanent la mémoire de ceux qui n’ont pas même eu la chance d’avoir une sépulture, ils effacent le souvenir de ceux qui agonisèrent dans d’innommables souffrances dans les montagnes d’Arménie ou les déserts de Syrie. Ce ne sont pas des “body snatchers”, ce sont des “mind snatchers” qui pour perpétrer leur forfait masquent leurs hideuses figures de Gremlin sous l’apparence de gentils E.T. […]

Et n’en doutons pas, c’est une véritable « Guerre des mondes » qui s’annonce : le monde de la Démocratie, de la Justice et de la Raison contre des “intelligences vastes, froides et hostiles”(2) qui n’ambitionnent que de le suborner, de le subvertir pour finalement le soumettre. Ami humain, le négationniste est ton ennemi ! »

L’avocat de Mme Oran-Martz, Charles Morel, avait fait remarquer qu’« infectant et infestant », c’est « le style de Gringoire ». Outre ses propres frais d’avocat, M. Leylekian devra payer quatre mille euros de dommages et intérêts à Mme Oran-Martz et 3 500 euros au titre des frais de justice ; il a en outre écopé de 2 500 euros d’amende avec sursis.

Cet exemple montre l’atmosphère de violence verbale que font peser certains depuis des années (M. Leylekian est aussi l’auteur, entre autres, de propos ouvertement racistes, tenus sur un site fermé en février 2011 ; la lecture du forum d’armenews.com est toujours édifiante, même si la nouvelle mouture est globalement moins ordurière que l’ancienne, fermée en octobre 2008 suite à une plainte que j’avais déposée). S’agissant plus particulièrement du conflit arméno-azerbaïdjanais, il faut effectuer un bref survol depuis la conquête russe, en 1828. Le gouvernement tzariste organisa, dès cette époque, une politique démographique visant à changer la majorité azérie du khanat d’Erevan (80 % d’Azéris en 1828) et du Haut-Karabakh en une majorité arménienne. Cette politique se durcit en 1905, quand les autorités russes provoquèrent délibérément des affrontements entre Azéris et Arméniens, et s’arrangèrent pour que ces derniers fussent, in fine, vainqueurs. L’éphémère République indépendante d’Arménie (1918-1920) accéléra le processus par toutes sortes d’expulsions, de menaces et de massacres, avec un pic en 1920. Le haut-commissaire français au Caucase, Damien de Martel, rapportait ainsi le 20 juillet 1920 (archives du ministère des Affaires étrangères, microfilm P 16 674) :

« En ce qui concerne ces opérations [militaires], j’ai recueilli de témoins récemment rentrés d’Arménie quelques renseignements qui précisent la façon dont elles sont exécutées : au sud d’Erivan, à la fin de juin dernier, les troupes arméniennes ont cerné 25 villages tatares habités par plus de 40 000 musulmans. Cette population trop près de la capitale pour avoir des velléités d’indépendance, avait toujours été calme et paisible ; elle fut chassée à coups de canon vers l’Arax et dut abandonner ses villages, qui furent immédiatement occupés par les réfugiés [arméniens]. Dans cette affaire, environ 4 000 personnes furent mises à mort, sans en excepter les femmes et les enfants, que les soldats arméniens noyaient dans l’Arax.
Il ne m’a pas paru inutile de rapporter ces détails qui montrent que ce ne sont pas toujours “les mêmes qui sont massacrés.” »

C’est par ce genre de moyens que la majorité arménienne autour d’Erevan devint écrasante, et que la majorité azérie du Zanguevour (est de l’Arménie) fut réduite à l’état de minorité. Certains des criminels les plus impliqués dans cette purification ethnique, comme Drastamat Kanayan (alias Dro, principal dirigeant de la FRA de 1923 à sa mort, en 1956) ou Garéguine Nejdeh (créateur du mouvement de jeunesse dachnak aux États-Unis, en 1933, sur le modèle des Jeunesses hitlériennes) furent à la pointe de l’alliance entre la FRA et l’Allemagne nazie — avec Vahan Papazian (député de Van jusqu’en 1915 et responsable d’activités insurrectionnelles contre l’Empire ottoman, au début de la Première Guerre mondiale) et son homonyme Hratch Papazian (qui avait aussi été terroriste de la FRA au début des années 1920).

Le réveil du nationalisme arménien, au milieu des années 1960, cette fois à l’instigation de l’URSS, se porta principalement contre la Turquie, les Turcs et les turcophiles, victimes de centaines d’attentats et d’agressions physiques durant les années 1970 et 1980. Le renforcement de l’efficacité policière (aux États-Unis dès 1982, en France à partir de 1983, en Australie en 1986), la coopération des services secrets turcs (MIT) avec la CIA et le Mossad, les affrontements sanglants entre terroristes arméniens eux-mêmes (ASALA, dissidents de l’ASALA et dachnaks ne s’aimaient pas et le faisaient savoir par leurs pistolets), tout cela conduisit la FRA à rediriger son irrédentisme de la Turquie vers l’Azerbaïdjan, d’autant qu’à partir de 1985, la pérestroïka réduisit les restrictions à la liberté d’association dans l’URSS. La FRA s’y implanta progressivement à partir de 1988. Sur place, ceux qui prétendaient parler au nom des Arméniens du Haut-Karabakh procédèrent à des expulsions d’Azéris dès 1987, et l’Arménie indépendante n’eut rien de plus pressé — sous la double pression des nationalistes de la diaspora et du nouveau gouvernement russe, prêt à tout pour maintenir une partie de la présence russe au Caucase — que d’agresser son voisin azerbaïdjanais. La guerre, qui se déroula de 1991 à 1994, fit environ trente mille morts, dont des milliers de civils azéris massacrés avec une grande cruauté. Le Haut-Karabakh fut vidé de sa minorité azérie, et sept départements peuplés essentiellement d’Azéris furent également envahis, occupés, dévastés et vidés de leurs habitants. Les 200 000 derniers Azéris d’Arménie furent également chassés de chez eux.

Un exemple, parmi d’autres, ce qu’ont pu observer les journalistes occidentaux :

« Alors, pressés par les réfugiés, ils mènent des négociations par radio avec les Arméniens d’en face pour des échanges d’otages. Début mars, une dizaine de ceux que les Arméniens détiennent depuis la prise de Khodjali (on avance à Agdam le chiffre de six cents) ont été libérés contre quelques "prisonniers de droit commun" — comme on dit à Agdam — réclamés par les Arméniens. Des récits d’horreur sont rapportés par les otages libérés. Un nouvel échange était programmé pour jeudi mais il aété annulé à cause des bombardements, accompagnés d’une reprise des affrontements le long de toute la ligne de front.
Les combats et les bombardements aveugles sur Agdam montrent que les Arméniens ne se contentent pas d’avoir, enfin, occupé tout le Haut-Karabakh, à l’exception de Choucha, mais poursuivent leurs attaques à l’extérieur. Et ceci après que des correspondants étrangers à Agdam ont pu se convaincre que les femmes et les enfants fuyant Khodjali et mitraillés puis abattus à bout portant, les trois têtes scalpées ou les doigts coupés, ne sont pas un produit de la "propagande azérie", mais la triste réalité d’un conflit où la sauvagerie n’est pas l’apanage d’un seul camp. »
« Alors que les combats s’intensifient — M. Bush réclame un cessez-le-feu au Karabakh — Agdam, ville fantôme », Le Monde, 14 mars 1992.

La « sauvagerie », certes sous une forme moins grave, a pu envahir l’Assemblée nationale, à cause d’un communautarisme funeste. Maintenant, place à la justice. La justice française et républicaine.


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